On trouve la première partie ici :
1. Grèves, révoltes ouvrières, effervescences libertaires et répression autour de Lyon et Saint-Étienne en 1882
2. Enquête et arrestations, automne 1882
À l’automne 1882, la police enquête depuis plusieurs mois sur la « mouvance anarcho-libertaire » (comme dit France3 Auvergne Rhônes-Alpes en octobre 2019 à propos d’incendies à Grenoble [1]). Agents infiltrés, arrestations de masse et perquisitions des lieux de réunions, des journaux et des appartements, épluchage de la moindre ligne de la tout jeune presse libertaire et des échanges entre militant.es, le tribunal récolte de très nombreuses et précises informations sur la « grande conspiration » [2]. Par la peur et la prison, la bourgeoisie tente de « liquider l’anarchisme révolutionnaire, ses ouvriers révoltés comme ses têtes pensantes » [3]. L’enquête concerne la région de Lyon, Saint-Étienne, Vienne, et des extensions à Paris, Villefranche, Montceau, Marseille, Genève, etc.
Les anarchistes savaient qu’ils étaient surveillés. Le journal L’Étendard révolutionnaire est dans le collimateur de la police. Un discret correspondant anonyme écrit régulièrement à Bordat, militant très actif à Lyon et dans la Loire, pour l’informer de la surveillance dont les anarchistes font l’objet. Il écrit le 8 octobre :
Citoyen Bordat, comme je vous l’ai dit l’autre jour, ma tâche devient beaucoup plus difficile. On paraît se cacher davantage, mais je sais que le dossier grossit toujours, et un de ces jours, ou plutôt une de ces nuits, il va y avoir une levée en masse et vous serez certainement un des premiers. (…)
Méfiez-vous toujours des notes qui peuvent être déposées dans votre boite ; ces coquins ayant promis de livrer leur marchandise à temps, et pour quelques pièces de cent sous ils la fabriqueront au besoin, s’ils ne peuvent se la procurez.
Brûlez cette note et veillez.
Un petit employé [4]
Début octobre, certains militants fuient en Suisse. Juste à temps : Bordat est arrêté chez lui à Lyon le 14 octobre, L’Étendard est perquisitionné le 18, le 21 Étienne Faure est perquisitionné à Saint-Étienne et Gautier arrêté à Vaise. Fin octobre 1882, Kropotkine s’installe en Suisse, à Thonon. Il écrit : « J’arrivais à Thonon suivi par une compagnie anonyme d’agents internationaux » [5].
L’avocat général qui mène l’enquête écrit :
C’est cette [illisible], en même temps qu’il calmera les appréhensions de la population paisible, aura pour effet probable de mettre un terme à l’audace des fauteurs de trouble et d’incendie. Les chefs disparaissant de la scène, ceux qui suivaient leur mouvement sentiront que le moment est venu de cesser leurs sinistres exploits. Il était à craindre qu’en l’absence d’une mesure de cette nature, la situation, au lieu de se détendre, allait s’aggraver de plus en plus. Il fallait en finir. La correspondance trouvée à Lyon chez le sieur Bordat, récemment arrêté, a permis de mettre la main sur un certain nombre des affiliés et [illisible] de la « bande noire ». [6]
Les saisies concernent principalement du matériel militant et des corrrespondances. Chez Bourdon est saisi un exemplaire du Scandale de la Ricamarie écrit par Étienne Faure. Une liste, fort instructive, fait état de la saisie réalisée chez Bordat :
7 brochures Aux jeunes gens par Kropotkine,
3 brochures Menaces à la bourgeoisie
2 brochures Marie Ferré
2 brochures La vérité sur le scandale de la Ricamarie
150 exemplaires : Droit social, papier rouge
137 exemplaires : Droit social
39 exemplaires : Le Citoyen et la Bataille
9 exemplaires Le Radical
60 exemplaires L’Étendard révolutionnaire
153 exemplaires Le Révolté [7]
et "une lettre signée Durand de Saint-Étienne", "2 photographies obscènes", des caricatures et dizaines d’autres brochures, placards et courriers.
Fin novembre, les principaux membres du parti anarchiste [8] sont arrêtés ou en fuite. Soixante-six compagnons sont finalement inculpés. Cinquante deux sont détenus, les autres sont jugés par contumace. Ils sont accusés de faire partie d’organisations anarchistes, d’entretenir de la correspondance avec des groupes d’autres villes, d’avoir propagé des “doctrines incendiaires” (appel au vol, à l’incendie, à la destruction des titres de propriété…) et enfin d’être affiliés à l’Association internationale des travailleurs (AIT), délit qui tombe sous le coup de la loi Dufaure de 1872 qui l’interdisait.
Le 8 janvier 1883, on découvre au tribunal de Lyon ces « ennemis des bourgeois et la Presse républicaine » comme les présente Le Progrès du 9 janvier 1883.
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