Parmi les aigreurs et relents fétides, on compte le dispositif sécuritaire mis en place pour encadrer la fan zone et divers événements rythmés par les matchs, qui peinent à se transformer en selles. Mais aussi une gaillardise d’un autre genre : l’exposition Sainté Créativity (sic) qui a eu lieu du 11 juin au 10 juillet Place de l‘Hôtel de Ville. Son objectif était d’offrir généreusement en dégustation des produits emblématiques d’entreprises locales censés rassasier les ventres vides de fierté stéphanoise. Le tout présenté derrière des vitres à l’intérieur de caissons en métal (des algecos) agencés en colonie mycologique. Sur le même plateau, on nous présentait une sorte de victuailles différentes des produits industriels, celles réalisées par trente artistes locaux : des œuvres disposées dans des boxs consacrés à l’art, un « musée urbain éphémère » (le MUE). Ainsi produits et œuvres pouvaient se côtoyer dans un échange réjouissant d’enzymes digestives. Un métabolisme chapeauté et financé par le catalyseur Saint-Étienne Métropole. Le choix des entreprises et la scénographie des produits, d’une part, celui des artistes et des œuvres d’autre part revenaient à deux commissaires distincts, pourtant le « dispositif de monstration » (des containers) était le même : deux chefs en cuisine pour un unique service. Mais là n’est pas l’indisposition en question ici.
Mêlé à nos remontées acides, un coagulum particulièrement gênant émerge : un fusil de chasse et un Flash-ball super pro 2, fabriqués par l‘entreprise locale Verney-Carron à laquelle est accordé un Algeco exclusif. Le même Flash-ball que l’entreprise vend en grande partie aux forces de l’ordre de différents pays pour apporter « une réponse adéquate à la gestion démocratique des foules » dixit le cartel explicatif présent sous la vitrine — une réponse globale à létalité atténuée. Suspendus là comme en lévitation, ces produits locaux pour le moins épiques étaient prêts à réjouir les amateurs de sensations fortes et fétichistes du calibre, pourvu que les réalités corporelles des indécents dégâts causés par ces armes ne soient pas montrées. On nous montrait le repas sans les excréments associés.
Au vu de l’apparente indifférence des organisateurs et des participants, tout aurait pu glisser parfaitement si des borborygmes ne s‘étaient pas faits de plus en plus bruyants. Une indigestion plus contagieuse que prévu : dès les premiers jours d’exposition, l’énormité symbolique que représente l’exhibition fière de ces armes choque plus d’un flâneur, même une collaboratrice du maire s’en offusque. De fait, rien de mieux pour surfer sur la vague que d’exposer une arme qui, mise entre les mains des forces de l’ordre, a causé blessures graves et éborgnements sur des dizaines de personnes dans les manifestations contre la loi Travail de ce printemps. Aussitôt, une pétition en ligne est lancée demandant le retrait de cette arme de sa présentation au public. Le Flash-ball et le fusil seront retirés 5 jours après leur exposition et remplacés par d’alléchantes photos de fusil de chasse finement gravés de fioritures à l’anglaise. Entre-temps, une brume assombrissante s’était immiscée au-dessus du mini village de la créativité, à l’odeur d’une prise de conscience tardive. Puis le présage du discrédit s’était suivi d’une voltige de patate chaude : la responsabilité de l’exposition des armes ne revenait à personne, et celle du retrait à tout le monde.
Le journal le Progrès, qui s’y connaît en matière de gâchis alimentaire (et qui aime poser sa tête sur le ventre de la mairie pour en traduire les gargouillis) relate à l’inverse une clarté plus évidente dans un article intitulé : En marge de l’Euro, des armes jugées malvenues [1]. Il commence ainsi : « certains se sont émus de voir ces objets exposés », et poursuit par une phrase conditionnée sous vide, extraite des paroles de l’initiatrice de la pétition : « alors qu’il y a eu une tuerie de masse aux États-Unis et que le Flash-ball n’est pas toujours utilisé à bon escient dans les manifestations contre la loi Travail ». D’ailleurs, sa pétition aurait obtenu une dizaine de signatures selon le Progrès, alors qu’elle en a obtenu 74. Chiffres à part, on comprend plus tard la stratégie d’optimisation de l’espace rédactionnel. Laisser une place pour le dessert, pour une réponse « vraie » venant d’un adulte responsable qui ne s’embarrasse pas d’émotions (les tripes, ça se mange, c’est tout), l’adjoint du maire délégué à la Sécurité qui démêle le nœud gastrique :
Au vu des incidents qui ont eu lieu ce week-end à Marseille entre supporters, on a préféré ne pas laisser ces armes accessibles au public.
Même si elles ne pouvaient pas servir, on a préféré les retirer et les remplacer par des photos.
Peut-être l’annonce d’une prochaine collaboration entre commissaires d’exposition et de police... Quant à la pétition, il dit « comprendre que des gens puissent s’émouvoir de la présence de ces armes ». Et au Progrès de presque conclure : « Bref, tout le monde est content ». Le problème c’est qu’
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