Actualité et mémoire des luttes à Saint-Étienne et ailleurs
MÉMOIRE MOUVEMENT OUVRIER
SAINT-ÉTIENNE / PARIS & ALENTOURS  
Publié le 11 juin 2023 | Maj le 29 mai 2023

11 juin 1832 : naissance de Jules Vallès


Né le 11 juin 1832 au Puy-en-Velay (Haute-Loire), de Jean-Louis Vallez, alors maître d’études au collège de la ville, et de Julie Pascal, « ménagère » ; mort à Paris le 14 février 1885. (Jules Vallès substituera un s au z final de son nom ; c’est par erreur, son acte de naissance le prouve, que le dictionnaire Larousse le fait naître en 1833). Journaliste et écrivain ; membre de la Commune de Paris.

L’œuvre de Jules Vallès est multiple et son influence a été considérable. Membre de la Commune, combattant, proscrit, il est plus encore un publiciste et un romancier dont le rayonnement n’a fait que croître et inspire toujours des disciples ou des études critiques.
Vallès paraît avoir tracé lui-même sa biographie dans la trilogie des Vingtras ; mais « ce n’est pas un portrait flatté de l’original », et la thèse non pas exhaustive peut-être, mais dense autant qu’exacte de Gaston Gille (1941) donne de sa vie une idée plus rigoureuse. De souche doublement paysanne, demeuré par bien des traits un terrien, Vallès connut des milieux divers au gré des postes successifs de son père : il fut élève de 7e au Puy en 1841, fréquenta jusqu’à la 3e le lycée de Saint-Étienne et arriva à Nantes en 1847. Élève brillant, moins malheureux qu’il ne l’a dit sans doute, mais pauvre et mal vêtu, il s’enthousiasma en 1848 pour la révolution qui, à Nantes, vit un cortège envahir et débaptiser la place Royale, avec à sa tête le docteur Guépin, les pères de Waldeck-Rousseau et de Georges Clemenceau. On l’envoya alors à Paris, où la pension Lemeignan lui fit suivre les cours du lycée Bonaparte (Condorcet) ; mais il n’emporta aucun prix au Concours général, dut réintégrer Nantes et échoua en avril 1850 au baccalauréat de philosophie. En 1850, il était de retour à Paris et se lia avec les plus enthousiastes des étudiants ; après avoir soutenu de ses acclamations le cours de Michelet et pris part aux luttes contre le Coup d’État du 2 décembre 1851, il eut peur et se réfugia à Nantes ; mais son père, effrayé, le fit passer pour fou et interner deux mois ! Libéré sur les instances de son ami Arthur Arnould, il rallia la capitale et y mena la vie d’un étudiant besogneux ; reçu à un examen de droit malgré un premier échec en 1854, il ne poursuivit pas et se consacra ardemment aux luttes politiques. Il fréquenta alors des cabinets littéraires, travailla l’après-midi à la Bibliothèque nationale et le soir à Sainte-Geneviève. Mais sa vie était difficile, et ses articles au dictionnaire Bécherelle, truffés de citations fantaisistes, ne suffisaient pas à le nourrir.
Fatigué de donner des répétitions ou d’écrire des brochures publicitaires, il se fit pion au lycée de Caen où il eut pour élève Brideau ; mais le surveillant ravi prit la tête d’un chahut nocturne ! et il dut quitter la Normandie après un séjour de huit mois. 1860 le retrouve expéditionnaire à la mairie de Vaugirard (Seine), bureau des naissances, pour un salaire annuel de 1 200 f ; il y resta quatre ans, jusqu’au jour où d’une conférence sur Balzac (15 janvier 1865) il fit un réquisitoire où il exaltait le peuple souverain ; discours moins fracassant qu’il ne le dit, mais qui marqua son entrée dans la lutte politique ouverte et le fit remercier.
Dès lors il vécut de sa plume, fonda La Rue en 1867 et s’inscrivit parmi les ardents adversaires du régime. Le 18 février 1868, un article contre les brutalités policières (Le Globe) lui valut un mois de prison et 500 f d’amende ; le 30 octobre 1868, il fut condamné à un séjour de deux mois à Sainte-Pélagie pour semblable délit et sortit de prison pour briguer un mandat législatif contre Jules Simon dans les quartiers de Picpus, Bercy et l’arr. de Saint-Denis. Il proclamait alors : « J’ai toujours été l’avocat des pauvres, je deviens le candidat du travail, je serai le député de la misère ! » La misère !
« Tant qu’il y aura un soldat, un bourreau, un prêtre, un gabelou, un rat-de-cave, un sergent de ville cru sur serment, un fonctionnaire irresponsable, un magistrat inamovible ; tant qu’il y aura tout cela à payer, peuple, tu seras misérable ! »
Il recueillit seulement 7 000 voix contre 30 000 à son adversaire. On le trouva — naturellement — aux funérailles de Victor Noir. Puis ce fut la guerre, la défaite, l’écroulement de l’Empire et la proclamation de la République. Il appartenait alors à la loge l’Écossaise 133 avec Eudes et Lefrançais.
Avec ses amis du Comité central des vingt arrondissements auquel il appartenait, il présenta, le 15 septembre 1870, les mesures d’urgence que le gouvernement de la Défense nationale aurait dû, selon les signataires, se hâter « de transformer en décrets pour le salut de la patrie et de la République ». Ces mesures intéressaient la sécurité publique, les subsistances et les logements, la défense de Paris et des départements.

Vallès participa à la journée révolutionnaire du 31 octobre et, le 6 janvier 1871, fut un des signataires de l’Affiche rouge, proclamation au peuple de Paris pour dénoncer « la trahison » du gouvernement du 4 septembre et pour mettre en avant trois mots d’ordre : Réquisition générale, rationnement gratuit, attaque en masse. Elle se terminait par ces mots : « Place au peuple ! Place à la Commune ! ».
Pour sa participation au 31 octobre, Vallès fut condamné à six mois de prison (12 mars 1871) : mais son rôle avait surtout été de palabres à la Corderie — bien qu’il ne fût pas membre de l’Internationale. Le 22 janvier, il était en spectateur place de l’Hôtel-de-Ville. Dans son Cri du Peuple au nom proudhonien il prophétisait un mois plus tard : « La Sociale arrive, entendez-vous ! Elle arrive à pas de géant, apportant non la mort, mais le Salut ».
Il avait été au nombre des 43 socialistes révolutionnaires présentés aux élections du 8 février par l’Internationale, la Chambre fédérale des sociétés ouvrières et la Délégation des vingt arrondissements de Paris. Il fut élu à la Commune le 26 mars 1871 par 4 403 voix sur 6 467 votants du XVe arr. et s’y montra assidu : parfois taxé de modérantisme lorsqu’il demandait la libération de Chanzy, lorsqu’il protestait contre la séparation de l’Église et de l’État (2 avril) ou les arrestations arbitraires (8 avril), lorsqu’il demandait que les condamnations à la peine de mort soient examinées par la Commune (10 avril), il était surtout libéral et conscient des tâches qui s’imposaient ; il demandait la présence de tous les élus (30 mars), la liberté de la presse (18 avril). Mais ses interventions restent assez banales et son importance difficile à mesurer. Son rôle était ailleurs : tandis que le programme qu’il avait été chargé, le 9 avril, de rédiger — avec d’autres — paraît trop long et confus, que sa présence à la commission de l’Enseignement est une gageure, son Cri du peuple (22 février-23 mai, 83 numéros) était, avec le Père-Duchêne et pour d’autres raisons, le mieux vendu des journaux de l’époque. La page lyrique où il chante l’avènement de la Commune est dans toutes les mémoires. Le Drapeau, un seul numéro paru sous ce titre, remplaça, le 19 mars, le Cri du Peuple interdit.

Vallès, ô ironie, siégea, le 29 mars, à la commission de l’Enseignement ; le 21 avril, il passa à celle des Relations extérieures et travailla à la commission de révision de la cour martiale. Il appartint à la minorité, dont son journal publia le manifeste (15 mai).
Durant la Semaine sanglante, il se replia de l’Hôtel de Ville sur le Ve arr., puis sur Belleville : combattant loyal, mais auquel manquaient l’ascendant et le rayonnement du chef, il était suspect aux ouvriers en blouse. La réaction croira l’avoir fusillé rue Saint-Denis, à l’École militaire, aux Halles, au Châtelet ; en réalité, il s’était mué en conducteur d’ambulance, puis caché à Montparnasse et, par la Belgique, il gagna l’Angleterre. Il appartint, en mai 1872, au Cercle d’études sociales de Londres.
Le 6e conseil de guerre le condamna par contumace, le 14 juillet 1872, à la peine de mort, et plus tard il sera rayé par la Société des Gens de lettres de la liste de ses membres (1er juin 1874). En exil, le petit capital du Cri du Peuple fut vite dépensé. Fin 1872, Vallès était à Lausanne. Il logea chez un pasteur, écrivit avec Bellenger un grand drame en douze tableaux, « injouable » (cf. L. Descaves, Philémon..., op. cit., p. 255), et travailla même avec P. Pia. Très vite, il dut aller ou retourner à Londres. Il connut les angoisses du journaliste frappé d’ostracisme, les amertumes de l’exil et les dissensions ou les haines qu’il entraîne parmi les proscrits ; sa vie intime fut tissée de chagrins profonds. Mieux que l’étude de Gaston Gille, sa Correspondance avec Arthur Arnould trace un portrait du Vallès de cette époque — du vrai Vallès, moins exacerbé, plus humain et complexe.
Il rentra à Paris sitôt l’amnistie (1880), venant de Bruxelles où il était arrivé le 1er septembre 1879. La Société des Gens de lettres le réintégra à la demande de Tony Révillon et d’Hector Malot. Ses dernières années, adoucies par la vigilance de sa disciple Séverine, ne démentirent ni son talent de journaliste ni la vigueur de ses convictions républicaines et socialistes. Lorsqu’il mourut de diabète et d’épuisement nerveux, tous ses amis l’accompagnèrent au Père-Lachaise et 60 000 personnes se pressèrent autour de sa tombe.
Il n’est pas question ici de retracer l’œuvre de Vallès ; le livre de Gaston Gille, t. II, en donne le catalogue. Notons seulement les tendances politiques au service desquelles il met un talent peut-être inégalé — les Goncourt ne le comptent-ils pas parmi les dix fondateurs de leur Académie ? Et de Jules Renard à Léon Bloy, Maurice Barrès, Eugène Dabit, la liste de ses disciples n’est certes pas close. Vallès a connu la misère et compris sa force : « Il y a ensuite un danger ! La misère sans drapeau conduit à celle qui en a un, et, des réfractaires épars, fait une armée, armée qui compte dans ses rangs moins de fils du peuple que d’enfants de la bourgeoisie ». Car tout en s’élevant contre la société bourgeoise, Vallès en fait partie : « C’est un bourgeois qui passe pour un bohème, un pur qu’on prend pour un chenapan, un sobre qu’on croit un ivrogne », dit de lui Maroteau. Et Vallès écrit en effet dans le Cri du Peuple (22 mars 1871) : « Il y a la bourgeoisie travailleuse, et la bourgeoisie parasite... Il y a une bourgeoisie ouvrière, honnête et vaillante. Celle-là, elle descend en casquette à l’atelier... Combien j’en sais parmi les établis ou les bien-mis qui ont des tracas comme les pauvres, qui se demandent parfois ce que leurs enfants deviendront ». Il vitupère les bourgeois parasites (3 avril 1871) : « Ils n’ont donc pas entendu tressaillir le monde nouveau, et n’ont pas vu que le 18 mars les canons avaient roulé d’eux-mêmes vers l’Hôtel de Ville poussés par le vent d’une idée plutôt que par le souffle d’un orage ! La Révolution sociale est en marche, nul ne lui barrera le chemin ».

« À égale distance des Gravilliers et des blanquistes, dit Zévaès, [...] sa haine de l’iniquité sociale, des préjugés de classe, cet ensemble de déceptions, de colère et d’imprécations n’ont rien de spécifiquement socialiste. Il ne se rend pas compte que cet État contre lequel il fulmine, cette politique et cette morale qu’il flétrit de ses invectives sont un État, une politique et une morale de classe et constituent le produit naturel d’un milieu économique déterminé. Jules Vallès n’est donc ni un doctrinaire du socialisme ni un vulgarisateur de la doctrine. Il n’est qu’un tirailleur ». Oui certes, mais cet émotif, cet instinctif voit clair : il reconnaît en 1872 que la défaite de la Commune est due à son manque d’organisation, et, le 22 mai 1878, écrit à Arthur Arnould à propos de la grève : « Elle me paraît un stimulant, certes, mais aussi un séton : la résistance sérieuse peut s’en aller par là, s’évaporer dans le bruit inutile. Elle finira dans les concessions douloureuses, toujours, en tout cas ». Il n’est pas uniquement un destructeur : « Le talent joint à la bonté est une chose si précieuse ! » Par-delà une action et une influence considérables, par-delà des apparences bien différentes, cette phrase que lui applique Jean Richepin est peut-être le jugement le plus exact porté sur l’homme.

P.-S.

Article initialement publié sur le Maitron


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