En décembre 2020, quartier Jacquard, l’immeuble du 19 rue Étienne Dolet est évacué à cause d’un risque d’effondrement. Un arrêté de péril est déclaré et des étais sont installés aux fenêtres, en attendant les travaux de la copropriété. Mais, à peine deux mois plus tard, le 8 février, un voisin observe à l’œil nu les mouvements du bâtiment et le signale aux pompiers. Ils interviennent en évacuant les immeubles adjacents et une partie des logements sociaux de Métropole Habitat situés en face. Entre autres adjoint à l’urbanisme de Perdriau, président de l’agence d’urbanisme de la région stéphanoise EPURES, ancien directeur des ressources humaines de Casino et élu du Medef, Jean-Pierre Bergé se félicite alors du relogement temporaire des habitant.e.s en hôtel ou chez leurs familles et ami.e.s.
Le problème, comme toujours, c’est que l’égalité n’existe pas dans ce genre de situation et les conséquences du relogement ne sont pas les mêmes pour tout le monde. En mars, nous avons rencontré Y., habitant d’un immeuble de Métropole Habitat et relogé temporairement dans un hôtel à Bellevue. Il est coutumier du délogement. Il a notamment dû quitter en urgence un foyer de Saint-Chamond à la suite d’un incendie. À force d’expériences, et sûrement à juste titre, il se sent ciblé par les expulsions : « J’ai l’impression qu’on me veut dehors […] ». Pour lui, il n’est pas question de faire appel à la solidarité familiale : « Je suis une personne assez isolée […] je préfère retourner en psychiatrie plutôt que de vivre avec mon frère. »
Si Y. savait que l’immeuble en face du sien était fragile, il n’imaginait pas être expulsé de manière si brutale : « on nous a jetés. Il y avait une dame, les flics, les pompiers, Métropole Habitat. Ils m’ont fait signer des papiers et m’ont foutu dans un hôtel à Bellevue ». Même temporaire, ce changement de quartier n’est pas simple à appréhender : « J’ai les jambes cassées, Jacquard c’était bien. Il y avait les amis, les magasins. Avec en parallèle la psychiatrie, le genou cassé, y’a du trop […] j’ai toujours eu des logements insalubres, là c’était bien, je voulais m’y investir ». D’autant qu’il ne sait pas combien de temps dure le temporaire : « ils parlent d’un an pour faire les dossiers, c’est abusif ». En attendant, il « ne peu[t] rien récupérer, c’est scellé […]. On m’a ouvert pour prendre quelques vêtements mais c’est tout ».
Métropole Habitat lui évoque une possibilité de relogement dans la partie du bâtiment qui n’est pas située en face du 19 rue Étienne Dolet. Néanmoins, cette option impliquerait un loyer plus important que celui que Y. avait jusqu’alors. L’avenir de la zone en péril et de l’ancien logement de Y. dépend de celui de l’immeuble en cours d’effondrement. Au moment de l’écriture de cet article, aucune décision ne semble avoir été prise et une bataille des responsabilités s’engage entre la municipalité, les copropriétaires, l’agence Foncia (qui est gestionnaire de l’immeuble du 19) et les assurances de chaque partie. Tant que les causes de l’insalubrité de l’immeuble ne sont pas déterminées, personne n’est obligé de payer pour sa démolition et on attend qu’il s’écroule de lui-même. Est-ce que la structure du bâtiment – et donc la responsabilité légale des propriétaires – est en cause ? La proximité de la mine de Couriot et la présence de galeries souterraines expliquent-elles le grand nombre d’immeubles penchés dans le quartier et donc la responsabilité légale des pouvoirs publics ?
La municipalité joue du prestige des anciennes industries de la ville, et maintenant valorise les start-up. Mais ce sont ces entreprises privés qui ont exploité les sols de la ville et ses habitant-e-s pour leurs profits. Les conséquences ont l’air d’être un non sujet pour Perdriau et sa clique. De la même manière, en mars dernier, 540 mètres cubes de terre disparaissent dans les sous-sols de la zone commerciale de Monthieu. On sait que la présence de galeries de mines avait prolongé les travaux de Steel. Mais pour un centre commercial, on est prêt à mettre les moyens, quitte à fragiliser les alentours.
Le Couac, en tant que riverain inquiet, a essayé d’obtenir des informations sur les risques liés à l’état de l’immobilier et des sous-sols via le fameux numéro « Saint-Étienne Bonjour ». Au bout du fil, pas d’information à nous donner ni d’interlocuteur vers lequel nous orienter. De son côté, l’EPASE [4] fait des recherches suite à notre appel et nous laisse un message vocal : « Nous n’avons pas trouvé d’information mais vous pouvez être rassuré.e.s. »
Contrairement aux propos de Jean-Michel Bergé (« à Saint-Étienne, on fait vachement gaffe, ce qui nous importe ce sont les gens ! » [5]), le seul sujet qui ait de l’importance pour les autorités locales est bien celui de l’attractivité de la ville. La précarité immobilière n’a pour réponse que la destruction de vieilles pierres et la construction d’immeubles de standing en parpaing. Quand on l’a rencontré, on a eu l’impression que Y. se sentait de travers : « Je suis dans une parano mais je n’ose pas trop en parler parce que je ne veux pas être envoyé dans un pavillon psychiatrique ». Si ce n’est sans doute pas directement sa personne qui est ciblée par les expulsions, ce sont incontestablement les plus précaires qui subissent les choix d’une société et d’une ville qui penchent.
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