Il avait été décidé de construire un mur de manuels scolaires devant l’inspection d’académie, manière de protester contre la réforme actuelle du lycée, et contre le marché du manuel scolaire : un marché bien juteux, surtout au rythme auquel les réformes du système éducatif se succèdent. On parle ainsi de nouveaux programmes au collège, quatre ans après la précédente réforme du collège. Cela signifie donc que tous les manuels en collège seront à nouveau obsolètes. Vous avez dit « développement durable » ? Rions ensemble.
Les éditeurs se livrent une lutte sans merci sur ce marché, à grand coup de « livres numériques », de « vidéos support à consulter gratuitement », de « manuels spécimens » à destination des enseignants – vous savez, un peu comme le petit échantillon en parfumerie ? Très souvent, désormais, le livre ouvre sur … l’écran.
Un.e professeur.e qui décide de choisir ce manuel plutôt que cet autre représente ensuite une commande d’au moins trente livres – eh oui ! ça a aussi du bon, les classes surchargées…Du coup, à chaque rentrée, nouveau programme ou pas, on en a plein les casiers. Évidemment, on ne les lit pas – on a en général déjà choisi le manuel il y a un bail – et s’il y a une réforme, alors on fait le tri. Comment ? Assez simplement. On prend celui où il y a le moins d’erreurs. En général, c’est assez vite fait. Ouvrez le livre à une page de cours, à une page d’exercice, et lisez. Si vous ne trouvez pas une faute, vous pouvez décemment considérer que vous êtes face à un bon manuel. Ayant effectué cette tâche simple sur un échantillon de douze manuels scolaires de seconde, un seul a résisté : on l’a choisi.
Bref, on a fait un beau début de muraille avec des livres empilés à l’entrée, mais le tas, faute de base assez large – un peu comme un mouvement de grève mal construit – s’est cassé la figure. On a donc décidé de tout déposer en haut des escaliers, devant la double porte vitrée de l’IA, soigneusement fermée pour l’occasion par un rideau métallique du meilleur effet. Et les livres se sont entassés. Histoire, géographie, éducation civique, maths, langues, il y en avait pour tous les goûts, même un exemplaire du livre de Carlos Ghosn « Citoyen du monde » dont je me demande encore ce qu’il fichait là . Mais il a fini au bon endroit.
Tout cela s’est passé dans de gentils chants joyeux : « Blanquer démission », « Macron démission », et « ta réforme où on se la met », bonne ambiance, il ne manquait qu’un peu de gaz lacrymogène et quelques CRS, dont l’absence s’est faite rudement sentir – décidément, le professeur peine à faire peur. Mais il y avait aussi quelques caméras et micros, on peut penser, donc, qu’il a su se faire entendre.
Dans l’après-midi, l’association contactée pour l’occasion aurait récupéré les livres – deux camions. [1]
Tout ce petit monde – environ deux cents personnes – a ensuite convergé vers la manif’ intersyndicale en passant par les hauteurs derrière le centre commercial qui constitue le temple moderne de ce quartier magique entourant l’IA. Drapeaux syndicaux et petit pas de sénateur – mais sans la retraite, hein, il ne faut quand même pas pousser.
Pour le Gueuloir,
[Werner le petit ver de terre.]
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