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SAINT-ÉTIENNE  
Publié le 18 septembre 2021 | Maj le 13 septembre 2022

L’outre est pleine : quand les étudiant.es stéphanois.es d’outre-mer décident de se rassembler


Couac publiait dans un numéro précédent un texte qui avait été lu lors de l’hommage rendu à une étudiante mahoraise, retrouvée morte dans sa chambre universitaire de 9m2 pendant le premier confinement. Depuis, des étudiant.es d’outre-mer de St-Étienne se sont rassemblé.es en association pour éviter que cela ne se reproduise. Voici un entretien réalisé courant décembre 2020, et paru dans le numéro 12, avec l’une des membres fondatrices.

Est-ce que tu peux d’abord te présenter et expliquer en quoi consiste l’association dont tu fais partie ?

Pas de souci. Je m’appelle Julie Guy. Je suis secrétaire adjointe de l’Association des Étudiant.es d’Outre-Mer de St-Étienne (AEOM). L’association existe depuis mai 2020. Elle a été créée suite à la mort de l’étudiante mahoraise Tahamida, dont on a retrouvé le cadavre une dizaine de jours après son décès et, de plus, par hasard. Lorsque le rassemblement a été prévu après le déconfinement, j’ai rencontré d’autres étudiant.es d’outre-mer, des Mahorais.es principalement puisqu’il y a une très grande communauté à St-Étienne. Pendant les prises de parole, il a été dit qu’il fallait créer à tout prix une association pour qu’on se rassemble et pour qu’on s’entraide. L’association a commencé à vraiment fonctionner à partir d’août. On s’est précipité pour qu’à la rentrée les étudiant.es puissent être suivies.

Actuellement on est une soixantaine d’étudiant.es dans l’association. Comme l’enjeu premier est de prendre soin des membres, iels sont réparti.es en groupe de cinq et ont chacun.e un.e référent.e. Le ou la référent.e va d’abord s’occuper d’appeler régulièrement les étudiant.es pour prendre des nouvelles. On a aussi un chat général pour communiquer.

On essaie ensuite de créer le plus possible de liens entre tous les membres de l’association. Quand ce n’était pas le confinement, on a fait de très grandes réunions dans une salle prêtée par la mairie de proximité de la Métare. Des barbecues ont aussi été organisés pour encourager les étudiant.es à parler.

Lorsqu’on rencontre un.e étudiant pour la première fois, on fait en sorte qu’iel soit seul.e pour qu’iel ait plus de facilité à se confier. Le bureau de l’association essaie de regrouper toutes les problématiques d’un.e étudiant.e pour l’aider ensuite le plus possible, surtout au niveau administratif.

C’est surtout par la parole et les démarches administratives que vous aidez les étudiant.es ou l’entraide peut-elle concerner des aides financières également ?

À l’origine, on avait un plan financier car on avait prévu beaucoup d’activités. À cause du COVID, la majeure partie des activités a été annulée. On avait, par exemple, le projet d’une semaine de représentations culturelles pour parler de nos différentes îles et des différentes communautés dont nous faisons partie. Cette semaine devait se terminer par un gala dont le but aurait été de récolter des fonds. Malheureusement, elle n’a pas pu avoir lieu.

Pour entrer dans l’association, lorsqu’on est étudiant.e ou à pôle emploi, l’adhésion est de cinq euros. Pour les salarié.es, c’est de vingt-cinq euros. L’argent des adhésions peut ensuite être utilisé dans des cas d’extrême urgence ; dans ce cas, tous les membres de l’association sont mis au courant. On est aussi en train de terminer une demande d’aide financière auprès de la mairie en tant qu’association.

On fait en ce moment également des colis alimentaires pour des étudiant.es, qu’iels soient d’outre-mer ou non. Des parents nous aident dans cette activité pour soutenir des enfants qui pourraient être les leurs.

Comment rencontrez-vous les étudiant.es ?

Fin août, lorsqu’on a voulu fonder l’association, on a contacté les académies des différentes îles, notamment La Réunion, Mayotte et la Martinique puisqu’on trouve surtout des représentant.es de ces îles-là dans l’association. On a aussi contacté l’académie de Lyon parce qu’il y a des étudiant.es stéphanois.es qui sont connu.es au sein de cette dernière.

On est ensuite entré.es en lien avec les collectivités territoriales des îles puisqu’elles offrent parfois des aides pour les études supérieures. On ne leur a pas demandé des informations confidentielles sur tel.le ou tel.le étudiant.e mais on leur a communiqué l’existence de l’association pour qu’elles puissent orienter les personnes qu’elles aident vers nous. La démarche a plus fonctionné à Mayotte qu’en Martinique. De mon côté, par les réseaux sociaux, j’ai aussi parlé de l’association. J’ai eu très peu de retours car nous sommes peu de Martiniquais.es à St-Étienne apparemment.

Quand je fais du bouche à oreille, je précise que l’association s’adresse autant aux étudiant.es qui ont des problèmes qu’à celleux qui n’en ont pas. Souvent, les étudiant.es ont peur ou ont honte de demander de l’aide.

Est-ce que vous êtes en lien avec l’université, le CROUS ou d’autres associations ?

À l’université, on a signalé la création de l’association mais on n’a pas eu de suite. De même pour le CROUS. On travaille seulement avec une association mahoraise qui aide les jeunes travailleurs et travailleuses.

Quelles sont d’après toi les difficultés spécifiques que rencontrent les étudiant.es de ton association ?

Il y a de grandes difficultés psychologiques. Ce qui nous bloque énormément et qui mène souvent à un décrochage scolaire, c’est qu’on est seul.es.

On quitte une île qui est extrêmement loin de la France. Mayotte est à dix mille kilomètres. La Martinique, mon île, est à huit mille kilomètres. On ne connaît pas la France. On n’est pas habitué.es au climat. On n’est pas habitué.es non plus à la froideur des gens. Je me souviens par exemple de la première fois où je suis arrivée à St-Étienne. J’ai croisé une personne sous l’abri bus. Je l’ai regardée et je lui ai dit « bonjour », comme on fait chez nous. Quand on croise quelqu’un.e dans la rue, on lui dit « bonjour » et on prend même des nouvelles, même si on ne connaît pas du tout la personne. La personne sous l’abri bus m’a jeté un mauvais regard puis a tourné la tête, comme si j’étais folle, en fait.

On ne sait pas à qui parler, à qui se référer. On ne sait pas si l’on va déranger. On peut finir par rester dans son coin et là vient la solitude, parfois même la dépression. Beaucoup d’étudiant.es, même s’iels ont des difficultés à se loger, à financer leurs études, préféreront garder ça pour elleux parce qu’iels ne savent pas vers qui se tourner et iels se demandent si la personne comprendra la situation dans laquelle iel est. Iels n’en parleront pas non plus à leur famille. Si, par exemple, je n’arrive plus à payer mon loyer, que mon propriétaire m’a mise dehors, si j’ai ma mère au téléphone, je ne vais pas lui dire que je suis dans une situation extrême, que je dors dehors. Je lui dirais : « Non, mais tout va bien. Il n’y a pas de soucis. Là, si je suis dehors c’est parce que je sors de cours. Tout va bien. ». Nos familles, en fait, ont dépensé énormément d’argent pour qu’on puisse prendre l’avion et qu’on puisse suivre nos études, malgré les aides. C’est difficile ensuite de leur avouer qu’on a des difficultés.

Et puis, ce n’est pas parce que l’on est allé.es à l’école où l’enseignement était en français que l’on parle la langue. Ce n’est pas imaginable par tout le monde mais le français n’était finalement que la langue de l’école pour certain.es.

Un des avantages de l’association, c’est que les référent.es qui soutiennent les membres sont aussi issu.es d’Outre-mer. On comprend donc notre mentalité. On parle parfois la même langue. Les étudiant.es ont grâce à ça aussi plus facilement confiance en nous qu’envers une autre association étudiante. Je prends le cas de l’Agorae, l’épicerie solidaire étudiante, qui fait un très bon travail, mais certain.es étudiant.es ne comprennent pas comment il faut faire les documents ou à qui il faut s’adresser, à cause parfois aussi de la barrière de la langue.

Vous êtes-vous senties utiles pendant le second confinement ?

Pour l’instant, oui. Aucun.e de nos étudiant.es n’a vraiment de problème. Il y aura des restrictions en raison du COVID pendant les vacances de Noël, on s’en doute bien. Même si toutes nos activités ont été annulées, on va vraiment essayer d’accueillir celleux qui ne peuvent pas rentrer dans leur famille. Être en plus petit comité pourra permettre de laisser aussi mieux s’exprimer les étudiant.es.

Est-ce que tu as parlé de la création de cette association à ta famille ? Gardes-tu cette occupation pour toi ou en fais-tu une fierté ?

C’est une très grande fierté, même si ma mère préférerait que je m’occupe de mes études. Elle est extrêmement ravie de savoir que si je peux aider, je le fais.

Ça me rend vraiment heureuse que ces étudiant.es ne vivent pas ce que j’ai vécu en arrivant en France parce que je n’y connaissais rien du tout, et notamment au niveau administratif. Je suis heureuse qu’un.e étudiant.e n’ait pas à faire face, en tous cas, tout.e seul.e, à ce genre de difficultés.

Le confinement a-t-il favorisé, pour toi, le fait de vivre au rythme de la Martinique, donc de téléphoner et de communiquer la nuit avec ta famille ?

Quand on est confiné.es, les liens forts qu’on a, c’est ceux de la famille, c’est compliqué de les joindre après notre travail et après le leur. Quand il est 22h en Martinique, il est 4h du matin en France. Donc, on aura tendance à se coucher vers 4-5h du matin. Les étudiant/es de Mayotte n’ont eux que deux heures de décalage.

Certain.es disent que le changement d’heure entre les îles et ici, c’est juste un jet lag. Au bout de quelques jours, on s’y fait. Mais, en fait, quand on a vécu dix-huit ans avec six heures de différence, on ne perçoit pas le monde de la même façon. En comparaison à la France, on n’a pas non plus de changements de saison. On a deux saisons mais il ne pleut, en fait, qu’un peu plus dans l’une et les températures ne varient pas vraiment. Par exemple, en Martinique, je me suis toujours levée à 5h30, en même temps que les premiers rayons du soleil. En France, du coup, en hiver, quand le soleil a décidé de se lever à 8h30, souvent je suis en retard. Pendant dix-huit ans, je me suis levée avec la lumière du soleil et maintenant même si je mets un réveil, mon corps se dit : « non, il n’y a pas de soleil ; on est large, il reste du temps ».

Tu disais au début de l’entretien « en fait, on n’est pas français ». Je crois savoir que les habitant.es des DROM-COM ne sont pas non plus à égalité par rapport aux habitant.es de l’Hexagone dans le domaine des communications.

C’est vrai. Avant que les forfaits téléphone soient adaptés pour qu’on puisse appeler les Antilles de la même manière que quelqu’un.e en métropole, il a fallu du temps. Il y a encore cinq ans, les appels de la métropole vers les Antilles étaient surtaxés. Beaucoup d’étudiant.es utilisent le réseau what’s up pour contacter leur famille. Ma famille est bien desservie au niveau d’internet – ce qui n’est pas le cas de toutes. En Martinique, je n’ai pas de 4G. Je capte en H+, voire même en E. Tout le monde non plus n’a pas les moyens de se payer des abonnements. Quand j’ai travaillé chez « Orange », beaucoup se plaignaient qu’un forfait 2h, 100 mega octets d’internet avec internet illimité était à 45 euros en métropole, 80 euros en Martinique. Beaucoup de familles ne peuvent pas se permettre une telle dépense.

Et puis, au lendemain d’une onde tropicale, rien ne fonctionne. Le réseau électrique ou celui de l’eau sont souvent touchés. Certaines habitations sont inondées. Contacter sa famille dans ces conditions peut être très compliqué et ces événements climatiques gênent également notre évolution scolaire, puisque l’on peut rester des mois sans aller à l’école.

Il y a certain.es étudiant.es mahorais.es qui ont des familles qui ne sont également pas du tout connectées à internet. Elles doivent changer de quartier ou aller dans une autre commune de l’île pour joindre leurs enfants par visio.

C’est un des objectifs également de notre association que de contacter les familles au moins une fois par trimestre. L’important est d’abord de nous présenter et de présenter le ou la référent.e surtout, pour qu’iel puisse dire « Je m’appelle untel, j’habite dans telle île, tel quartier. Je m’occupe bien de votre fille ou de votre fils. On l’a aidé pour telle et telle chose. ». Ça rassure les parents et même s’il n’est pas possible de voir leurs enfants, iels savent qu’iels ont un soutien.

Qu’est-ce qui a été le plus dur pour toi pendant le confinement ?

Même si ça fait cinq ans que je suis en France, le fait de ne pas voir du monde m’a rendue plutôt sensible. J’avais beaucoup plus tendance, non pas à pleurer, mais à avoir les larmes aux yeux quand je pensais à chez moi, à ma maman, à ma famille. Je sentais vraiment que j’étais à fleur de peau. Ma mère a un très fort caractère et nous l’a transmis, donc je me refusais de pleurer. Je me disais : « Je suis quand même en train de faire des études, j’ai mes cours, j’ai mon chat – je le chouchoutais comme si c’était mon bébé parce que j’avais vraiment l’impression que j’étais seule dans mon appartement. Pourtant, je suis très casanière mais le fait par exemple qu’il n’y ait pas de son, qu’il fasse froid, c’était vraiment angoissant. Tu en viens à regretter de ne pas avoir été rapatriée comme les autres. J’aurais, mille fois, préféré avoir ma maman sous le bras. J’aurais discuté avec elle. On aurait ri. C’est la même chose au téléphone, certes, mais par exemple si je dis une bêtise, qu’elle rit, le petit coup d’épaule, ben je l’ai pas au téléphone.

Est-ce que tu as quelque chose à ajouter ?

Je voudrais juste aborder un point. Les membres de l’association n’aiment pas trop en parler parce que ça porte malheur mais j’aimerais le dire maintenant. Suite au décès de Tahamida, on a décidé aussi de prendre en charge le décès d’un.e de nos membres si jamais quelqu’un.e venait à décéder.

On s’occupera donc des rituels, des lavages mortuaires s’il le faut. On s’occupera aussi de l’annoncer à la famille et même de lui apporter du réconfort. Personne n’a envie d’apprendre froidement la mort de son enfant. On pense que ce sera plus facile pour elleux de recevoir la nouvelle, par quelqu’un.e qui vient de leur île, dans leur langue en plus.

On a malheureusement perdu en automne une étudiante des suites du COVID. Elle était hospitalisée depuis mi-septembre. Elle est décédée début octobre et ce sont des personnes de l’association qui se sont occupées du lavage mortuaire et de la cérémonie qui est liée. D’autres étudiant.es se sont rendues chez la famille qui vit en métropole pour leur apporter du soutien. À l’heure actuelle, elle repose au cimetière de St-Étienne. J’espère que là où elle est, elle est bien. Je voudrais vraiment rappeler le fait qu’il est important pour nous de faire le lien avec la famille et de faire de l’association elle-même une famille pour les étudiant.es.

P.-S.

Pour contacter l’Association des Étudiant.es d’Outre-Mer de St-Étienne (AEOM) : aeom.stetienne chez outlook.com. Vous pouvez aussi retrouver l’association sur facebook.


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