Présentation
Nicolas Moulin, infirmier en psychiatrie en service d’hospitalisation complète, syndiqué à la CGT et membre du CHSCT au CHU de St Etienne
Julie Colombet, infirmière en addictologie au CHU de Saint Etienne
Claudine Lyonnet, infirmière au service d’addictologie, syndiqué Force Ouvrière, membre et secrétaire du CHSCT du CHU de Saint Etienne
Isabelle Bouligaud, infirmière en pédopsychiatrie depuis 21 ans, a débuté dans le service du docteur Berger puis a travaillé à l’hôpital psychiatrique de St Jean Bonnefond puis en CHS à Marseille
J’ai essuyé les plâtre d’un diplôme en modification, c’était au moment de la réunification de la formation des infirmiers psy et des infirmiers généraux.
La visite d’une contrôleuse qui fait entendre des plaintes maintes fois répétées
En janvier dernier, Adeline Hazan, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté venait inspecter le secteur psychiatrique du CHU de Saint Etienne. Ses recommandations d’urgence, publiées le 1er mars 2018 [1], évoquent des « traitements indignes » dans l’accueil de patients hospitalisés – conséquences d’un « dysfonctionnement structurel ».
Ce rapport a été salvateur d’un certain point de vue car il a fait connaître des dénonciations que les travailleureuses essaient de porter depuis longtemps. Mais c’est dur d’entendre la façon dont les médias et leur lecteurices s’insurgent de façon virale et simpliste en réaction à des pratiques qui ont été observées sommairement. La réaction de la direction a été de modifier le service en urgence pour répondre au scandale médiatique alors même qu’elle reste sourde aux revendications des soignant’es exprimées depuis bien longtemps.
Une évolution inquiétante du management au sein des institutions hospitalières depuis plusieurs années...
Au CHU de Saint Étienne les patient’es qui arrivent à l’hôpital doivent obligatoirement passer par les urgences générales.
Les patients arrivent aux urgences générales puis il y a une consultation psychiatrique qui va déterminer si le’a patient’e doit aller en psy ou non. Ensuite le’a patient’e est redirigé’e soit sur les urgences psychiatriques soit sur son service de secteur.
S’il n’y a pas de place, les personnes vont être maintenues (jusqu’au passage de la contrôleuse, il arrivait même qu’elles soient contenues par des liens sur leurs lits) au service d’urgence, parfois dans les couloirs faute de places, en attendant que le service psy puisse les recevoir. L’attente peut durer jusqu’à plusieurs jours.
Le fait que les urgences générales soient devenues la porte d’entrée principale pour les malades est un gros problème. En théorie, si quelqu’un’e se sent mal dans sa tête (même pour un truc léger), il existe des services d’urgence spécialisés en psychiatrie (les Centres médicaux psychologiques) mais ils sont de plus en plus débordés par le nombre de patient’es. Les délais d’attente pour avoir un rendez-vous sont déraisonnablement longs, du coup c’est vers l’hôpital que se tournent les patient’es – hôpital qui est, lui aussi, saturé.
Aujourd’hui, à l’hôpital on ne parle plus de patient mais d’argent, c’est devenu le critère. Si on revient à l’étymologie du mot « hôpital », il y a la notion d’« hospitalité », ce devrait être avant tout un lieu d’accueil pour des personnes en souffrance. Sauf qu’à l’heure actuelle, l’hôpital public français doit rembourser des emprunts toxiques qui ont été contractés jusqu’en 2025. Ça l’oblige à faire au moins 5% de bénéfices sur chaque acte de soin.
On parle de faire des économies à l’hôpital mais ce sont toujours les patient’es qui payent ces économies de leurs souffrances.
On ne demande plus de quoi ont besoin les personnes pour être bien soignées, mais combien on peut avoir pour les soigner. Un’e patient’e arrive, on regarde dans le guide des pathologies [2], il est diagnostiqué comme relevant de telle ou telle pathologie et du coup les soignant’es se voient octroyé’es un certain quota d’heures et de moyens pour ce patient. Or chaque patient est différent et chaque mal-être se déclare différemment en fonction des moments et des personnes. C’est souvent au moment où un’e patient’e ne fait plus de crise que l’on pourrait commencer à faire un vrai travail psy, or avec ce nouveau système de paiement à l’acte (dit PAA), on rejette les personnes de l’hôpital dès que le traitement est terminé.
L’hôpital est vraiment géré comme une boite privée, avec des chef’fes de services
On a scindé l’hôpital en différents pôles qui sont mis en concurrence les uns avec les autres car ils doivent aller chercher leur budget auprès de l’agence régionale de santé. De plus avec le paiement à l’acte, certaines missions de l’hôpital ne sont plus comptabilisées (par exemple le temps passé à parler avec un’e patient’e) et d’autres sont très valorisées (une radiologie par exemple). De façon systématique ce sont les actes quantifiables qui vont être favorisés pour justifier les budgets.
Des soignant’es passionné’es par la psy face aux choix politiques
Il faut garder à l’idée que la psychiatrie est toujours le reflet de notre société. C’est très facile pour la société de psychiatriser les personnes marginales (les SDF par exemple). Il y beaucoup de personnes qui arrivent dans les services avec certes des problèmes psy, mais qui ont surtout des problèmes de maltraitance ou de solitude qui les emmènent à une incapacité d’empathie et peuvent les amener à de la violence ou des comportements à risque.
Dans les nouveaux protocoles, les soignant’es qui sont vraiment passionné’es par le travail psy ne s’y retrouvent plus. On leur demande de ne pas toucher les patient’es, de ne pas les tutoyer… il y a plein de règles qui sont peut-être efficaces à grande échelle mais humainement sont destructrices et ne prennent pas en considération le contexte dans lequel sont arrivées les pathologies.
De plus le personnel est moins formé qu’avant, la dernière formation spécifique en psy remonte à 92. À Saint Étienne, la mobilisation du milieu de la psychiatrie est encore affaiblie par l’absence d’une forte tradition de réflexion sur ces questions.
Et la lutte, où en est-on ?
Des alertes avaient donc été lancées depuis plusieurs années (bien avant que l’on parle de la situation au CHU de Saint Etienne en janvier dernier) et malgré cela le personnel a continué de diminuer, les conditions de soin d’empirer.
On a créé le collectif psy’cause, un collectif de psychiatrie humaniste.
À la suite de la visite du CGLP, on a adressé une lettre ouverte à l’ARS et à la ministre de la Santé, personne n’a répondu. Ensuite le collectif se dit qu’il fallait sortir de l’hôpital, il a organisé un pic-nic devant l’hôtel de ville pour aller hors de l’institution et rencontrer le public.
Mi-mai, a eu lieu la marée blanche à Paris où le collectif stéphanois a rencontré le collectif des blouses noires (qui fait le deuil de la profession).
Puis, plus récemment, il y eu ces 18 jours de grève de la faim au CHU du Rouvray, près de Rouen [3] dont le personnel réclamait de pouvoir soigner les gens correctement (mais pas d’augmentations de salaires, au grand étonnement de certain’es …). Illes demandaient 52 postes, ils en ont obtenu 30. On peut déplorer qu’il faille mettre son intégrité physique en jeu pour obtenir des moyens de soigner, mais illes ont prouvé avec leur mouvement que dans la lutte, et surtout dans la convergence il y encore quand même des marges de manœuvre.
Concrètement ici à Saint Étienne on réclame plus de lits disponibles avec le personnel adéquat. On demande de repenser la formation en interne au sein du CHU, mais aussi sur la formation initiale spécifique à la psychiatrie. On salue que les visites à domiciles aient été remises au goût du jour mais ça s’est fait au détriment de l’hospitalisation alors que nous réclamions que ce soit en complément.
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