Actualité et mémoire des luttes à Saint-Étienne et ailleurs
ANALYSES ET RÉFLEXIONS URBANISME - GENTRIFICATION - TRANSPORT
SAINT-ÉTIENNE  
Publié le 10 août 2018 | Maj le 25 avril 2020

Design et raffiné


La municipalité de Saint-Étienne a fait de « l’expérience design » l’axe de sa promotion de la ville. Le design a sa biennale, il a aussi eu son pavillon FrenchTech DesignTech© à l’automne dernier. Décryptage de cette opération de communication sous la forme d’un récit, partial et partiel, de ces mondanités.

Mardi 31 octobre 2017, pavillon FrenchTech DesignTech© de la Cité du (maudit) design. Le monde étant petit — et Saint-Étienne tout particulièrement — deux proches du Couac ont pu participer à la sauterie bien-pensante de la soirée de remise des prix du Concours du Commerce Design (CCD dans la suite de l’article, parce que les sigles c’est in). Manteaux longs et cartons d’invitation en poche, nous pénétrons au sein de La Platine, formidable rectangle de 3000 mètres carrés, bâtiment phare de la fameuse Cité (dont la construction a quand même nécessité la destruction de plusieurs édifices classés, dont les bâtiments de la Cour d’Honneur...). Un maton nous demande de présenter nos sacs. Une potiche nous invite à décliner notre identité. Bienvenue.
L’ambiance est superbe : tabourets hauts en acier, tables rondes et multicolores, grandes photos des commerces en compétition (n’oublions pas pourquoi nous sommes là ) et buffet design (entendre des crudités plantées sur de très grands cure-dents et entourées de fleurs sauvages en plastique). La soirée à laquelle nous avons été conviées a été pensée en deux temps : une table ronde, faisant « dialoguer commerce et design » ; une cérémonie de remise des prix du Concours du Commerce Design (CCD dans la suite de l’article, parce que les sigles c’est in). La table ronde réunit une bande de vendeurs de couteaux à pain, designers, docteurs ès et journaleux. Elle n’a pas grand-chose de rond, à part la forme de ladite table, puisque le temps est compté et la parole pas vraiment partagée. Nous ne nous plaignons pas, les échanges nous laissant plutôt coites, sauf peut-être lorsque nous apprenons que « le design pensé ici [à Sainté t’sais] est raffiné », un peu à l’image de cette soirée qui semble essayer de l’être ! Nous assistons alors à « une expérience organoleptique satisfaisante ». Malgré tout, « le supplément d’âme du design » ne nous atteint pas (d’autant moins quand on pense au passé ouvrier et armurier (!) de cette maudite Cité, aujourd’hui remplacé par de la matière grise innovante…). Plus intéressées par les bises claquées autour de nous que par les « écosystèmes », « courbes de croissance » ou autres « caractères intuitifs » nous avons hâte que la cérémonie (et le bar) soit ouverte.
Gaël Perdriau monte sur scène (parler d’estrade serait plus juste). Quatre écrans plats tout près les uns des autres nous permettent — ainsi qu’à la centaine de convives — de changer en permanence de point de vue sur la bien-pensance à l’œuvre ! Un rapide bilan de mi-mandat donne la gnaque à Perdriau. Il se félicite de la soirée qui « rassemble des gens qui y croient, qui se battent et qui en plus, réussissent ». Qui méritent, quoi. La parole est ensuite aux escrocs membres du jury, présidé cette année par la cheffe du groupe familial Deveaux (fringues et filature ; famille quand même placée au 305e rang dans le classement des 500 plus grandes fortunes de France, on ne reçoit pas n’importe qui dans le Sainté raffiné). Illes décernent prix et hypocrisie à tout-va après avoir passé « une formidable journée à la rencontre des commerçant.e.s ». Les dix commerces finalistes reçoivent TOUS un prix par le jeu des catégories : design de service, design de boutique, design de produit, design digital (ne nous écrivez pas pour nous demander ce que la dernière catégorie veut dire, on ne le sait pas). Des films façon La maison France 5 sont diffusés pour que l’on puisse apprécier l’aménagement des magasins et entendre la voix des tenancier.e.s et des archis. Le design sonore, lui, dénote : la sonorisation est naze. Mais les commerçant.e.s sont content.e.s. Les designers sont content.e.s. Les élu.e.s sont content.e.s. Le public est content. Il n’y a finalement que nous pour penser qu’on a affaire à de vulgaires étagères…
Une boutique nous interpelle plus que les autres. Elle se trouve dans la salle des machines de l’ancienne Manufrance. Elle est belle et rénovée avec goût, nous devons bien l’avouer. Et c’est justement parce qu’on parle de privatisation du patrimoine industriel et prolétaire, ainsi que de baignoires haut de gamme que nous écoutons attentivement le chef parler. Son discours ressemble finalement à celui des autres vainqueurs (nous nous souvenons qu’illes le sont TOU.TE.S !) : remerciements, témoignages d’affection pour « la hausse de la fréquentation et le coup de com » permis.e.s par le CCD », sourire à l’élu.e, blablabla. Son « équipe » — sur scène avec lui — est jeune, ravie et féminine. Même leurs corps semblent avoir été uniformisés…
C’en est trop ! Nous avons soif et faim. Et surtout hâte de goûter aux vins et victuailles offert.e.s par APSYS (c’est le maître de cérémonie qui l’a annoncé, comme ça, sans ciller). Nous rappelons ici que le groupe qui régale est le même qui va construire Steel, le centre commercial du futur au Pont de l’Ane. Mélange des genres et conflit d’intérêts quand tu nous tiens… Après plusieurs blancs sifflés et crudités avalées, plusieurs échanges noués avec des badaud.e.s qui démarraient très souvent par « t’es designer ? », plusieurs fous rires en voyant les membres du jury repartir avec un sac siglé de la Banale du design du printemps précédent, sans oublier un échange déconstructif avec Perdriau, ou encore des rires étouffés en voyant les totems design de la victoire servir de portes-verres, nous nous décidons à quitter ce CCD. Notre bienséance a ses limites !


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