Prolongeant une tradition d’entraide remontant au Moyen-Âge, les premières mutuelles ouvrières furent créées en France au XVIIIe siècle. Tolérées par un pouvoir qui depuis les lois d’Allarde et Le Chapelier de 1791 surveillait toutes formes d’organisations ouvrières, elles furent légalisées en 1850 et 1852, par des lois qui, tout en reconnaissant leur existence, cherchaient à les contrôler.
Les caisses de secours miniers découlèrent d’un souci de protection. Déjà en 1604, un édit imposa aux propriétaires de mines de consacrer un trentième des bénéfices pour secourir gratuitement « les pauvres blessés ». En 1813, après plusieurs catastrophes minières, Napoléon 1er prit 2 décrets pour obliger les exploitants à observer des mesures de sécurité, prévoir et prendre en charge les dépenses liées aux accidents. Mais l’État et son administration des Mines agissaient aussi par souci d’économie. Gérées par les compagnies minières, ces caisses devaient, dans l’esprit de l’administration des Mines, être financées pour moitié par des cotisations des ouvriers, pour moitié par des versements des compagnies. Leur mise en place, très progressive à causes des réticences des compagnies, provoquèrent diverses réactions des mineurs de la Loire : refus de payer les cotisations puis, dès les années 1840, nombreux procès contestant les conditions et les montants des aides attribuées, et revendications à leur sujet lors de toutes les grèves, en 1840, 1844, 1852…
En 1865, deux mineurs, soutenus par leurs camarades, intentèrent des procès à leurs compagnies, refusant de payer leurs cotisations tant qu’ils n’auraient pas obtenu, puisqu’ils payaient, que les comptes soient publics, de pouvoir les contrôler et participer aux décisions. Les mineurs de la Loire se cotisèrent pour faire défendre leur cause par Jules Favre, avocat et homme politique républicain. Le procès fut plaidé le 4 mai 1866 et les deux plaignants furent déboutés, car leurs compagnies avaient depuis peu donné accès aux comptes des caisses pour les dernières années.
Le 29 mai, vingt-cinq mineurs demandèrent au préfet, l’autorisation de se réunir. Il la leur accorda aussitôt. Le 9 juin, ils adoptèrent les statuts qui furent approuvés en novembre. Leur rédaction, très détaillée et très aboutie, montre un projet en gestation depuis longtemps. La rapide approbation par la préfecture, sans demande de modification, laisse penser qu’ils ont été négociés avec le préfet, avant même la fin du procès. Dans cette période de l’Empire libéral, Napoléon III cherchait à se rendre populaire auprès des ouvriers, pour contrer l’influence grandissante des républicains.
La Fraternelle est donc une mutuelle ouvrière, complémentaire des caisses de secours gérées par les compagnies. Elle cherche à les remplacer, grandit rapidement et regroupe 5 000 mineurs du bassin en 1868. Ses réserves financières en font la deuxième mutuelle ouvrière de la Loire après celle des chapeliers de Chazelles-sur-Lyon. Pourtant elle disparut quelques années après la grande grève des mineurs de la Loire en 1869, marquée par le retentissement national de la fusillade de La Ricamarie et ses quatorze morts. Certain de ses animateurs furent renvoyés par les compagnies ou condamnés dans les procès de la grève.
La Fraternelle marqua une étape importante de l’histoire du mouvement ouvrier de la Loire : elle a été la première grande organisation entièrement créée par et pour les mineurs, et regroupant des milliers d’entre eux. Au-delà de ses fonctions de protection sociale et des discussions qui l’ont agitée, elle a contribué aux débats sur leurs revendications et à l’organisation de la grève de 1869. Son expérience, et celle des luttes des mineurs du bassin, en particulier à propos des caisses de secours, inspirèrent Michel Rondet, qui en a été l’un des créateurs et le vice-président, et qui fonda en 1883 la Fédération des mineurs de France, première fédération syndicale professionnelle en France.
Dans l’article 16 de ces statuts, les exclusions pour « condamnation infamante » et pour « conduite notoirement scandaleuse et déréglée » sont probablement des demandes du préfet. L’article 40, sur les conditions qui excluraient les aides financières, ont probablement la même origine. On les trouve dans presque tous les règlements de caisses de secours miniers. Les conditions très strictes du fonctionnement interne, et les amendes auxquelles donnent lieu les manquements des membres ou des administrateurs, correspondent à celles de toutes les associations de l’époque, y compris les plus anodines.
Le souci de respectabilité, et celui d’empêcher tout ce qui pourrait gêner le fonctionnement de l’association, sont vifs chez les ouvriers, comme dans toutes les autres catégories de la population.
Les articles 41 à 45, sur la participation aux enterrements, montrent le souci de la « bonne mort », qui imprègne la société française du XIXe siècle. N’avoir que l’enterrement des pauvres, et personne pour le suivre, est une honte dont on cherche à se prémunir, et que l’adhésion à La Fraternelle permet d’éviter. Il faut, même dans la mort, montrer que l’on est respecté.
Victor Bréchignac, avocat de plusieurs compagnies minières, reproduisit ces statuts en 1869, dans le livre qu’il publia alors sur les caisses de secours miniers de la Loire, avec ceux de nombreuses caisses.
Jean-Paul GASCHIGNARD
Statuts de la Caisse fraternelle et de prévoyance des ouvriers mineurs des compagnies dont le siège est à Saint-Étienne
Chapitre 1er – But de la Société
Art. 1er – La Société a pour but d’accorder aux Sociétaires malades les secours du médecin et non ceux des médicaments, des secours en espèces dont le taux et la durée seront ci-après indiqués ;
Des secours temporaires, lesquels seront fixés par le bureau, aux Sociétaires malades devenus incurables ;
De pourvoir d’une manière convenable à leurs funérailles, et enfin d’accorder à la veuve, aux orphelins ou aux descendants un secours extraordinaire qui sera fixé par le Bureau.
Primitivement, il ne sera pas institué de pension pour la vieillesse ou l’infirmité ; mais après que la Société aura fonctionné une année, et, au besoin, deux années, l’assemblée générale décidera s’il y a lieu et si les ressources de la caisse le permettent d’en établir une, et alors, s’il y a lieu, un nouvel article à ce sujet sera ajouté aux Statuts[2].
Chapitre II- Composition de la Société
Art. 2 – La Société se composera de membres sociétaires et de membres honoraires ou associés libres.
Art. 3 – Les Sociétaires seront les ouvriers mineurs et en général tous les ouvriers travaillant pour les compagnies houillères dont le siège est à Saint-Étienne, qui auront souscrit et pris l’engagement de se conformer aux présents Statuts, lesquels participeront aux avantages de l’association.
Art. 4 – Les membres honoraires seront ceux qui, par leurs soins, conseils et souscription, contribueront à la prospérité de l’association sans participer à ses avantages.
Art. 5 – Le nombre des Sociétaires est, comme celui des membres honoraires, illimité.
Chapitre III – Conditions et mode d’admission et d’exclusion
Art. 6 – Pour être admis dans la Société, il faudra être ou avoir été employé dans les compagnies houillères, être valide et n’avoir pas plus de trente-cinq ans. Par exception, on pourra se faire recevoir jusqu’à un âge illimité pendant les six premiers mois qui suivront la date de l’approbation par l’autorité supérieure des présents Statuts.
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