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SAINT-ÉTIENNE  
Publié le 8 novembre 2021 | Maj le 13 septembre 2022

Mutuelles d’argent : partager pour mieux redistribuer


Utiliser de l’argent que l’on n’a pas gagné ou reçu personnellement. Se délester de sommes que l’on ne dépensera pas. Ce mouvement de balancier caractérise le principe des mutuelles d’argent. Basé sur la mise en commun d’une partie des revenus, le système contraste avec l’individualisme caractéristique de nos sociétés ultra-capitalistes. Entretien avec un.e membre d’une mutuelle d’argent stéphanoise dans le Couac paru au printemps 2020.

 Couac : C’est quoi le principe général d’une mutuelle d’argent et comment fonctionne celle dont tu fais partie ?

L’idée de base c’est de mutualiser une portion des revenus de chacun·e des membres dans une caisse commune, dans laquelle on peut ensuite se servir selon ses besoins. Ça permet également à des personnes rencontrant des difficultés financières de moins galérer, puisqu’il y a une redistribution.

Concrètement, dans celle dont je fais partie, on se retrouve une fois par mois. Il y a des personnes qui habitent à Saint-Étienne ou dans le Pilat. Tout le monde met en commun 10 % de toutes ses rentrées d’argent du mois : salaires, RSA, cadeaux, recettes de ventes… À la suite de ça, toutes les personnes qui ont gagné moins de 200€ récupèrent de quoi augmenter leurs revenus du mois jusqu’à ce seuil. Sur le reste, une moitié est partagée par les personnes qui ont moins de 500€, la seconde alimente la caisse commune, dans laquelle peuvent se servir les personnes de la mutuelle en l’indiquant simplement sur un papier et sans avoir à se justifier.

Pourquoi décide-t-on de faire partie d’une mutuelle d’argent ?

Ce n’est pas pareil pour tout le monde, clairement. L’idée c’est que parfois tu bosses, parfois non. Et les rentrées d’argent qui vont avec sont aussi très irrégulières. Donc le fait de mutualiser de l’argent permet de ne jamais être en galère et de soutenir celles et ceux qui le sont ponctuellement ou régulièrement.

Étant donné que le sujet de l’argent est souvent sensible, est-ce que l’existence de liens affinitaires est une condition nécessaire ?

On a eu plusieurs fois des discussions à ce sujet, et tout le monde n’est pas d’accord. En ce qui me concerne, je n’ai pas spécialement besoin d’avoir des affinités avec les personnes qui participent à la mutuelle. Je vois plus ça comme quelque chose de pratique dans le quotidien, sur la mise en commun de l’argent. Avec ses ami·e·s, en principe on n’a pas de difficulté à donner ou demander de l’argent. La mutuelle permet d’offrir un cadre sécurisant et facilitant pour mutualiser avec des personnes qu’on connaît moins bien voire pas du tout.

Comment a évolué le collectif au fil du temps ?

Le collectif s’est constitué en 2017 ; il réunit alors une quinzaine de personnes dont certaines qui avaient l’expérience d’une mutuelle dans l’agglomération lyonnaise. Actuellement, on est environ 25 personnes à en faire partie. À un moment, plusieurs personnes sont parties. Pour des raisons différentes : parce qu’elles attendaient autre chose (par exemple plus de discussions de fond sur le rapport à l’argent), parce qu’elles avaient du mal à prendre de l’argent, ou parce qu’elles n’avaient pas suffisamment confiance. Mais actuellement on est plutôt dans une phase où des gens demandent à rentrer.

Comment ça se passe lorsqu’une personne veut rejoindre la mutuelle ?

Il n’y a rien de très officiel, on ne fait pas de grande présentation, l’idée n’est pas de juger les gens. Et je trouve ça bien. Quand quelqu’un·e veut adhérer, on demande à tout le monde s’iel est d’accord, après une première rencontre collective. Ce n’est pas arrivé que l’on dise non, mais en théorie c’est possible.

Et si quelqu’un·e veut quitter la mutuelle ?

Il suffit de dire « Je sors, j’arrête ». Comme tu ne mets pas de capital au départ, il n’y a pas d’épargne en commun. C’est la différence avec d’autres mutuelles où on partage davantage. Lorsque des biens ont été achetées collectivement, il y a un enjeu à ne pas partir avec zéro. Ici, c’est plus simple.

Comment faire pour gérer les différences de revenus ? Et faire en sorte que tout le monde se sente légitime pour se servir dans la caisse ?

C’est l’enjeu des réunions qu’on organise deux fois par an, même si on le fait plus ou moins systématiquement. Chacun·e raconte un peu son rapport à l’argent – ce qui est très lié à ton milieu d’origine, à ta classe sociale. Ça nous aide à mieux comprendre comment chaque personne fonctionne, comment s’adapter aux situations des un·e·s et des autres.

C’est sûr qu’il y a plein de situations différentes et qu’il faut toujours en discuter pour décider ensemble du fonctionnement. Entre certain·e·s qui ont de l’argent et d’autres non, entre les personnes qui ont une propriété comme une maison et d’autres non… Et les situations sont parfois complexes : tu peux avoir une maison et quand même avoir besoin d’argent. Pour le moment, la seule chose à laquelle on fait attention c’est que si une personne a une grosse rentrée d’argent, on lisse l’apport sur plusieurs mois pour ne pas tout mettre d’un coup dans la caisse.

Parfois, des personnes n’osent pas se servir dans la caisse, parce qu’elles ressentent un manque de légitimité par rapport à leurs revenus ou aux raisons de leurs dépenses : un resto ou un ciné par exemple. Du coup, on essaie de trouver des astuces : noter, sans obligation, les raisons de tes dépenses – pour déculpabiliser celles et ceux qui n’osent prendre l’argent qu’en cas de besoin impérieux. Ou mettre la caisse aux toilettes pour éviter que tout le monde voie si tu te sers ! En tout cas, si tu n’arrives pas à t’autoriser à prendre de l’argent, tu auras du mal à trouver ta place dans une mutuelle.

Combien de mutuelles de ce type existe-t-il en France ?

C’est difficile de répondre. Je sais qu’il y en a à Lyon, à Paris, à Rennes, à Nantes, à Marseille, etc. Mais il en existe certainement plein d’autres. Dont on n’a pas connaissance parce qu’elles ne sont pas dans nos milieux et qu’elles ne s’appellent pas comme ça. Des caisses communes peuvent exister dans le cadre de familles, au sens étroit ou élargi, sur une base affinitaire… Il y a aussi des caisses de solidarité. Par exemple, nous, on n’est pas une caisse de solidarité : on ne donne pas en tant que collectif même si on se retrouve avec plein d’argent à un moment donné. En revanche, moi, je peux prendre dans la caisse et donner à titre individuel.

Est-ce que c’est aussi une façon de réfléchir à la place de l’argent dans notre société, au rapport qu’on a à l’argent et à la propriété ? Avec l’idée de proposer des modes de fonctionnement un peu différents de ceux qui sont habituels dans la société d’aujourd’hui ?

À vrai dire on a assez peu de discussions à ce sujet. Pour certaines personnes de la mutuelle, ça manque un peu, elles auraient envie qu’on brasse davantage ces questions. Pour d’autres à l’inverse, c’est déjà trop parce qu’elles cherchent juste une caisse commune pour le quotidien. Personnellement ce fonctionnement me va bien parce que je trouve ces discussions intéressantes mais ce n’est pas ce que je cherchais dans ce groupe.

P.-S.

Pour en savoir plus :
« Mutuelle d’argent », émission « Comme un ouragan », Radio Dio, 06/12/2020, https://radiodio.org/podcasts/comme-un-ouragan-mutuelle-dargent/.


Proposé par Couac
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