France Info, le 10 mai 2025.
Toi aussi ça t’arrive de te demander « comment on est arrivé.es là ? » cette revue de presse, un peu comme un courrier qu’on enverrait avec l’en-tête « J’espère que cette lettre arrivera avant la guerre », référence quelques bribes du temps présent. On prendra bien une part de glauque avant d’aller nous agglutiner avec les éco-ingénieurs sur les vélo-toroutes de Drome et d’Ardèche. Nous ne parlerons pas des fumées de l’incendie canadien qui parviennent jusque dans nos poumons contaminer nos cœurs et nos bronchioles. On nous a tellement dit de sortir couvert qu’aujourd’hui on ne sait plus où donner du masque ou de la blouse NRBC ; il serait bien plus rapide de comptabiliser parmi l’existant ce qu’il reste encore de non-pollué par la Molochienne folie destructrice ou la Muskienne rationalité calculatrice. Malheureusement, tant qu’il y aura des canons et des pauvres à mettre aux deux bouts, cette revue de presse aura encore lieu d’être. En attendant, partout, des gens luttent, contre toutes les guerres et les marchands de canons.

0. Dissonance et Dissuasion sont dans une frégate
On a beau faire un effort, on ne comprend toujours pas le slogan « si tu veux la paix, prépare la guerre ». C’est comme la France qui est prête à vendre à la fois des missiles à la Turquie et des frégates à la Grèce ? C’est quand l’Europe décide de « se réarmer » pour 800 milliards d’euros (le RSA pour 1 million de personnes pendant 110 ans) ?
On diabolisait « Poutine » qui fait faire des stages commandos à la jeunesse russe et qui utilise des armes non conventionnelles, c’est bien l’apanage d’un dictateur en effet.
Mais maintenant, que penser de « notre » camp ? La Pologne et les pays baltes ont quitté la convention d’Ottawa qui interdisait l’utilisation des mines antipersonnel. En Lettonie, des cours de « défense nationale » sont obligatoires au lycée depuis la rentrée dernière ; en Pologne, dès le primaire les écoliers sont formés au maniement d’une arme à feu.
Alors on voit bien comment tout cela « prépare la guerre » mais on a vraiment du mal à imaginer que ça apportera la paix, vous si ?

1. Le feuilleton Verney Carron
La CGT peut être contente, on a appris le 4 juin que le tribunal de commerce de Sainté accordait à Rivolier la reprise de Verney-Carron qui était en liquidation judiciaire, sauvegardant 55 emplois sur 67.
Rivolier, c’est cette entreprise montante située à St-Just-St-Rambert qui a récemment racheté Hexadrone et MDTech, deux boites qui font, respectivement, dans le drône civil et militaire, et dans le matériel pour la police scientifique. Rivolier revendiquait déjà 60% du marché de l’équipement de toutes les polices municipales du pays. En prenant le contrôle de Verney-Carron en banqueroute, elle se rajoute une flèche au carquois et va se dépecher d’honorer son contrat de lanceur de flashball Cobra pour le ministère de l’Intérieur.
"Nos" députés (de la droite jusqu’à Taurinya [1]) avaient eux aussi essayé de sauver "le fleuron de l’industrie locale" en quémandant au ministère de l’économie de renflouer les caisses d’un Verney-Carron aux abois. Même unanimité à l’intérieur du conseil municipal de Saint-Étienne qui avait voté le 31 mars un rachat des locaux de la boite pour 2 millions d’euros.
Finalement c’est le capital qui a sauvé le capital et tout le monde est content. Tout le monde ?
Sauf peut-être les 12 employés qui resteront sur le carreau, mais aussi les milliers de manifestant.es français.es, birman.es, sénégalais.es, marocain.es qui, elles et eux, ont bien taté du flashball et autres lance-grenades Verney-Carron, des tonfas, menottes, etc...

2. Ah tiens on apprend que le ministère de l’intérieur a lancé un appel d’offres pour 21 millions d’euros de grenades sonores et lacrymogènes, l’été sera chaud ?

3. Fos-Marseille, Aubert et Duval : tous et toutes contre les guerres et les massacres !
Les 4 et 5 juin, les dockers de Fos-Marseille ont bloqué des conteneurs contenant du matériel militaire à destination d’Israel. En l’occurrence il s’agissait de 14 tonnes de matériel pour mitrailleuses en provenance de l’entreprise Eurolinks, et des tubes de canons fabriqués par Aubert et Duval à Firminy.
La CGT a déclaré que « Le port de Fos (...) ne doit pas servir à expédier des munitions ou des armes pour n’importe quelle guerre que ce soit. Les travailleur.euses du port de Fos ne veulent pas être complices de massacres, de perte de vies humaines ».
Ce qui diffère des déclarations d’un autre syndicaliste CGT, d’Aubert&Duval lui, qui disait en 2022 : « le désarmement et la paix, on en rêve, mais il faut vivre, on n’a pas le choix ».
D’ici, nous ne pouvons que saluer l’initiative (relayée jusqu’aux dockers de Gênes !) des dockers de Fos !
D’autant plus qu’elle met en lumière l’activité mortifère d’une usine par ici, en l’occurrence à Firminy.
Le ministre des affaires étrangères a eu beau bafouiller quelques phrases contradictoires (passant de « on livre pas d’armes à Israel » à « ou alors seulement pour la défense » ... lol) il n’empêche que chez Aubert&Duval, ça fabrique du lourd !
On peut faire quelques rappels grâce à la presse économique qui, probablement en sentant que Disclose farfouillait, a multiplié les articles élogieux sur la boite ces derniers jours, histoire de faire contre-feu à un éventuel scandale. Faudrait pas que la mauvaise pub fasse perdre l’espoir d’arriver à 1,3 Milliards d’euros de chiffre d’affaire espérés pour 2025, contre 844 millions en 2024.
Premièrement, c’est un ancien de Safran (moteurs de Rafale notamment) passé par la tête du fabricant de moteurs pour missiles Roxel qui est, depuis le 1er janvier, le PDG d’Aubert&Duval. Avoir un patron de ce pedigree ça donne un peu la couleur en terme de « perte de vies humaines », non ?
Même si selon L’Usine Nouvelle, l’armement constitue « seulement » 13% du chiffre d’affaire (qui devrait à terme arriver à 20% selon le même article). (Notons que 13% d’un milliard ça fait quand même 130 millions). Auxquels on peut peut-être rajouter les 14% provenant de « l’énergie », ça dépend comment on coche les cases. En effet, la boite participe à la construction des fûts des EPR2 de Macron, mais aussi au programme secret du futur PANG (porte avion nouvelle génération) en fournissant des blocs d’acier pour la cuve de son réacteur nucléaire. On rappelle que les porte avions portent des ... avions, notamment les Rafale (qui eux portent des bombes atomiques mais c’est une autre histoire hein).
Aubert&Duval étant aussi productrice de pièces en titane (russe principalement), elle fabrique des pièces essentielles pour les moteurs M88 des Rafale de Dassault, mais aussi pour le missilier MBDA ou ArianeGroup ou les trains d’atterrissage d’Airbus.
En 2022, Le Monde dressait déjà un portrait dithyrambique sur la boite, dévoilant que c’est à Firminy qu’on fabrique les fûts du fameux canon CAESAR qui « s’est particulièrement distingué sur le champ de bataille » en Ukraine (près d’un million de mort.es et blessé.es à ce jour). Fort de leurs « succes » (=tuer en masse avec 6 obus par minute à 40km de distance), ces canons se vendent comme des petits pains dans le monde entier, faisant le bonheur des industriels, notamment KNDS l’assembleur final dont les joujous blindés font aussi gros « succès » au Soudan où depuis 2023 une guerre a déjà fait 150 000 mort.es et plus de 12 millions de déplacé.es.
En conclusion, et avec la centaine de personnes qui, à Marseille, ont manifesté leur soutien aux dockers, maintenant que « nous » sommes « contre toute perte de vie humaine » à nous de dégager le patron d’Aubert et Duval et d’arrêter la production d’engins de morts !

4. Soudan
A propos du Soudan, un article du Monde Diplomatique de juin, intitulé « le viol des soudanaises » signé Fatin Abbas revient sur la révolution de 2018-2019 qui a mis fin aux 30 ans de dictature militaire d’Omar Al-Bechir, elle retrace le parcours des protagonistes de la guerre en cours, montrant qu’ils étaient déjà dans des branches armées du gouvernement d’Al-Bechir, et souligne aussi l’état de fait de la violence sexiste durant la dictature et donc aussi :
Il n’est pas étonnant que les femmes se soient trouvées aux avant-postes du soulèvement de 2018-2019. Des femmes de tous âges, classes et professions, issues de tout le pays, ont mené des manifestations et participé aux comités de résistance. Les vendeuses de thé et autres marchandes des rues organisaient le ravitaillement en nourriture et en eau pendant les sit-in, les étudiantes et les femmes au foyer défilaient, des diplômées de la classe moyenne apportaient une aide juridique et participèrent à la grève générale.
Mais aussi que :
La violence systématique infligée aux femmes dans la situation actuelle doit donc être comprise aussi comme une réponse à la révolution de décembre 2019. La guerre cherche à restaurer non seulement le statu quo politique - le règne des forces armées, qu’il s’agisse des milices ou des militaires -, mais aussi le statu quo de l’oppression de genre. Elle est menée contre le corps des femmes - de même que l’esclavage et les dictatures islamistes le visaient d’abord. C’est une tentative de ramener les femmes à l’état d’objets impuissants de la domination sexuelle des hommes.
Si d’autres travailleur.euses, en solidarité avec les dockers de Fos-Marseille, ne veulent pas « être complices de pertes de vies humaines », un dossier de France24 a tenté de retracer le parcours d’armes européennes jusqu’aux mains des milices soudanaises.

5. Un historien revient de Gaza
Dans son livre « Un historien à Gaza », paru le 28 mai aux Arènes, Jean-Pierre Filiu raconte son séjour de trente-deux jours, du 19 décembre 2024 au 21 janvier 2025, au sein de l’enclave palestinienne. Un témoignage dont « Le Monde » a publié des extraits,en voici 3.
En cette fin de 2024, les évaluations par l’ONU de la catastrophe humanitaire donnent le tournis : 87 % des bâtiments d’habitation (soit 411 000) ont été détruits totalement (141 000), sévèrement ou partiellement (270 000). Plus de 80 % des commerces et deux tiers du réseau routier sont hors d’usage. 1,9 million de femmes, d’hommes et d’enfants ont dû fuir d’une à dix fois, une enquête menée auprès des 800 employés locaux de MSF livrant une moyenne de cinq déplacements consécutifs.
Vu depuis la bande de Gaza, c’est bel et bien sur le front médiatique qu’Israël a remporté sa seule victoire incontestable du conflit. Une victoire d’autant plus facile que la presse internationale ne s’est pas beaucoup battue pour exercer son droit à l’information libre à Gaza. (…) C’est ainsi que les victimes de Gaza sont tuées deux fois. La première fois quand la machine de guerre israélienne les frappe directement dans leur chair ou les étouffe à petit feu sous leurs tentes. La seconde quand l’intensité de leur souffrance et l’ampleur de leurs pertes sont niées par la propagande israélienne, quand elles ne sont pas accusées d’être collectivement ou individuellement des « terroristes ». Les médias occidentaux qui ont accepté d’être interdits de Gaza continuent pourtant de professer un improbable équilibre entre l’envahisseur et les populations qu’il refoule et affame sur leur propre terre. Et ils sont encore nombreux à ne pas traiter sur un pied d’égalité les journalistes palestiniens qui risquent leur vie, jour après jour, pour informer le monde sur l’enfer de Gaza.
Gaza est désormais livrée aux apprentis sorciers du transactionnel, aux artilleurs de l’intelligence artificielle et aux charognards de la détresse humaine. Et Gaza nous laisse entrevoir l’abjection d’un monde qui serait abandonné aux Trump et aux Nétanyahou, aux Poutine et aux Hamas, un monde dont l’abandon de Gaza accélère l’avènement.

6. En bizzbizz avec la Russie
On a beau nous répéter que "Poutine" (voire "la Russie") est très très méchant, en réalité pour certains trucs on veut bien continuer le bizness. Par exemple le titane pour l’aéronautique provenait principalement de Russie et du Kazakhstan. Mais chez Aubert&Duval (tiens encore eux), avec leur filiale EcoTitanium : "« Nous accélérons sur le titane pour permettre à nos clients de ne plus être dépendants du métal russe », indique M. Galan, sans donner plus de détails."
Un autre domaine où l’économie russe est indispensable c’est le nucléaire. On assiste ces jours-ci à un "étonnant mariage entre Framatome (France) et Rosatom (Russie)".
Une discrète coentreprise entre une filiale d’EDF et Rosatom, à Lingen, attise les critiques. Contre intuitivement, il s’agirait d’un mal nécessaire pour permettre à Bruxelles de mieux se défaire de Moscou. L’approvisionnement en combustibles nucléaires d’une vingtaine de réacteurs du Vieux Continent est en jeu.
L’étonnant mariage entre Framatome, la filiale d’EDF spécialisée dans la conception de chaudières nucléaires et l’assemblage de combustibles, et le géant Rosatom, qui alimente directement l’appareil de guerre de Moscou contre Kiev, illustre parfaitement cette servitude dans laquelle est empêtré le Vieux Continent. Cette union controversée est censée aboutir à la naissance d’une nouvelle ligne de production en Allemagne. Mais alors que la décision des autorités locales et fédérales se fait toujours attendre, les critiques de la société civile, elles, se multiplient et animent les débats dans un pays ayant tourné le dos à la fission nucléaire.

7. Hiroshima&Nagasaki
Si en Aout, on n’est pas encore étouffé.es par les nuages de l’incendie canadien (qui ne sera pas éteint), nous pourrons au moins avoir une pensée pour les victimes des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki des 6 et 9 aout 1945 qui aujourd’hui encore, 80 ans après, souffrent de la radioactivité. Ces nuages, eux, étant invisibles, on ne saura jamais à quelle frontière ils se sont arrêtés.
A ce sujet, on attend avec impatience le 17 juin pour la publication du rapport de la commisssion d’enquete parlementaire sur les essais nucléaires français en Polynésie, il se pourrait bien que le CEA ait un peu menti sur les dosages...suspens... en tout cas, les quelques pages du vote final déjà accessibles sont fort intéressantes : on y apprend par exemple que la modernisation de l’arme atomique couterait en France 17 millions d’euros ... par jour ! (ça fait combien de RSA ?)

8. Pakistan-Inde (1-0)
Les désastres de la 2e guerre mondiale n’ont pas empêché début mai le Pakistan et l’Inde (deux pays dotés de 170 ogives nucléaires chacun) de se livrer à la plus grande bataille aérienne de l’histoire. Résultat, il semblerait que un ou des avions Rafale que la France a abondamment vendu à travers le monde n’ait pas résisté au ballet contre des J-10 chinois achetés par le Pakistan. Ce qui pourrait inquiéter Dassault en tant que vendeur, mais aussi tout civil qui se trouverait dans un large rayon autour d’une zone de combat puisqu’on rappelle que les avions Rafale sont conçus pour porter des missiles nucléaires. Mais après tout, comme le dit un ancien pilote dansl’article de La Croix, du 28 mai :
« Dans un combat de haute intensité, il faut s’attendre à perdre des avions, c’est le propre du combat, nuance l’ancien pilote de Rafale. Le Rafale est un avion de combat de premier plan, depuis quarante ans, il ne cesse de se perfectionner. Pour autant, il n’est pas invulnérable : il n’existe pas d’arme invincible. »
le même article se conclut par :
le mal est fait pour New Delhi : Islamabad a bien gagné la bataille de la communication. Pékin s’en réjouit, les actions de sa société Avic Chengdu Aircraft, qui fabrique les J-10, ont bondi de plus de 30 %, après cette bataille aérienne hors norme.

9. Conclusion ponctuelle : est-ce que ce monde est sérieux ?
Entre les vendeurs d’armes et les politicien.nes complices, les prisons à ciel ouvert, les dictatures militaires, le péril atomique et le fait qu’on évalue la réussite d’une bataille à sa portée économique en bourse, il y a de quoi flipper.
Alors peureux.ses de tous les pays, unissons-nous et mettons fin à toutes les escalades guerrières !
Les guerres ne sont pas des cauchemars, elles sont bien réelles !
La démilitarisation des sociétés n’est pas un rêve, il s’agit de le vouloir !
Compléments d'info à l'article