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FRANCE  
Publié le 16 juillet 2024

14 juillet, fête nationale de l’hypocrisie républicaine et de la violence coloniale


14 juillet 2024. La France célèbre sa fête nationale. Le roman historique, alimenté en beaux mythes républicains et en trompettes triomphantes depuis plus de deux siècles, sonne particulièrement faux en cette période post-électorale incertaine où l’on ne s’interroge pas sur un éventuel fascisme à venir mais plutôt sur la forme que celui-ci prendra.

L’image fantasmatique de la Révolution de 1789, indispensable à l’exercice du pouvoir dans les républiques françaises et au maintien d’une hiérarchie entre les individus, participe – sans peur du paradoxe – à construire une fiction d’égalité et de liberté dont les femmes françaises et les populations colonisées avaient, dès la fin du XVIIIe siècle, bien compris l’hypocrisie.

Les enfants ayant fréquenté l’école française « de la République » ont intégré, non sans quelque fierté, que « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » et que ces droits sont « naturels et imprescriptibles ». Pour une fois, l’essentialisme et l’idée de nature auraient pu avoir un quelconque sens positif. C’était évidemment trop attendre de cette déclaration de principe bien vite écrasée par les ambitions de ceux qui ne cherchaient pas à renverser le pouvoir mais à le prendre, persuadés – peut-être sincèrement– qu’ils en feraient quelque chose de bien.

De nos jours, cette petite musique républicaine n’a pas d’autre fonction que de panser les plaies morales d’une France dont la colonne vertébrale idéologique est la discrimination sous toutes ses formes, racisme en tête. Et l’on se revendique, dans toutes les sphères d’un pouvoir autoritaire qui n’a rien à envier à l’Ancien Régime, dignes descendants des révolutionnaires de 1789.

Nous sommes donc le lendemain du 14 juillet 2024, et seuls les détenteurs du pouvoir, perchés au sommet de leurs privilèges, pensent vivre au pays des droits de l’homme.
Les autres, dont certaine·s ont pourtant elleux-mêmes fréquenté les bancs de l’école républicaine, savent depuis longtemps – car on leur a fait savoir – qu’il vaut mieux ne pas parier sur « les valeurs de la République ».

Ce sont pourtant ces « valeurs » que les manifestant·e·s entendaient défendre lors de la manifestation du 14 juillet 1953, dont le mot d’ordre était la lutte « contre l’arbitraire et la répression », ironie tragique.
Le défilé, organisé par le Mouvement de la Paix (soutenu par le PCF, qui, notons-le, ne s’est pas encore déclaré favorable à l’indépendance de l’Algérie à cette époque), comptait une part importante de manifestan·te·s algérien·ne·s, appelé·e·s à rejoindre le cortège par le Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques. Dans le même cortège se tenaient, entre autres, des anciens combattants. À l’époque, Pétain et l’Allemagne nazie n’étaient pas loin et l’on se souvenait encore que la résistance n’était pas du côté des fascistes, c’est-à-dire de l’extrême-droite.

Le cortège, dont la banderole de tête annonce l’ « Union pour la défenses des libertés républicaines », s’élance alors sous la pluie (coïncidence ?). Le MTLD, qui a réussi à mobiliser très largement pour cette manifestation malgré les arrestations préventives et les tentatives de dissuasion, fait référence, dans son tract, à la prise de la Bastille qu’il estime être « un coup porté aux forces de répression de 1789 ». L’un des objectifs annoncés du cortège algérien est notamment de « faire respecter les libertés en Algérie » et de lutter contre « le racisme policier ».
La lutte pour les droits et les libertés de tous les êtres humains pourrait sembler parfaitement conforme aux « valeurs républicaines ». Malheureusement, le « pays des droits de l’homme » à toujours eu un goût particulier pour le rejet de « l’autre ». En France, n’est pas « homme » qui veut… Et le roman national républicain s’en porte très bien.

Alors que la manifestation touche à sa fin, les manifestant·e·s algérienne·s se dirigent vers un véhicule pour y déposer les drapeaux et les portraits de Messali Hadj* dont ils demandaient la libération. Iels sont alors attaqué·e·s par la police, qui, quelques minutes plus tard, ouvre le feu sur elleux, sans sommation. Sept manifestants sont tués, dont six Algériens et un Français.
Les médias de droite reprennent sans surprise la version officielle des faits, à grand renfort de métaphores racistes sur la « sauvagerie » des manifestants nords-africains et « l’état de légitime défense » des policiers.
Les autres, manifestant·e·s, responsables politiques et syndicaux et médias de gauche, affirment que le massacre est une initiative des agents de police sur le terrain, qui ont ouvert le feu sur une foule sans défense, ce que corroborent les recherches universitaires effectuées depuis (Maurice Blanchard, Daniel Kupferstein).

Les procès des meurtriers, qui ont lieu quelques années plus tard, débouchent majoritairement sur des non-lieux.

À cette époque, ce genre de pratiques meurtrières de la part des FDO était monnaie courante en Algérie. Le 14 juillet 1953, la violence coloniale s’est exercée sur le sol des colons eux-mêmes et a coûté la vie à Abdallah Bacha, Larbi Daoui, Abdelkader Dranis, Mohammed Isidore Illoul, Madjeb Tahar, Amar Tabajdi et Maurice Lurot.

L’année dernière, le journal algérien El Watan évoquait ce massacre ainsi que les meurtres de Nahel Merzouk et Mohammed Bendriss, assassinés par la police en 2023, et se demandait si la France méritait de célébrer la fête nationale cette année.

En ce mois de juillet 2024, le pays des droits de l’homme a voté massivement pour le parti fasciste et ses élécteur·ice·s, né·e·s avant la honte, ne ressentent même plus le besoin de dissimuler leur haines de celles qu’iels nomment les « étranger·ère·s ».
Il y a tout juste dix jours, un policier à tiré sept balles dans le corps d’un homme algériens sdf. D’un siècle l’autre, le meurtrier revendique la « légitime défense » et le motif raciste est écarté par l’enquête.

Le 14 juillet 1953, les manifestant·e·s pour la libération de l’Algérie étaient contraint·e·s de se justifier et d’affirmer qu’il y avait une « grande différence » entre « être anti-français » et être « contre le colonialisme » (Abdelhamid Mokrani).
Aujourd’hui, les militant·e·s contre le génocide en Palestine sont pris dans la même dialectique, épuisé·e·s à force de vouloir répondre par la raison et la logique à des accusations qui font peu de cas des faits, peu de cas des vies humaines.

La réponse est donc toujours « non ». La France ne mérite en rien de fêter son roman national républicain, écrit, depuis 1789 jusqu’à nos jours, par une plume baignée dans le sang. Les « valeurs de la République » sont une mascarade qui justifie, depuis deux siècles, l’éviction de celleux qui, par leur « différence », semblent ne pas mériter d’accéder à l’hypocrite humanité des puissances coloniales.

* Messali Hadj participa à la fondation du MTLD qui était la façade légale du PPA interdit. En 1953-1954, une crise opposant le Comité central à Messali Hadj fit éclater le mouvement. Dans ce cadre, le FLN déclencha la Révolution algérienne le 1er novembre 1954.
Voir https://jugurtha.noblogs.org/post/2017/10/15/messali-hadj-par-les-textes/


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