Camp d’été décolonial : août 2016, Festival Nyansapo : mai 2017, stage syndicat Sud Éducation 93 : novembre 2017, Université Tolbiac Paris I : avril 2018, autre stage Sud Éducation 93 : novembre 2019... Pour ne citer qu’eux. Les dates se succèdent mais les polémiques perdurent. Il y a comme un air de déjà vu qui revient à chaque fois en grillant tout ou presque sur son passage concernant Ces « réunions non mixtes ». Des endroits cycliquement mis sous les projecteurs, suscitant tollés et volées de bois vert ou bien compréhensions et encouragements. Et pourtant les dynamiques de non-mixité existent depuis belle lurette et sous différentes formes.
Qu’est-ce qui a mis le feu aux poudres ? À Synthé quels sont les espaces non mixtes et que proposent-ils ? Pourquoi est-ce si clivant, en particulier pour certains groupes de personnes ? Welcome dans la futaie épaisse des affirmations et des contradictions.
C’est quoi un espace en non-mixité ?
La non-mixité (ou mixité choisie) est un outil politique et militant consistant à organiser des rassemblements réservés aux personnes appartenant à un ou plusieurs groupes sociaux, considérés comme opprimés et discriminés en excluant la participation de personnes appartenant à des groupes considérés comme potentiellement discriminants et privilégiés. Cela afin de ne pas reproduire des schémas de domination. Cette pratique est utilisée par certains groupes de divers courants de luttes, notamment des féminismes, de l’antiracisme décolonial, du mouvement LGBTQI+, des personnes en situation de handicap.s et toutes celles se situant à l’intersection de plusieurs groupes sociaux dominés. L’accent sera donc mis ici sur la non-mixité comme outil de lutte militante. Bien qu’il existe aussi des non-mixités dans certaines écoles et au sein de groupes de parole, par exemple.
Recontextualisation
Tout a commencé le 17 mars dernier lors d’un interview de Mélanie Luce, la présidente de l’UNEF (Union nationale des étudiants de France, deuxième syndicat étudiant), invitée sur une radio nationale pour s’expliquer, initialement, sur la dénonciation de professeurs d’une université de Grenoble ayant eu des positionnements islamophobes. Au détour de l’interview assez houleux, la journaliste l’interroge sur la tenue de réunions non-mixtes au sein du syndicat. La présidente de l’UNEF reconnaît l’existence de ces réunions, qui se tiennent environ deux fois par an. Elle précise qu’elles visent uniquement à permettre aux étudiant.e.s de s’exprimer librement sur les discriminations qu’iels peuvent subir du fait de leur genre ou encore de leur couleur de peau. « Il n’y a aucune décision qui est prise en non-mixité à l’UNEF. Des réunions entre femmes sont organisées pour évoquer librement la question du sexisme, tandis que d’autres ont lieu entre personnes racisées (personnes susceptibles de subir du racisme) au sujet du racisme », précise-t-elle. « Ces réunions sont connues de tous. Elles ont démarré dans les années 2010 en réponse au besoin des militantes se disant victimes de violences sexistes et sexuelles » a affirmé par la suite Adrien Liénard, vice-président de l’UNEF.
Il n’en a pas fallu plus pour déclencher l’ire générale, des orages médiatiques et politiques parfois très violents. Plusieurs élus, de droite et d’extrême droite s’indignent de l’existence de telles réunions. Le patron des députés LREM, Christophe Castaner, accuse l’UNEF de « clientélisme indigéniste exacerbé totalement scandaleux. Si les faits relèvent du pénal, cela doit faire l’objet de poursuites ». Eric Ciotti, député Les Républicains, a pour sa part annoncé avoir écrit à l’actuel ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, pour lui demander « d’étudier sans attendre la dissolution » du syndicat étudiant. Quant au ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, il juge que ces réunions pourraient mener à « des choses qui ressemblent au fascisme », et précise réfléchir à des « évolutions législatives » pour les rendre illégales, ce qui est d’ores et déjà à l’étude. En 2017, ce dernier avait déjà porté plainte contre le syndicat Sud Éducation de Seine-Saint Denis après l’annonce d’ateliers réalisés en non-mixité ; une plainte f nalement classée sans suite.
Depuis plusieurs années, l’UNEF est régulièrement accusée par la droite de porter atteinte à la « laïcité » : comme en 2019 lors de sa participation à la marche contre l’islamophobie, ou encore en septembre 2020 lorsque Maryam Pougetoux, vice-présidente du syndicat, s’était rendue, voilée, à une audition à l’Assemblée Nationale.
Au niveau des organisations de gauche et extrême gauche les réactions sont disparates : certains s’insurgent contre ces demandes de dissolution et d’autres sont nettement plus distanciés. Pas plus clair à l’intérieur des milieux anarco-féministes-libertaires et des mouvements radicaux et autonomes : la non-mixité est un sujet à débats et à positionnements parfois antagonistes ; sa pratique étant parfois remise en question, même si elle existe depuis longtemps, dans la culture squat notamment.
Et, les propos d’Audrey Pulvar fin mars à propos de ces réunions non-mixtes – « S’il se trouve que vient à cet atelier [en non mixité pour des personnes noires et métisses] une femme blanche, un homme blanc, il n’est pas question de la ou le jeter. En revanche, on peut lui demander de se taire, d’être spectateur ou spectatrice silencieux. » – ont achevé de rajouter de l’huile sur le feu dans un contexte déjà crépitant.
Histoire des non-mixités
Ces réactions épidermiques répétées et clivantes ne datent pas d’hier, mais l’histoire des rassemblements en non-mixité est plus ancienne encore. Pour resituer les plus emblématiques, en France, ce sont surtout les mouvements féministes qui en ont fait un mode d’action. Le Mouvement de libération des femmes (MLF), très actif dans la lutte pour le droit à la contraception et à l’avortement dans les années 1970, refusait la présence d’hommes dans ses groupes de parole et cette pratique perdure encore au sein de plusieurs associations et collectifs féministes aujourd’hui. Cette conception de la non-mixité, comme un « acte fondateur, une étape nécessaire d’un cheminement vers l’égalité » est notamment théorisée en France par Christine Delphy, féministe post mai 68 et sociologue au Centre national de la recherche scientifique. « Nous sommes arrivés à la nécessité de la non-mixité. Nous avons pris conscience qu’à l’exemple de tous les groupes opprimés, c’était à nous de prendre en charge notre propre libération ». Avant cela aux États Unis, dans les années 1960, les Black Panthers et différents mouvements des droits civiques (qui désignent les luttes livrées pour mettre fi n à l’apartheid) pratiquaient déjà la non-mixité en excluant des personnes blanches de certains rassemblements. Ces pratiques revendiquaient un refuge contre les agressions d’une société raciste et les violences répétées d’une police blanche suprémaciste. Par ces pratiques était affirmée la conviction que les Noir.e.s doivent s’organiser entre elleux (« For us by us »), et qu’il incombe avant tout aux Blanc.he.s de lutter contre le racisme dans leurs propres communautés. Cela a permis à ces organisations de continuer le combat pour l’obtention d’une égalité de droits et pour s’exprimer en tant que groupe social et culturel à part entière. Le mouvement actuel Black Lives Matter (« La vie des noir.e.s comptent », BLM) reprend en grande partie ces positions.
On peut noter qu’à l’intérieur des mouvements féministes non-mixtes sans hommes, des femmes noires ont créé des groupes en non-mixité sans femmes blanches car constatant des rapports de dominations raciales (race sociale, la race biologique n’existe pas). Bien que la non-mixité de genre a été précédée historiquement par la non-mixité raciale, en France, c’est cette dernière qui fait le plus débat aujourd’hui et qui génère le plus de tensions ; au point d’ailleurs qu’une proposition de loi soit actuellement en débat. Mais pourquoi tout ce tapage politicomédiatique ? Qu’est-ce qui fait tant trembler le taillis ?
Un choix d’outil dans les stratégies de luttes
Déjà il s’agirait de distinguer « non- mixité » et « mixité choisie »
Le terme « non-mixité » renvoie sémantiquement à une importance donnée en creux aux groupes dominants en les nommant dans l’exclusion. Le terme de mixité choisie permet de visibiliser non seulement la pluralité des groupes inclus dans ces espaces, mais aussi les oppressions dont ces groupes sont victimes. « Mixité choisie », étant plus inclusif, sera préféré ici ; les mots sont importants.
Légitimité, luttes par et pour les concerné.e.s
Il s’agit de partir du fait que les personnes opprimées ne le seraient pas QUE par des personnes individuellement immorales, ignorantes, qui porteraient un discours discriminant sans fondement, mais par une structure de dominations systémiques maintenues à chaque échelle de la société. Quels que soient les milieux dans lesquels elle est utilisée (mouvements LGBTQI+, féministes, handicaps, sociaux, antiracistes et décoloniaux), la mixité choisie est une technique d’émancipation. Au-delà d’une idéologie ou d’un but en soi, c’est une manière de s’organiser, un outil.
« Les opprimé.e.s ne peuvent pas mettre de mots sur les choses si les oppresseur.e.s sont présent.e.s. En s’organisant en groupes et en partageant leurs propres expériences, ces personnes comprennent que leurs problèmes ne sont pas personnels, mais s’inscrivent dans une structure d’oppression. » (Françoise Vergès, politologue et féministe)
Ainsi, les concerné.e.s risquent moins d’être remis.e.s en cause par des personnes ne partageant pas leurs expériences vécues. Iels sont moins questionnées, délégitimées ou décrédibilisées, même « sans faire exprès ». Les participant.e.s peuvent s’exprimer sans ressentir le besoin de s’autocensurer ou de se justifier, sans la crainte de blesser les allié.e.s non concerné.e.s par les problématiques abordées dans le groupe.
Pour exemple, dans les milieux antiracistes ou féministes mixtes, il arrive fréquemment que des non-concerné.e.s par le racisme ou/et le sexisme favorisent les discussions et actions sur les sujets qui les intéressent et prennent de l’espace au détriment des concerné.e.s Les espaces en mixités choisies permettent de s’affranchir de ce genre de processus de dominations qui ne disent pas leur nom.
Safe spaces et empouvoirement
À l’intérieur de ces espaces on écoute, on ressent, on partage des émotions. Cela crée des liens, de la solidarité et de la force. La mixité choisie est une manière de développer son identité collective et individuelle, d’affirmer son pouvoir en son sein. Elle permet de créer un interstice mental et physique sécurisant, dans lequel les personnes apprennent à prendre confiance en elles et en leurs capacités dans un système qui les oppresse par ailleurs.
Se former, partager, s’organiser avant de s’ouvrir
Il est important de se construire à côté, pour pouvoir mieux revenir ensuite ou en même temps. Contrairement aux idées préconçues et répandues, un espace en mixité choisie est circonscrit en durée et en espace de fait (étant donné que la société est défi nie comme mixte dans sa globalité). Les personnes évoluant à l’intérieur d’espaces en mixités choisies ont la possibilité de côtoyer en parallèle d’autres espaces politiques et sociaux mixtes, l’un n’empêche pas l’autre. C’est plutôt une option supplémentaire, un choix. Donc, plutôt que d’être « communautariste » de façon péjorative, la mixité choisie devrait être perçue comme une manière de définir – en plus des raisons précédentes - ses objectifs et agendas politiques de manière autonome, plutôt qu’une énième cooptation d’un mouvement par une idéologie dominante.
Réactions en chaîne, contradictions et mauvaise foi
C’est sûrement sur ce dernier point que le bât blesse les groupes dominants criant à l’exclusion dans ces espaces. Un point de vue soutenu par leurs faire-valoir associatifs et idéologiques qui apportent un crédit tout relatif.
En effet il semblerait que dès que les minorisé.e.s essaient de se ré-approprier un espace politique et revendicatif, iels sont critiqué.e.s, dénigré.e.s, accusé.e.s de mille maux. La mixité choisie est aussi surtout critiquée pour son utilisation par des organisations militantes, en particulier antiracistes et décoloniales. Interdire certaines réunions à un groupe en fonction de sa couleur sociale reviendrait à créer des « manifestations racialistes », du « racisme à l’envers ou anti-blanc », « une forme d’apartheid », « un remix de l’extrême droite et des identitaires »… Ou encore des divisions excluant une partie des individus du débat au nom de la lutte contre un « système » dominant qui s’opposerait au sacro-saint « Universel et Humaniste » qui, lui, c’est bien connu, ne voit pas les couleurs…
La LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) et SOS Racisme – les deux associations de lutte contre les racismes financées et « adoubées » par l’État depuis les années 80 – ne sont pas en reste. Selon ces associations, la non-mixité raciale est une « résurgence raciste qui vise à assigner à des groupes une identité victimaire ». Elle serait « digne d’une exposition coloniale et un très fumeux concept en vogue » et renverrait à une vision « ne correspondant en rien à une dynamique antiraciste fondée, tout au contraire, sur le vivre ensemble et la rencontre ». L’ancien président de la LICRA, Alain Jakubowicz écrit en 2016 : « Désigner “le Blanc” comme symbole dominateur d’un prétendu “racisme d’État” qui sévirait en France, c’est être raciste. Quitter une réunion féministe en raison du trop grand nombre “de meufs blanches et assimilationnistes”, c’est aussi être raciste. Revendiquer le communautarisme et accueillir à bras ouverts le fondamentalisme religieux pour “guérir la France de l’islamophobie”, c’est offrir à l’extrême droite un boulevard pour promouvoir une conception contre-nature de la laïcité. »
Mixité ou ségrégation subie ?
En affirmant cela, Alain Jakubowicz semble oublier qu’une forme de non-mixité imposée par les populations privilégiées à des groupes marginalisés est une forme de ségrégation, de la non-mixité subie.
Que ce soit la domination des riches sur les pauvres, des hommes sur les femmes, des hétéros sur les LGBTQI+, des valides sur les handis, ou des blanc.he.s sur les non-blanc.he.s, les mécanismes sont identiques. « Il existe une différence entre la ségrégation subie et nourrie par le pouvoir, et la non-mixité temporaire choisie par des personnes vulnérables », rappelle la journaliste, autrice, documentariste et militante antiraciste Rokhaya Diallo.
La branche ballottée de la mixité choisie cache mal les nombreux mécanismes d’omnipotence qui perdurent au sein même des espaces sociaux mixtes. Il est même évident, en y regardant de plus près, que les opposant.e.s aux réunions en mixités choisies sont généralement des personnes qui n’auraient de toute manière pas participé aux réunions mixtes habituellement. Et, qui se sentent exclues juste parce que désignées comme oppresseuses. Christine Delphy le démontre très bien dans son livre Classer, dominer, qui sont les « autres » ? : les groupes dits supérieurs n’acceptent pas d’être renvoyés à leurs positions hégémoniques si ça n’est pas défi ni par eux-mêmes. Ils ne supportent pas que des groupes censés être secondaires s’autodéterminent dans un entre-soi, même ponctuel. Les groupes discriminés se doivent de rester à une place sociale de « grands enfants » dépendants, dont on peut s’approprier ce qui plaît et divertit, mais SURTOUT ne pas laisser une pensée et des actions autonomes se développer car plane toujours l’ombre du « grand remplacement »…
Luttes anti-racistes et décoloniales dans le viseur
Fania Noël, autrice, directrice de publication, afroféministe et coorganisatrice entre autres du camp d’été décolonial d’août 2016 pense que « l’autonomie est vue comme un danger par les personnes qui ont des choses à perdre dans l’émancipation. Les réunions afro-féministes non-mixtes n’ont en aucun cas vocation à proposer un projet de société ségrégationniste définitif, puisqu’elles s’inscrivent dans la temporalité d’un événement ponctuel. Elles offrent à leurs participantes une échappatoire, une zone de respiration dans une société oppressive. » De façon plus globale, les réunions réservées aux non-blanc.he.s se multiplient et rassemblent des militant.e.s désireux de défendre un antiracisme poli- tique, décolonial, qu’iels opposent aux échecs de l’antiracisme « Universaliste » et « moral » des années 1980.
Amandine Gay, réalisatrice, comédienne et afroféministe raconte son expérience à « Osez le féminisme ! » où elle se sentait oppressée dans un espace de féminisme ne lui correspondant pas, déconnecté de ses réalités en tant que femme, certes, mais aussi noire et adoptée ; ce que ne partageait pour ainsi dire aucune des femmes militant dans le groupe. « Tu apprends beaucoup mieux en non-mixité sans qu’on délégitime ton expérience, qu’on te coupe la parole ou qu’on t’attaque. Après, j’émettrais des réserves quant au fait de la présenter comme une fi n en soi. C’est un outil vers lequel on peut toujours se tourner quand on a besoin de faire le point, de réfléchir à certains enjeux et de développer des stratégies qui nous soient propres. »
Cette pratique, peut être l’outil politique de tous les mouvements de luttes. Elle permet donc d’aménager un espace de liberté politique qui devient ainsi un lieu de ralliement. Elle ne suscite d’ailleurs la chasse aux sorcières des médias et des dominants que lorsqu’elle est utilisée au profit des dominé.e.s.
À ce titre le Sénat propose le 12 avril 2021 en première lecture dans le cadre du projet de loi contre le « séparatisme » (rebaptisée loi « confortant le respect des principes de la République ») des mesures renforçant la « neutralité » à l’université, en interdisant des « prières islamiques » (non alléguées) dans les couloirs des universités et contre le voile pour les mineures et les femmes accompagnant des sorties scolaires.
En plus de cela, il compte interdire les campagnes « ouvertement communautaristes » aux élections et interdire les « associations intégrant des réunions en mixités choisies ». Par ailleurs les associations interdisant la participation à une réunion d’une personne « en raison de sa couleur ou son origine » pourront être dissoutes. Des termes fourre-tout, mais cependant on devine aisément qui est visé.e.
Alors dans ce cas, pour appliquer strictement cette loi à la lettre, pourquoi ne pas se pencher aussi sur les espaces non mixtes de fait ? Ceux où des groupes sociaux ne se sentent pas les bienvenu.e.s de façon implicite ?
Dans ce cas il faudrait, séance tenante, légiférer sur TOUS ces endroits investis par les classes dominantes, et qui ne comptent aucune ou très peu de personnes de groupes dominés. Il faudrait pour s’aligner avec la nouvelle loi faire de suite la chasse aux non-mixités des classes bourgeoises, médiatiques et culturelles excluant de fait les pauvres, les non blanc.he.s, les musulman.e.s, les handis, les LGBTQI+ et d’autres, en s’arrogeant les espaces, les capitaux, une pensée dominante, l’Éducation, l’hétéronormativité… Il ne faudrait pas oublier de poursuivre les mairies refusant de construire de nouveaux logements sociaux pour mixité choisie entre riches et issus de quartiers favorisés. La loi serait aussi, par souci d’équité, particulièrement pointilleuse concernant les espaces politiciens et médiatiques mainstream et les conseils d’administration. Elle rendrait les espaces culturels (galeries, musées, opéras, etc.) ouverts à toustes en supprimant les barrières invisibles qui se dressent devant certaines catégories de personnes ne s’y sentant pas légitimes. Une loi qui dissoudrait les clubs privés type Rotary clubs, « Les dîners en blanc » et autres lieux de bouche élitistes (devenus pour certains clandestins en confinement et n’ayant des sanctions que parce qu’il y a eu scandale populaire). Et de même réduirait au silence les groupes identitaires ayant pignon sur rue comme dans le vieux Lyon ; ceux qui organisent des « apéros saucissons-vin rouge » ou des « soupes aux cochon » pour les SDF « gaulois.e.s » pour cause de mixité choisie entre blanc.he.s.
Bref, ce doux rêve montre à quel point les classes dominantes n’acceptent pas que « les autres » marchent sur leurs plates-bandes politiques, intellectuelles et géographiques et s’organisent en conséquence. Leurs non-mixités ont l’hypocrisie de ne pas être nommées frontalement. Alors que quand les groupes dominés sont exclus, eux, ils ne « perdent » rien mais se sentent pour autant obligés de venir toquer aux portes sans invitation.
Organisations locales en mixités choisies
Envers et contre tous ces tumultes passés et récents existent, ici, à Saint-Étienne, des espaces en mixités choisies de fait ou qui le revendiquent clairement.
- Plusieurs amicales et centres sociaux hébergent des associations de femmes. Ces associations, en majorité investies par des femmes issues des immigrations, s’organisent en groupes de paroles, aident à sortir de l’isolement, de la précarité, à organiser des projets collectifs comme des sorties et des vacances en collectant des fonds par différentes actions.
- Des associations de santé communautaire proposent des ressources administratives, sociales et médicales. Elles inventent des moments de convivialité et favorisent l’entraide. Elles forment les professionnel.le.s et diffusent des informations spécifiques à certains groupes de personnes – comme pour les personnes trans et inter et par l’association Marsha.
- Le groupe d’autodéfense féministe de la Gueule noire propose d’identifier collectivement et se défaire de constructions sociales intégrées (patriarcat, racisme, peur de et dans l’espace public). Il y est proposé en autogestion des entraînements pour améliorer ses défenses et attaques physiques et mentales. C’est un lieu en mixité choisie pour « toutes sortes de femmes, de différentes positions sociales (insoumises, putes, mères et voilées), de différentes sexualités (hétéra, lesbiennes, bies) et de différentes identités (meufs, gouines, trans) ».
[Dans le texte « mixité choisies ton camps ! » paru après la polémique du festival Nyansapo organisé par le collectif afroféministe Mwasi en 2017, le groupe d’autodéfense apporte son soutien aux organisateur.ices et détaille le pourquoi de la nécessite et la légitimité de l’outil de la mixité choisie.]
- Le syndicat CNT femmes libres 42 parle de son choix de militer en mixité choisie femmes sur sa page du site de la CNT Loire : « Nous savons que dans ces espaces non-mixtes pour les femmes, la chape de plomb des violences sexistes et sexuelles se lève, la parole devient possible pour nombre d’ entre elles qui, hors de cet espace sécurisé, n’en trouvaient pas la force. (…) C’est dans cet espace que les luttes se forgent, des luttes qui ne mettent pas en péril d’autres luttes mais qui s’y additionnent. »
- Chez l’UNEF 42, interrogée au sujet de la polémique au niveau national et de l’éventuelle présence de réunions en mixités choisies dans le département, c’est le grand silence : impossible à joindre. Une info indirecte précise que le syndicat est « actuellement en pleine période d’élections, et leurs élu.e.s ne sont donc plus officiellement en poste donc la requête de répondre à quelque question que ce soit est impossible. »
- Grosse réserve aussi du côté du Bureau de la Vie étudiante de l’Université Jean Monnet sur le campus Tréfilerie : « Concernant notre position sur la question des rassemblements en non-mixité, nous nous devons de conserver un devoir de réserve et ne pouvons par conséquent pas prendre parti sur ce type de sujet afin de rester le plus neutre possible. » Entendu.
Au vu de ce panorama, il semblerait que la branche des mixités choisies soit bien pratique pour masquer les dérives liberticides d’un taillis politique, social et médiatique aux abois. Et, ce sont des groupes minorisés - en particulier racisés - qui, en s’autodéterminant par et pour elles et eux se prennent la volée de bois vert. Il est certain que lorsque l’on est dans une position socialement et économiquement favorisée, lorsque sa couleur et ses origines n’ont jamais été un frein, il est difficilement concevable de voir des personnes habituellement subalternes organiser des espaces où sa dite présence est clairement refusée. Et qu’en plus, culot suprême, il est exigé de se taire et de checker ses privilèges blancs. Cela ne veut pas dire que la mixité choisie n’a pas d’écueils. Ce n’est pas une baguette qui fera magiquement disparaître discriminations, ostracisations, inégalités & co. Mais les aléas peuvent être fortement limités par son utilisation comme un outil de construction du « nous » qui ne soit pas intouchable mais régulièrement repensé par les concerné.e.s.
Pour conclure, une vision optimiste de Rokhaya Diallo : « Alors que cela fait aujourd’hui quasi-consensus, les groupes de femmes ou de personnes LGBT étaient très mal perçus il y a encore quelques décennies. Et je suis convaincue que dans quelques années, les réunions non-mixtes de personnes racisées n’alimenteront plus de telles polémiques. Il faut juste une habituation médiatique. »
Rendez-vous est pris, let’s see.
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