Un climat ancien et toléré
Depuis plusieurs dizaines d’années, au lycée Fauriel à Saint-Étienne, un rituel, se déroulent chaque semaine, dans l’indifférence générale ou plutôt dans une forme d’empathie complice. Tous les jeudis, les étudiants des classes préparatoires se placent sur les rambardes des mezzanines du bâtiment principal et mettent en scène une opposition entre filières, à travers des chants paillards et problématiques, faussement potaches. Des paroles sexistes, homophobes, classistes. Des élèves du lycée pro pris pour cible, des filles notées à voix haute, des insultes répétées, banalisées.
Ce qui devrait provoquer un scandale est ici toléré, parce que ça « fait partie de la tradition ». Mais tradition de quoi ? De qui ? D’un entre-soi viriliste, socialement dominant, qui se croit tout permis parce qu’il est destiné à intégrer demain les écoles « élitistes ».
Septembre 2021 : alerter, se heurter au silence
En septembre 2021, nous avons dénoncé ces pratiques par un collage dans l’établissement et un post sur les réseaux sociaux. À l’époque, les réactions ont été immédiates. D’abord des moqueries et des insultes de la part de certains élèves.
Puis des altercations physiques lors de distributions de tracts devant l’établissement.
Enfin, l’affirmation publique, lors d’un rassemblement devant le lycée en marge d’une manifestation syndicale, de ces mêmes chants sexistes et machistes que nous dénoncions. Rien d’étonnant : quand on est habitué à dominer, on se croit toujours dans son bon droit.
Mais surtout, il y a eu les silences et les réactions gênées d’une partie de l’équipe éducative et de la direction de l’époque. Pas de prise de position claire. Pas de remise en cause. Au contraire : des discours pour protéger « la réputation de la prépa ». Des tentatives de minimiser. Des excuses du type : « Vous allez faire du tort à la réputation de la classe préparatoire. » ; « Il ne faut pas exagérer. » ou encore « C’est de l’humour potache. »

Quelques commentaires laissés sur notre page Instagram, ainsi qu’une story d’un BDE d’une filière de CPGE à l’époque, en 2021...
Juillet 2025 : Un passage à l’acte
Et voilà où on en est quatre ans plus tard. Juin 2025. Un étudiant en classe préparatoire à Fauriel, interne, est arrêté devant le lycée. Dans son sac, deux couteaux. Sa cible : des femmes. Son idéologie : le masculinisme, version « incel », cette haine en ligne qui désigne les femmes comme responsables de tous les malheurs des hommes.
Il aurait compulsé des contenus masculinistes et violents sur les réseaux sociaux. Mais il évoluait aussi dans un environnement scolaire où, sous prétexte de compétition entre filières, le mépris des femmes, des pauvres, des « différent·es », était toléré, parfois même valorisé. Parce que quand on laisse hurler des chants sexistes sans rien dire, quand on considère que l’humiliation est un folklore, on fabrique un terrain fertile.
Un terreau où la violence idéologique peut devenir violence concrète.
(cf article de Libération : https://www.liberation.fr/societe/police-justice/saint-etienne-un-attentat-masculiniste-dejoue-un-homme-de-18-ans-interpelle-avec-deux-couteaux-20250702_2V5VUN4VYZHK5PERBPMV5K7T2M/)
Ce n’est pas un « loup solitaire »
Ce qu’on entend aujourd’hui, c’est le discours classique : « c’était un jeune isolé », « un adolescent fragile ». Comme si tout ça n’avait aucun lien avec son environnement. Mais personne ne naît masculiniste. On le devient dans un climat, un milieu, une culture.
À Fauriel, ce climat existe depuis longtemps. C’est celui d’une pseudo-école d’élite, où l’on fait croire qu’on forme les futurs chefs, et où l’on excuse leur violence sous prétexte quelle soit symbolique, qu’ils réussissent leurs concours.
C’est celui d’un lycée où, de fait, les garçons blancs et tous ceux qui acceptent de se plier à ces codes patriarcaux sont valorisés, où ils peuvent paraître « fun », et accomplir sans question « les rites de passage étudiants ».
Parce qu’ils sont bien décidés à continuer
On ne peut pas dire que personne ne savait. En 2021, nous avions déjà prévenu. Ce que nous dénoncions n’était pas une anecdote. C’était un climat. Ce climat a continué, encouragé par le silence des adultes et la complicité de ceux qui ne veulent pas « faire de vagues ».Ce climat est la continuité et la légitimation de sales habitudes élitistes, qu’on retrouve aussi dans des cadres qui se revendiquent « progressistes ».
Et attention : aujourd’hui, formuler une critique, c’est immédiatement se voir accuser d’être responsable du mal. On nous accuse de « faire naître » le masculinisme, le racisme, l’extrême droite. Dans ces parades rhétoriques bourgeoises et malhonnêtes, le backlash (retour de bâton réactionnaire) devient l’excuse pour ne jamais être critiqué et pour imposer sa novlangue partout.
Mais nous réaffirmons que l’on ne peut plus dire qu’on ne savait pas où ça menait.
La violence symbolique produit de la violence réelle. Le virilisme scolaire produit du masculinisme meurtrier. Ce n’est pas une hypothèse. C’est un fait. Et même si ici l’institution scolaire n’est pas la seule responsable, elle est cette courroie de transmission qui, à certains moments, renforce ces constructions masculinistes.
Parce qu’à Fauriel, les couteaux ne sont pas arrivés seuls.
Ils ont suivi les silences et les complicités.
Par d’ancien·nes lycéen·nes du lycée Honoré d’Urfé ayant mené des actions contre le Bio-Krass en 2021.
Photo : collage lycéen et l’un des collages du collectif Collision en septembre 2021.













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