Début octobre, lors de son discours à l’ENAP (École Nationale de l’Administration Pénitentiaire), Manuel Valls avait déclaré : « la situation dans les prisons est dramatique, notamment dans les Maisons d’arrêt (MA) où le taux de surpopulation atteint 140% » [1]. Le Premier ministre, accompagné du ministre de l’enfermement et des prisons, Jean-Jacques Urvoas, compte donc remédier à cette situation qui le préoccupe au plus haut point et annonce la construction de "33 nouvelles prisons, 32 MA et un Centre Pénitentiaire" [2]. Pour Urvoas, il s’agit en effet de répondre aux règles pénitentiaires européennes qui imposent l’encellulement individuel, ce qui implique « la réalisation de 10 000 à 16 000 cellules supplémentaires ». Les préfets des territoires concernés par ce nouveau programme sont sommés de trouver les terrains avant le 16 décembre. Dans la Loire, c’est la commune de Saint-Bonnet-les-Oules qui serait l’heureuse élue. Cette nouvelle prison de 550 places devrait remplacer définitivement la trop « vétuste » (et trop petite !) prison de La Talaudière de 327 places.
Ce n’est pas la première fois qu’en période pré ou postélectorale, les gouvernants de tous bords nous pondent un plan de construction de nouvelles prisons. Du "programme 13000" du Garde des Sceaux Chalendon en 1987, en passant par le "programme 13200" de Perben en 2002, force est de constater que l’enfermement des êtres humains est un sacré business électoral. À chaque fois, on retrouve les mêmes discours qui s’appuient sur deux piliers en apparence contradictoires : améliorer le bien-être des détenus d’une part, et d’autre part, la préoccupation d’en accroître le nombre. Électoralement c’est tout bénef ! D’un côté on passe pour des humanistes désireux d’offrir des conditions de détention "dignes de la République", de l’autre on met fin "au laxisme et à l’angélisme en matière judiciaire". La réalité est que la construction de nouveaux établissements n’a jamais résolu le problème de la "surpopulation carcérale" car le taux de suremprisonnement [3] de la population n’a cessé de croître ces dernières années [4].
Mais l’enfermement des êtres humains est aussi un marché bien juteux et les logiques qui sous-tendent à la construction de ces nouvelles prisons ont quelques points communs avec celles qui président aux "Grands Projets inutiles et imposés" (GPII). Parce que les instruments juridiques dans lesquels s’insère la construction des prisons sont les mêmes que pour les GPII, à savoir les fameux Partenariats publics privés (PPP) [5]. Par ce tour de passe-passe juridique, l’État délègue la construction et l’exploitation des prisons au secteur privé et ne conserve que les missions "régaliennes", la surveillance des êtres humains qui y sont enfermés. Tout le reste, cantine, distribution des repas, maintenance des bâtiments, nettoyage des locaux, travail (esclavage) dans les ateliers, etc. sont à la charge des entreprises privées. L’État finance la construction de ces établissements en réglant un loyer à l’entreprise prestataire et après une trentaine d’années, il devient propriétaire des lieux. En ce qui concerne les récentes constructions de prisons, les groupes Bouygues et Eiffage dominent le secteur et se partagent les trois quarts des marchés. Le dernier quart comprend les deux autres principaux acteurs du béton, Spie Batignolles et Vinci. Un exemple parmi d’autres, en 2008, le groupe Bouygues signe avec Rachida Dati un PPP pour la construction, la réalisation, l’entretien et le financement de trois nouvelles prisons (Nantes, Annoeullin et Réau) [6]. En contrepartie l’État verse un loyer annuel de 48 millions d’euros pendant 27 ans. Pour le reste, Sodexo s’occupe de la cantine et la société Gepsa, filiale du groupe GDF Suez se charge de la "gestion" de l’établissement (formation professionnelle, cantines pour les détenus, ateliers, etc.) Cela va sans dire que ce lucratif trafic se fait sur le dos des personnes enfermées et leurs proches [7].
Ces prisons du XXIe siècle — propres, aseptisées, ultra sécurisées, vidéosurveillées, automatisées, dans lesquelles la vie sociale est réduite à peau de chagrin — s’imposent dans les périphéries de nos métropoles, au même titre que tous les autres projets d’aménagements mis en œuvre par les seigneurs du béton ; autoroutes, aéroports, LGV et barrages de Vinci, Eiffage, Bouygues et consorts.
"Non à la prison", ni à Saint-Bonnet-les-Oules ni ailleurs !
Compléments d'info à l'article
1 complément