Un travail de sape durable des urgences psy
Pour Agnès, qui a travaillé en tant qu’infirmière du secteur psychiatrique pendant 30 ans au CHU de Saint-Étienne, ce rapport constitue tout sauf un scoop. C’est plutôt la triste reconnaissance du passage d’une psychiatrie certes à améliorer mais humaine et respectueuse des personnes, sur les bases de la psychiatrie institutionnelle, à une psychiatrie où le comportementalisme soigne tout et qui fait la part belle aux électrochocs et à la maltraitance. Pour mémoire, la Confédération nationale du travail (CNT) dénonçait dès 2003 l’ouverture d’une salle de brancards, avec des contentions abusives et l’absence des soins minimum, en vain.
C’est dans les années 70 qu’est né le principe d’une psychiatrie de secteur, c’est-à-dire à échelle humaine et pluridisciplinaire avec des soignants, des infirmières, des assistantes sociales, des médecins pour accompagner les malades. Les années 80 voient ainsi la création de nombreuses structures de soin, au plus proche des lieux de vie des malades et adaptées à leurs besoins : des Centres médicaux psychologiques pour des consultations, des hôpitaux de jour où les malades venaient la journée et rentraient chez eux le soir, des Centres d’accueil thérapeutiques à temps partiel où les malades venaient un, deux, trois jours ou heures pour un soin précis... des Appartements thérapeutiques qui accueillent cinq, six personnes avec un accompagnement infirmier, avant que la personne intègre un appartement individuel… En somme des structures efficaces, humaines, au plus proche du quotidien, mais coûteuses.
La disparition du diplôme d’infirmière psychiatrique de secteur en 1992, malgré une mobilisation nationale, sonne le glas de la psychiatrie de secteur : année après année, Agnès a vu toutes ces structures progressivement fermer leurs portes : à Saint-Pierre-de-Boeuf, à Pélussin, à l’Horme, à Rive-de-Gier... Ces disparitions ont des implications directes : dans les meilleurs des cas c’est l’hôpital qui a du prendre en charge ces malades, dans le pire ils sont restés dans la nature, sans soins. Fermetures de lits, diminution de personnels, abandon des établissements de soins de proximité, la restructuration de la psychiatrie s’achève en 2007 avec le déménagement de Saint-Jean-Bonnefonds à l’Hôpital nord. Un changement de locaux qui traduit aussi un passage à une autre façon de soigner, plus sensible aux économies qu’aux patients qui, c’est bien connu, ne rapportent pas.
D’une lutte à l’autre
Si la direction de l’hôpital choisit de minimiser les difficultés pointées par la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, elles sont pourtant bien réelles et s’accentuent même dans les mois qui suivent du fait d’une pénurie accrue de personnels. D’autant que certains partent par épuisement ou lassitude face à l’absence de réponses apportées à leurs revendications. Des internes, tout juste formé.e.s, se voient confié.e.s des responsabilités excessives ; faute de place pour les accueillir, des personnes sont refoulées. Le 21 septembre, les urgences psy du CHU de Saint-Étienne décident alors de se mettre en grève. Manifestations, AG, blocages s’ensuivent.
Après cinq mois de lutte, la mobilisation permet d’obtenir 500 000 euros supplémentaires de la part de l’Agence régionale de santé pour financer des recrutements de personnels, ainsi que des garanties en matière de formation des nouveaux soignants et de la création d’un groupe de travail chargé de suivre la réorganisation des services. De nouvelles tensions surgissent toutefois bien vite, notamment autour de doutes persistants sur l’utilisation qui va être effectivement faite de l’enveloppe débloquée par l’ARS ainsi que du projet de la direction de l’hôpital d’accentuer les passages en urgences. Et le manque de moyens humains perdure.
Cela explique que le service ait choisi de rejoindre la grève des urgences entamée le 5 juin à Saint-Étienne et dont le préavis court à présent jusqu’à fin août.
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