La ville de Saint-Étienne bénéficie depuis 2015 du label « French Tech ». Ce délicieux anglicisme « place l’agglomération de Saint-Étienne, et son écosystème entrepreneurial, parmi les territoires leaders dans le domaine du numérique, du design et de l’innovation » selon le site municipal. Sous couvert de termes ronflants, rien de bien excitant, l’objectif étant de se lancer à corps perdu dans le domaine du numérique, un des seuls créneaux considérés comme porteurs actuellement et une solution à tous nos maux à entendre nombre d’élu-e-s.
Ainsi, ce sont près de 50 millions d’euros qui ont été dépensés par Saint-Étienne Métropole, dans le but de se doter de 16 nouvelles rames de tramway, remplaçant certaines des précédentes, pourtant parfaitement fonctionnelles [1]. Mais attention, celles-ci sont plus longues (engendrant un coût supplémentaire de 2,1 millions d’euros pour le réaménagement des quais) et disposent dorénavant d’une connexion WiFi, vous permettant de « poker » [2] cet-te ami-e situé-e quelques sièges plus loin et vous économisant du même coup quelques précieux mètres de marche (les rames sont plus longues, ne l’oubliez pas) !
Dans le même esprit, une connexion sans fil gratuite, déployée dans le cas du plan sobrement intitulé « Sainté WiFi », est également disponible sur 17 places de la ville – pour un coût de 60000 euros sur les 20 premières antennes, auxquels s’ajoutent 20000 euros de maintenance par an selon Sébastien Valla, directeur des systèmes d’information de la ville et de la métropole [3]. Désormais, vous n’avez plus aucune excuse pour passer la moindre minute les yeux rivés ailleurs que sur votre smartphone, voguant de Snapchat à Pokémon Go, pour peu que vous disposiez d’un de ces appareils et que vous vous déplaciez en centre-ville ou le long de la ligne de tramway.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là ! Ces installations ont en effet été complétées par des « beacons », de petits boîtiers connectés. Ces derniers permettent d’envoyer des notifications aux smartphones présents dans le périmètre de la borne, une fois l’authentification faite. Ainsi, Sébastien Valla imagine la révolution à venir : « Comme les utilisateurs s’identifient, le système peut savoir par exemple s’ils sont supporters ou non du club de football de l’ASSE, et leur proposer le cas échéant des réductions quand ils passent devant la boutique. » Ceci constituerait selon lui une manière de dynamiser l’écosystème local et de valoriser les commerçants, car comme il l’affirme : « Nous ne pouvons pas monter une régie publicitaire en tant que collectivité ». Encore heureux…
Dans la même veine, le stade Geoffroy-Guichard est dorénavant considéré comme le « premier stade 2.0 de France » d’après l’Agenda Stéphanois de mai 2017 consacré au numérique. Selon notre maire, « le spectateur qui vient au stade exige plus que le spectacle sportif qui se déroule devant ses yeux. Il aimerait être partout, tout savoir et ne rien manquer […] ou même encore, dans un tout autre registre, savoir ce que propose la buvette, le tout en temps réel. » Cette omniscience sera désormais possible grâce au déploiement d’un système de fibres optiques, une installation dont le coût n’a pas été dévoilé, mais qui vous permettra peut-être de savoir depuis votre siège s’il reste du ketchup pour votre hot-dog ou si des urinoirs sont disponibles.
Enfin, dans le bilan de mi-mandat dressé par le magazine de la ville, on apprend dans le chapitre consacré au numérique que « pour développer de nouveaux services, la collecte de certaines données numériques est indispensable ». Ainsi, une plateforme de collecte des données est en cours de développement, notamment autour de la consommation d’énergie. Malgré la réglementation (les données seront en Open Data, l’accès et l’usage de celles-ci étant donc laissés libres aux usager-e-s), la présence de Suez Environnement et Philips Lighting comme partenaires peut laisser planer quelques doutes quant à l’aspect vertueux de ce projet...
Bien loin des discussions que cet épineux sujet devrait engendrer, notamment sur un plan éthique, l’équipe municipale réalise progressivement un rêve de technocrate, enclavant ainsi un peu plus toute une partie de la population et démontrant la portée politique de telles décisions, notamment au vu des sommes engagées. Alors que le tissu social se dégrade de plus en plus et nécessite de redonner de la place à l’humain, de telles orientations relèvent d’une absurdité qui, elle, n’a rien de virtuel.
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