Perdre Le Fil : les tranchées du numérique en temps d’occupation
Au fil des mois, les occupations d’usines et de théâtres progressent. Les algorithmes rendent ses actions invisibles sur les réseaux sociaux et donnent du fil à retordre aux militant·e·s qui s’épuisent. Toutefois, les luttes continuent sur le terrain comme dans le 2.0.
En janvier 2021, la raffinerie de Grand puits, propriété du groupe Total a vécu un mois de grève dure. Le point d’orgue de cette mobilisation, devant le siège du groupe à Paris, a réuni de nombreuses têtes d’affiche nationales et surtout plusieurs associations écolos, ceci dans une indifférence médiatique proprement hallucinante. Une grève de raffineurs, rejoints par des écolos… Enfin une convergence réelle et aucun écho, ou si, peu dans les médias dits mainstream. Ok, ce silence ici passe encore, disons que c’est logique… Mais dans les milieux militants et malgré les efforts de quelque-un·e·s on ne trouve pas mieux. La Convergence avec un C majuscule, celle qui tombe du ciel par miracle, fait recette. Par contre, les convergences bien réelles passent et se succèdent sans attirer l’attention des regards braqués vers le ciel d’une Convergence fantasmée…
Le pire dans cette histoire n’est même pas là. Le pire, c’est l’avancée silencieuse de la censure 2.0, une invisibilisation numérique presque totale du rassemblement devant le siège du groupe du même non : le soir même et les jours suivants, dans Google et dans Google actualités, en faisant la recherche explicitement, les articles les plus récents avaient quelques jours au mieux, le plus souvent plusieurs semaines. Il fallait vraiment chercher pour trouver quelques infos sur Facebook ou Twitter. Pour le reste, la chape de plomb 2.0 fonctionne à merveille. Rien n’est vraiment censuré mais les algorithmes repoussent tout systématiquement en bas de la pile. Suivre les mobilisations demande de plus en plus d’efforts, alors imaginez le résultat pour celleux qui ne se donnent pas cette peine, ou même pire la fuient.
C’est à en perdre le fil… Celui de Facebook, celui d’Ariane… Alors que pendant ce temps là dans le labyrinthe le minotaure gagne du terrain !
En mars 2021, c’est au tour des intermittent·e·s de la CGT spectacle et de la CIP de s’y mettre. Le théâtre de l’Odéon est occupé. Organisé·e·s, ces militant·e·s se sont assuré·e·s de la présence du journal l’Humanité, en live sur Facebook, durant l’arrivée dans le bâtiment. Aucune reprise dans les autres médias le lendemain ou le surlendemain. Il faudra attendre quelques jours et la venue surprise de Madame la ministre de l’inculture, spécialiste de la casse des services publiques, notoirement connue pour son record de fermeture de lits d’hôpitaux, pour qu’enfin quelques brèves apparaissent de-ci de-là. Les rares percées de la chape de plomb pendant les premières semaines d’occupation aurons été très sporadiques et largement dépolitisées. Même dans Le Média, pourtant engagé et militant, le premier reportage n’aura fait aucune mention de la revendication principale des occupant·e·s : le retrait de la réforme de l’assurance chômage qui doit entrer en vigueur au 1er juillet prochain. Enfin une corporation qui se dépasse, via la CIP qui essaye depuis des années de mettre en avant tou·te·s les intermittent·e·s de l’emploi [2]. Enfin une occupation qui, contre vents et marées, entraîne derrière elle un mouvement : une dizaine d’occupations après une semaine, un doublement quotidien des occupations pendant quelques jours, une centaine au bout d’un mois, des occupations itinérantes dans certains territoires de montagne… Et puis rien. Ou si peu. Du moins pas à la hauteur des événements. Pas dans le grand public, il est trop dépendant de la couverture médiatique. Dans les réseaux militants connexes on est épuisés, l’énergie restante étant focalisée sur la multitudes des autres attaques en cours. Pourtant, ce serait le moment ou jamais de joindre nos forces, dans le sillage des occupations, elles mêmes se plaçant dans le sillage des Gilets Jaunes : une multitude de rassemblements et manifestations, 100 raisons au hasard des samedis !
Pendant ce temps là, dans le fin fond des tranchées du numérique, des activistes se battent contre la censure 2.0. Certains jours sont sombres et la lutte se fait avec l’énergie du désespoir, d’autres jours sont plus lumineux avec l’espoir d’un renversement en cours.
C’est à en perdre le fil… Celui de Facebook, celui d’Ariane… Heureusement à Saint-Étienne Le Fil est occupé !
Première Scène des Musiques Actuelles, Le Fil Social rebaptisé Ambroise Croizat est bien occupé à mettre sur le devant de la scène la double revendication principale : le retrait de la réforme de l’assurance chômage ET la conquête de droits nouveaux, détachés de l’emploi et enfin attachés à la personne ! Le basculement définitif est à portée de nos mains, tous les jours qui passent le rende plus inévitable et plus indispensable. Faisons en sorte qu’il se fasse du coté de l’entraide plutôt que du coté des replis, faisons sauter la chape de plomb, la censure 2.0, les frontières et reprenons Le Fil et/de nos luttes !
Mettre l’avenir à portée de main
Fin mars, étudiant.e.s de l’école des Beaux-Arts de Saint-Étienne, artistes, intermittent.e.s de l’emploi, professeur.e.s de l’éducation nationale, chômeur.euse.s, lycéen.ne.s, rsastes et autres ont occupé l’ancienne école des Beaux Arts de Saint-Étienne, renommée pour l’occupation « manufacture des arts ». Pour son dossier consacré aux jeunesses, Couac a recueilli les textes de trois jeunes (et moins jeunes) occupant.e.s. S’y dessinent des esquisses de leurs volontés pour Saint-Étienne et un appel à la vitalité de la vie.
Furan Furax
La France est devenue rance de nos rancœurs enracinées dans la fureur du Furan récipiendaire de nos excréments. Extrêmement tristes des rites rigides du mérite, de l’État, des tas de merde colérique, coliques de nos rêves avortés, glissent sur le canal que nul jamais n’aperçoit, égout dégoûtant mystifié à l’extrême à l’instar des extrêmes qui nous guettent non loin. Ça pue et ça tue dans la ville-pestilence, le silence des rues, tous ces gens disparus aux horaires en vigueur, la rigueur mortifère de l’enfer policier qui pollue notre salut, qui salit nos espoirs et nous assassine de l’intérieur. Maudits ministères.
Des führers de pacotille jouent les grands empereurs et se jouent de nos peurs en ignorant nos pleurs : le pilori, la guillotine, la potence ! Nous avons le potentiel de transcender le distanciel sous un même ciel malgré le fiel ductile qui nous embourbe et l’odeur de la merde qui nous étouffe, dans nos muselières de caniches dociles et galeux et soumis, mis à l’amende, mendiant pour une minute d’existence un peu moins rance.
J’entends le glou-glou du Furan sous mes semelles embouées, le sauvetage s’éloigne mais l’espoir ne meurt pas : il nourrit la colère ! La colique et l’alcool, colportés par ce Nil invisible et nihiliste qu’on nie, qu’on ignore, voguent sans faire de vague vers des océans de plastique, vers les tortues gloutonnes de cocktails dont il ne reste que la paille. Vers des océans de merde diluée dans l’illusion que façonnent nos empereurs, dans leurs palais de verre qui chatouillent le firmament qui ne s’en amuse même pas. Il ne rit pas car jamais le Furan ne l’a reflété, il ne rit pas et ça le rend furieux.
Le tonnerre gronde gravement, ou peut-être est-ce le son furibond de La Marseillaise, cette ivrogne belliqueuse ni belle ni souveraine. Le rouge et le bleu des gyrophares, sur les murs des préfectures du malheur, dessinent quatre lettres : la première, la troisième, la première, la seconde. Le Furan les lavera à grande eau polluée de calcaire, de calculs rénaux, quel calvaire.
Ne plus vivre que chez soi et sortir pour se divertir, exister c’est se manifester
Ne plus vivre que chez soi et sortir pour se divertir, exister c’est se manifester, se montrer, sortir de ; où habitons-nous ? Les sollicitations veulent se faire voir et passifs on les laisse, elles gagnent en force et nous repoussent en nous-mêmes, on ne connaît plus nos villes, nos lieux de vie, on ne regarde plus.
On accepte les images parce qu’elles sont partout, mais les images veulent nous vendre et ne se lisent pas, gouvernance et aménagement ne sont que les reflets locaux d’une direction de laquelle on nous écarte. Que fait la vie dans une image dont les bords sont tous cadrés, et qui encerclent sans jamais révéler ce qu’il y a à voir ? Ils laissent faire l’appropriation culturelle et les délires de graphicommunication pour encore construire au lance-pierre une ville qu’ils ne veulent pas nôtre ; mais c’est bien la nôtre.
La peur de l’autre, refusons-la, ils nous l’ont trop servie sur un plateau, comme si nous ne devions pas essayer de comprendre, que nous ne pouvions pas appréhender ce qui est différent. Ils nous indiquent l’ennemi, regardez ce sont eux, allez déverser votre colère sur eux. Non. Ne les laissons plus nous fournir ce qu’ils veulent pour encore un au-dessus qui ne cherche qu’argent et contrôle. Refusons-la leur peur millénaire de la vie, refusons-la parce que nous pouvons choisir différent et la colère, la belle colère peut exploser leur infiltration et nous pourrons encore, toujours construire contre eux.
Ville mixte qu’ils veulent éclater, redonnons du sens, revenons, habitons, réapproprions-nous les murs, les vitres, les pavés, combattons la passivité et l’absence. Relevons-nous les uns les autres, révélons la puissance des corps qu’ils ont voulu détruire et avant qu’ils ne finissent les travaux du décor, nous serons là. Nous ne participerons plus à la course, nous imposerons des règles qui ne seront jamais écrites.
Nous habitons ici, pareil que
Nous habitons ici, pareil que
tout le temps
Qu’on bouge
Que les visages soient pareils
On habite ici
Et là on s’organise
parce que être pauvre
c’est pas être mort
Et que dans la tête il faut lutter
contre les injonctions à la tristesse
La rue n’est pas qu’un plan
C’est là qu’on vit.
La manufacture d’art
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