Actualité et mémoire des luttes à Saint-Étienne et ailleurs
ANALYSES ET RÉFLEXIONS ÉDUCATION - PARTAGE DES SAVOIRS / GENRE - FÉMINISME
SAINT-ÉTIENNE  
Publié le 20 juin 2022 | Maj le 25 juin 2022

L’autodéfense féministe autogérée : un outil physique et politique dans la cité


Depuis plusieurs années se développent en France (dont Saint-Étienne) des groupes d’autodéfense féministes autogérés, fait par et pour les femmes [1], que ce soient en trainings réguliers ou en stages. Quand on pense à « l’autodéfense pour les femmes », on aurait spontanément tendance à imaginer un gymnase trop grand dans lequel résonneraient des instructions à la voix forte et virile d’un homme musclé (l’instructeur), suivies par des réponses timides de femmes (les pratiquantes) tentant maladroitement de reproduire les mouvements inculqués. Le seul point commun avec l’autodéfense féministe est l’utilisation de son corps comme arme et rempart mais aussi la réalisation de rencontres en territoires pas si inconnus… Welcome dans une pratique à l’intersection du sport et de l’outil politique d’émancipation.

Gros bras, faibles femmes

Tout d’abord, les mots sont importants, l’« Autodéfense Féministe Autogérée » (ou ADF) n’est pas de l’autodéfense « féminine », souvent uniquement centrée autour de tactiques physiques guerrières pour se défendre en cas d’agressions de rue. Les espaces de « self-defense pour femmes » sont souvent rattachés à des clubs de sport avec pour objectif de générer un profit mercantile maximum, et avec la plupart du temps un « coach » masculin.

C’est déjà un bon début pour les concernées de s’outiller contre de potentielles agressions. Mais ce côté paternaliste, vertical, qui va chercher des soutiens masculins avec un prof se posant comme unique « sachant » à propos de violences qu’il ne vit pas est dérangeant. Idem sur le fait de valoriser la compétition au lieu de la coopération entre participantes.

Ou de proposer uniquement une réponse physique calibrée face à des attaques toujours extérieures. Tout cela réuni pose clairement problème dans une approche d’autodéfense féministe. Car cette première approche de l’autodéfense véhicule l’idée que les agressions sont principalement physiques et commises par des personnes inconnues, souvent tard le soir dans des parkings glauques. Merci la télé, la littérature et le cinéma. Mais c’est loin d’être le cas : la majorité des violences physiques et émotionnelles sont exercées par des personnes connues des victimes et dans des sphères privées.

L’aspect autogéré est variable selon les groupes et peut se traduire par une transmission tournante entre participantes, à partir de leurs connaissances dans les domaines abordés, ou via la venue d’une formatrice, en général pour des stages d’un à deux jours. Les trainings et stages se règlent à prix libre, en défraiement ou/et à prix fixes pour les formatrices s’inscrivant ainsi hors de logiques capitalistes. Le seul critère pour participer est l’envie, le besoin et de ne pas être un mec cis car ces espaces sont en mixités choisies [2], souvent meufs, gouines, trans (il existe des groupes d’autodéfense en mixité choisie uniquement trans ou lesbiennes, et plus récemment à destination d’enfants, d’ados...).

Aux origines de l’ADF

Les femmes se sont toujours défendues contre toutes sortes de violences même si cela a été peu mis en avant par l’historiographie officielle. Certains arts martiaux ont été créés par des femmes comme le Wing Chun en Chine ou le Naginatado au Japon. Au Maroc des femmes utilisaient l’« Assiouar » : un bracelet d’apparence innocente, mais pouvant devenir une arme redoutable.

L’autodéfense féministe à proprement parler est née à la fin des années 60. Le premier groupe documenté est apparu à Boston. Des féministes canadiennes ont par la suite adapté des techniques d’arts martiaux en créant le Wendo et le Femdochi. Une autre méthode d’autodéfense féministe, le Seito Boei, a été créée en Autriche. Au départ il s’agissait de groupes informels, autogérés, peu visibles, qui se multiplièrent progressivement dans le monde occidental par le biais des réseaux féministes.

En France, au début c’était surtout dans les milieux lesbiens séparatistes que l’autodéfense féministe a été pratiquée. Ce n’est que depuis les années 2000 que des associations se sont constituées, élargies et proposent des stages, des formations certifiées et l’accessibilité à l’autodéfense féministe dans des écoles et structures diverses.

Pourquoi montrer les crocs ?

Parce que dans un monde où les relations interpersonnelles ne sont pas exactement calquées sur celles des Bisounours, il s’agit avec l’ADF de donner un coup de pied rageur aux constructions machistes si bien ancrées qu’elles réduisent les possibilités d’actions des personnes genrées au féminin dans les espaces publics et privés. Une construction essentialiste de fragilité intrinsèque face aux hommes cis qui rend au départ impensable ou très difficile l’idée même d’user de la violence pour répondre à la violence tant elle a été intériorisée tôt, souvent dès l’enfance.

Parce que le livre Non c’est non, petit manuel d’autodéfense à l’usage de toutes les femmes qui en marre de se faire emmerder sans rien dire (oui le titre est long) d’Irène Zellinger fut une révélation.

Parce que dans son ouvrage Se défendre : une philosophie de la violence, Elsa Dorlin livre une généalogie de l’autodéfense des minorisé.e.s et des subalternes. Les esclaves, les colonisées, les pauvres, les Black Panthers, les patrouilles d’autodéfense Queer… Elle rapproche ces différentes luttes qu’elle relie à travers le concept d’autodéfense, d’autodétermination. Elle souligne une prise de conscience face à la domination par le corps et par le muscle. Pour elle, il est primordial de montrer que les femmes sont capables d’exercer de la violence, de ne plus les représenter en éternelles victimes et proies. Or la violence des femmes a souvent été cachée, invisibilisée, biologisée ou psychiatrisée.

Parce que la colère est une émotion associée très négativement aux femmes, connaître et se réapproprier cette dernière permet d’être lucide sur les oppressions subies, se libérer de la culpabilité et de faire face selon Virginie Despentes dans King Kong Théorie.

Parce que dans De l’usage de la colère, Audre Lorde l’utilise comme une manière de répondre avec assurance à des agressions sexistes, racistes et homophobes qu’elle a subies.

Parce qu’il devient possible de transformer la peur en colère et la colère en force et en actes.

Sous les crassiers, la riposte

Comme dans plusieurs villes en France, sous nos belles latitudes ligériennes, du côté de Saint-Étienne, existe depuis 2007-2008 un groupe d’autodéfense féministe. Il a été fondé par un petit groupe de personnes connaissant et voulant partager ces modes d’émancipations politiques et physiques. Du fait même du principe de l’autogestion et d’un collectif autonome, les dénominations, renouvellements, compositions du groupe, fréquences et lieux des trainings sont mouvants et mouvementés au fil des années mais la structure de base demeure.

Sur le site de la Gueule Noire, les concernant on peut lire :

C’est un groupe d’autodéfense pour « toutes sortes de « femmes » de différentes positions sociales (insoumises, putes, mères et voilées), de différentes sexualités (hétéra, lesbiennes, bies) et de différentes identités (meufs, gouines, trans). » (...) « On pourrait réfléchir selon nos niveaux, nos envies et nos humeurs à des moyens de travailler au même moment des choses différentes, seule ou en petits groupes. L’idée serait de prendre en compte les possibilités physiques de chacune et les spécificités de nos parcours pour que toutes se sentent plus fortes.

Différentes techniques (non divulguées hors du groupe) sont proposées suivant des contextes variés. Il y a de la bougeotte, mais aussi des temps de discussions, d’échanges, des moments conviviaux…

Malheureusement depuis 2020, c’est surtout un vilain virus qui a temporairement immobilisé le groupe dont les trainings se déroulent habituellement à la Gueule Noire (centre social autogéré de Synthé). Mais il en faudra plus pour affaiblir le collectif qui saura sans nul doute repartir du bon pied.

Du côté de « CNT Femmes Libres » sont aussi organisés sporadiquement des stages d’autodéfense, avec la même dynamique.

Conclusion

Le 25 novembre est la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes et minorités de genre. Tant que ce genre de journées existeront, des outils légitimes d’empowerment politiques comme l’autodéfense physique, émotionnelle et intellectuelle seront nécessaires pour un maximum de femmes, certes, mais aussi d’enfants, ados, vieux, handis, bref, les vulnérables et les cabossé.e.s des violences patriarcales systémiques.

P.-S.

Article paru dans Le Couac n°13.

Notes

[1Assignées et socialisées comme telles.


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