Actualité et mémoire des luttes à Saint-Étienne et ailleurs
ANALYSES ET RÉFLEXIONS RÉPRESSION - PRISON
SAINT-ÉTIENNE / LA TALAUDIÈRE  
Publié le 17 janvier 2022 | Maj le 25 juin 2022

« Moi, ils m’ont servi à rien »


Rita a été une des premières prisonnières de l’établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) de Meyzieux. Son parcours carcéral, des quartiers pour femmes dans une maison d’arrêt à un EPM, brise l’image officielle de cette « prison dorée », qui allierait harmonieusement punition et éducation – elle n’y a vu qu’une prison. Un entretien initialement paru dans L’Envolée, n°25, mars 2009 et repris dans le Couac n°13.

L’Envolée : Bonjour Rita. Tu es passée par la prison pour mineurs de Meyzieux. Comment tu es arrivée là-bas ?
Rita : C’était début janvier : un soir, avec mes deux copines, on avait bu. On est entrées dans un magasin, on a volé une bouteille de vodka, on est ressorties. La copine qui nous attendait dehors a tapé une personne. Quand on est sorties, on a vu les policiers, ils ont demandé : « Qu’est-ce qui se passe ? ». On a dit : « Rien » ; j’ai dit à ma copine de se calmer, j’avais pas envie qu’on se fasse embarquer ; mais ils ont fouillé nos poches… alors ils nous ont emmenées au commissariat. Ils ont demandé : « Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi ta copine a tapé le monsieur ? ». On a expliqué, et alors ma copine a reçu une gifle par un policier pour rien du tout.

Elle a quel âge, ta copine ?
Seize ans. Elle s’est pris une gifle, on n’a pas compris pourquoi. Moi, je me suis énervée, alors les policiers sont intervenus à cinq sur moi ; ils m’ont tapée, allongée par terre en me criant dessus et ils nous ont mises en garde à vue.

À cinq sur une minette d’un mètre soixante... T’es restée combien de temps en garde à vue ?
Deux jours. C’était en plein hiver, et ils ont pas voulu nous donner de couvertures.

Est-ce que tu as vu d’autres personnes en garde à vue, hormis les policiers ?
Oui, on a vu un médecin, mais on n’a pas dit qu’on s’était fait taper, parce qu’on savait que ça allait retomber sur nous. Parce qu’ils nous écoutent pas vraiment, les gens. Après les deux jours de garde à vue, on a été au tribunal, au petit dépôt, à Lyon.

Vous êtes passées en comparution immédiate ?
Oui. On est passées très tard le soir, et ils nous ont dit : « un mois de mandat de dépôt ». Qui peut être renouvelé, en prison.

Et après, ils vous ont donc emmenées à l’EPM. Ils vous ont dit quoi sur l’EPM ?
Non, d’abord à Montluc, une semaine. C’était pas un juge pour enfants, et en plus c’était le week-end. Mon avocate m’a dit qu’il avait pas envie de se prendre la tête : il a pas essayé de nous trouver un foyer, il nous a mises directement en prison. Et y a pas de quartier spécial pour les mineures à Montluc, on était mélangées avec des adultes, c’était pas super. Après on devait aller à l’EPM, mais ils nous ont pas vraiment expliqué. On était plutôt contentes, on se disait qu’il y allait avoir plus de trucs, que ça allait mieux se passer.

Alors, à l’EPM, comment ça s’est passé ? C’était la première fois qu’il y allait avoir des filles...
Oui. C’était difficile parce que les garçons nous insultaient souvent de tous les noms, donc on sortait pas beaucoup. On faisait pas de sport.

Ils vous l’ont pas proposé ?
Si, mais d’abord, y a eu deux semaines d’observation, pour voir comment ça se passe.

Qui vous observe ?
Un éducateur et une surveillante. Au début, on mangeait seules et on étaient seules en promenade ; après, on mangeait avec eux le midi, le soir, au goûter.

Comment ça se passait avec les surveillants, les éducateurs, les professeurs ?
Eh ben pour moi, ça s’est plutôt mal passé. Les surveillantes, elles étaient pas trop... j’avais l’impression qu’elles me cherchaient, qu’elles me provoquaient. Et les éducateurs, ils laissaient faire. Moi, ils m’ont servi à rien ; je leur avais demandé un projet de sortie puisque je devais sortir au bout d’un mois et ils m’ont rien trouvé.

Combien il y a de jeunes et d’éducateurs à Meyzieux ?
On était soixante, et y avait un éducateur par unité, pour cinq unités.

Et l’ambiance, comment c’était ? Parce que les EPM sont présentés comme des prisons dorées...
C’est pas du tout comme ça. Quand on parlait avec des garçons, ils trouvaient pas que c’était bien. En plus moi, j’ai pris une semaine de mitard ; j’étais enfermée dans une cellule sans télé, sans rien.

On dit qu’il y a des cellules d’un mètre sur un mètre.
Je sais pas, mais je sais qu’elles sont petites. Y a des toilettes, un lavabo et un matelas, c’est sombre. Quand j’y étais, suite à une embrouille, y a une prof qui est venue me voir pour me dire qu’elle espérait que j’allais être sévèrement punie pour ce que j’avais fait. Si c’est pour me dire ça, c’est pas la peine.

Tu as pu joindre ta famille ?
Par courrier seulement. L’éducatrice m’avait dit : « on a payé le billet de train à ta mère, pour un parloir ». Ma mère m’a dit : « ils ont rien payé du tout ». Elle a fait toutes les démarches pour une demande de parloir. Je sais pas ce qui s’est passé. En plus, c’est loin, et ma mère a pas beaucoup d’argent ; elle a pas pu venir me voir. Elle m’a dit qu’elle avait appelé l’EPM pour que je sois prévenue qu’il y avait eu quelque chose de grave dans ma famille, et ils m’ont jamais rien dit. Même à la Talaudière [la prison de Saint-Étienne], ça n’a pas suivi.

Et tes autres copines ?
On était trois. Y en a une qui est sortie au bout d’un mois, et nous on est restées, on nous a renouvelées. C’était tant mieux pour elle, mais on a pas compris, moi et ma copine. Ça nous a fait péter les plombs.

On dit qu’à Meyzieux la nourriture est rationnée. Que tout est calculé, pesé...
Oui, ils font très attention à ça. On dirait qu’on est au régime ; on peut pas tout cantiner, on a qu’une toute petite fiche. Ils disent : « Faut faire attention à votre poids ! ».

On vous donnait des médicaments ?
Oui, moi j’en prenais. C’est moi qui les demandais. Y en a qui pètent les plombs, y en a qui se suicident ; en fait, on est tous différents, donc on réagit de façon différente.

Tu étais à Meyzieux quand il y a eu un suicide. Comment le personnel a réagi ? Ils vous en ont parlé ?
Non, ça s’est su, mais par d’autres jeunes. Moi, je leur ai dit : « C’est bizarre, c’est pas la première fois qu’il fait une tentative de suicide, vous auriez pu faire quelque chose ». La surveillante m’a dit : « C’est son choix, il a voulu faire ça »...

Plus tard, ils t’ont donné quatre mois et t’ont transférée à Saint-Étienne.
J’ai été renouvelée un mois de plus ; c’est là que j’ai pété un plomb et que j’ai tapé une surveillante ; du coup j’ai pris quatre mois ferme. Moi, j’ai réagi comme ça ; je sais que c’est pas bien.

C’est peut-être normal de péter un plomb dans ces cas-là...
Oui, mais la juge, elle comprend pas. Eux ils s’en foutent, ils cherchent pas trop à comprendre.

Du coup, t’étais plus avec tes copines ?
Non, j’étais toute seule. Ils m’ont mise au quartier des femmes, toute seule dans une cellule. Là les surveillantes étaient mieux avec moi ; j’étais plus posée, plus tranquille. Quand j’avais un souci, elles venaient parler avec moi. Pour ça y avait pas de problèmes. Bien sûr, j’étais mélangée avec des femmes qui n’avaient rien à voir avec moi au niveau des peines, de ce qu’elles avaient fait et tout ça. Avec quelques-unes, j’ai eu des bons rapports.

Et à la Talaudière, est-ce-que tu as travaillé alors que tu étais mineure ?
Oui, dans les fleurs. Le matin, on avait des cours sur comment poussent les fleurs, les racines, le nom des fleurs, et l’après-midi on semait, on faisait des compositions de fleurs. Elles étaient vendues dans la prison, pour le personnel. On les faisait dans la cour de promenade, dans une serre, de huit heures du matin à quatre heures moins le quart, du lundi au jeudi. J’étais payée cent soixante dix euros par mois ; les majeures étaient payées deux cent soixante dix euros par mois pour la même quantité de boulot. Pourtant je faisais exactement pareil. Même aux majeures, ça leur faisait pas grand-chose. Elles achetaient leurs cigarettes, leur manger ; les femmes des pays de l’Est envoient le peu qu’elles gagnent dans leur pays, et après il ne leur reste plus rien.

Et aujourd’hui, c’est réglé, ces histoires de plaintes ?
Non, c’est pas encore réglé, et j’ai peur d’y retourner. Je vais me faire juger bientôt à Béziers, et j’ai encore un jugement à Lyon et un autre à Saint-Étienne. En plus, j’ai une mise en liberté surveillée, avec, en attendant mon jugement à Lyon, un contrôle judiciaire qui consiste à aller signer un papier une fois par semaine au commissariat et un autre qui consiste à la fois à respecter le règlement du foyer où je suis actuellement et l’obligation de soins.

Ça veut dire quoi exactement, « l’obligation de soins » ?
Voir un psychologue et suivre un traitement. Et ils vérifient. Le traitement, ça me fait du bien quand je suis angoissée, pour me calmer. Mais j’aime pas trop les psychologues. Y en a qui disent que j’en ai besoin ; des fois, ça peut faire du bien de parler.

Est-ce que tu penses que c’était juste que tu sois passée à l’EPM ? Que c’était mérité ?
Non, franchement je pense que c’était pas mérité ; ça m’a pas apporté grand-chose.

Ça t’a plutôt enfoncée ; t’étais dans une situation où t’avais déjà utilisé les autres dispositifs alternatifs, le CEF (centre d’éducation fermé), l’urgence aussi (foyers d’urgence).
Oui, mais ma copine qui avait jamais fait de CEF, ils l’ont mise directement en prison, sans chercher d’autres solutions. Des fois, ils cherchent, puisque moi, la première fois j’ai été en CEF. À la place des prisons, je pense qu’ils devraient aussi faire des CEF pour adultes, avec des soins et plus de gens pour s’occuper d’eux. Parce qu’y en a, ils en ont besoin. Ils mettent aussi des handicapés en prison ; je trouve pas ça normal, c’est pas leur place.

Pour toi, qui aurait sa place en prison ?
Personne. Même ceux qui ont fait des choses très très graves, c’est pas vraiment la place d’une personne. Ils ont plus besoin qu’on essaye de comprendre pourquoi ils ont fait ça, qu’on les aide à avancer. La prison, ça va pas les aider, au contraire, je pense que ça va les rendre plus fous. Parce que ça aide pas beaucoup d’être enfermé. Et je voudrais dire aux gens qui critiquent ceux qui sortent de prison qu’ils peuvent pas savoir ce qui s’est passé dans leur parcours ou ce qu’ils ont vécu. Il faut les encourager plutôt que les critiquer. Ça m’a fait du bien d’en parler et de faire savoir comment ça se passe.


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