Construit de 1980 à 1983, sur un terrain de 17 hectares à l’extrémité de la zone industrielle d’Yzeure, près de Moulins, le centre pénitentiaire est composé d’une centrale, et d’une maison d’arrêt ouverte en 1984. Mis en service en 1983, le centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure comprend deux établissements complets (détention et services communs) géographiquement distincts : la maison d’arrêt et la maison centrale.
- Moulins-Yzeure - Établissement pénitentiaire
Un centre pénitentiaire est un établissement qui comprend au moins deux quartiers à régimes de détention différents (maison d’arrêt, centre de détention et/ou maison centrale). Standard 04.70.35.15.00.
Quelques sigles carcéraux :
AP : Administration pénitentiaire
DPS : Détenu particulièrement surveillé
ERIS : Equipe régionales d’intervention et de sécurité
JAP : Juge d’application des peines
QHS : Quartier de haute sécurité
QI : Quartier d’isolement
QSR : Quartier à sécurité renforcée.
QD : Quartier Disciplinaire.
Aux vieilles fouines qui ont toujours su contourner la loi et les règlements pénitentiaires.
Aux camarades, aux amis, aux familles qui ont permis chaque mois à ces chroniques de parvenir au journal malgré la censure administrative.
1 / Inondation sécuritaire ; Moulins, janvier 2004,
Aux alentours de huit heures du soir, je débarque à la centrale de Moulins. Gyrophares... béton... fils barbelés... grilles... sas blindés... Matons gantés comme des chirurgiens : « Fouille à corps ! ». Le greffier enregistre mon numéro d’écrou.
« Paquetage »...
« Pas de paquetage ! ».
Le bricard (brigadier Ndlr) prend un air entendu. « Il vient d’Arles. 1 ». Le plus curieux des fonctionnaires ose un « C’était comment ? ». Epuisé par sept heures de transfert, j’esquisse un sourire fataliste. Puis on suit de longs couloirs cimentés de gris. On franchit de nouvelles grilles. On s’engage sur une interminable passerelle glacée... Les projecteurs claquent sur les hublots de paquebot... Je plonge, je plonge... Et je comprends pourquoi les prisonniers ont baptisé cet établissement le « sous marin ». Le Talkie-walkie collé aux lèvres, l’escorte psalmodie « La 2, merci »... « La 4 et la 5 ! »... Et, tout au bout, on parvient enfin devant deux énormes portes d’acier. De simples étiquettes annoncent la couleur. A gauche, le mitard, à droite, le quartier d’isolement. Déjà la boite se referme sur moi, les verrous claquent dans mon dos. « Voilà. Je touche le fond ».
Vingt mille lieues sous les mers...
Qu’ai-je bien pu commettre pour mériter de me retrouver au quartier de la prison arborant avec fierté son étiquette de « disciplinaire » ? Quel fut mon crime ?
Bien sûr, je suis sorti par une fenêtre aux barreaux sciés... Mais le sous directeur, déguisé en pêcheur d’Island, me l’ordonnait et, en guise de confirmation, un maton encagoulé me plantait dans les reins son escopette : « Avance ! ». J’ai donc bien consommé un flagrant délit de « bris de prison » – puni d’un à cinq ans par la juridiction du tout-venant.
Bien sûr, je me suis ensuite retrouvé sur le toit...
Et je connais également le tarif de cet exploit : quarante cinq jours de cachot et trois mois de Q.I. Mais cette fois, les deux têtards m’encadrant sautillaient d’impatience : « Jusqu’à l’échelle ! » Et c’est alors que je l’ai découverte ! En contrebas, toute une flottille d’embarquement patientait, que seule la rumeur des moteurs trahissait. « Descends ! »...
La veille au soir, le directeur est passé de cellule en cellule, cuissardes de caoutchouc tirées sous les aisselles. « Vous serez évacués demain. » Et il m’a tendu une bougie avant de réaliser que deux lampes à huile brulaient sur la table. « Ah ! mais dites donc, vous êtes bien installé ! ».
Dans l’ancien temps carcéral, la confection des « chauffes », après l’extinction des feux coutait dix jours au pain sec et à l’eau. Lorsque j’avais allumé la mèche, les souvenirs avaient émergé... Les coursives des quartiers des prisonniers politiques de la Santé et du Fresnes d’avant la télé ; et le QHS d’Auxerre, où il fallait guetter le cliquetis des clefs, maquer le vasistas pour les miradors et profiter de la flamme dansant sur la plage.
Cette nuit Arlésienne fut extraordinaire, la lune libérée des projecteurs et de l’éclairage public cabotait sur l’immensité du ciel renversé. Aucune lumière humaine ne troublait plus la cité engloutie. Aucun autre bruit que des clapotis du fleuve vagabond. Penchés aux bastingages, les détenus savourant la nuit buissonnière.
Vous êtes prêts ?
Dans le cache de la porte, trois cagoulards imposent leurs carrures renforcées. Je sors. Ils me fouillent. Le canon du fusil à pompe me scrute au fond des yeux. « Fais gaffe ! »
Gilets de sauvetage... gilets pare-balles... Ombres anonymes...
La coursive est peuplée d’encagoulés. Je ne la reconnais plus. Trois ans que je vivais là, tous les jours, même le dimanche. Elle a été le témoin de nos fêtes, malgré tout, et de nos chicaneries, jamais graves, de nos efforts à tromper le naufrage de la mort lente. Mais maintenant, elle est étrangère, hostile.
Les moteurs des zodiacs surgissent. Au fil de l’eau, les canots inaugurent le bal. Sur le chemin de ronde, nous partons les premiers. A la fenêtre, Fouad crie : « Ramène nous des morues ! ». Plus loin, Jean-Marie dresse le poing en signe d’adieu...
Nous savons bien que c’est fini. Tout ce que nous avions conquis ici, nous devrons le reconquérir ailleurs.
La veille au soir, nous avons éclusé le dernier litron de la piquette maison. Puis bras dessus, bras dessous, nous avons entamé sur le pont, de vielle chansons révolutionnaires.
Dehors, c’est comme à la télé – enfin, ce qu’on voit aux actualités, chaque année, quand le Rhône crève une digue... Une vision banalisée de catastrophe, sauf que, ce coup-ci, nous sommes dans le bain, tenant le premier rôle des sinistrés.
Le voyage traine en longueur. Le canot est trop chargé : des flics, des matons, un homme-grenouille et le pompier au gouvernail. Tout ça pour deux pirates déclarés dangereux ! Enfin, presque, parce que mon co-équipier sera libéré avant la fin de l’année.
Nous traversons la zone industrielle, nous longeons les rues abandonnées. Encore des rues... Un vol d’hélico nous dépasse avec fracas. Les poulets expliquent que le sinistre Perben a pris de la hauteur pour surveiller le bon déroulement médiatique de notre sauvetage.
Sur le quai improvisé, en effet, ils sont tous là : officiels par dizaines, flics par centaines, et la nuée des reporters. Sous les flashs, on débarque des canots comme à Cannes les stars des limousines. Ils se bousculent, se penchant sur nos poignets cadenassés. Je pense à nos anciens, traqués sur le chemin de Saint-Martin par des journaleux avides de l’émotion du départ des bagnards pour les Amériques.
- Ile de Ré, St-Martin :départ des prisonniers pour la Guyane
- Ile de Ré, St-Martin : embarquement
Mon collègue se redresse et, forçant un accent des cités, hurle à la cantonade : « Je suis innocent, je jure que je n’ai pas touché aux digues ! Wouala ! ». Le préfet Marion rit jaune. L’encagoulé lui tend le bout de papier sur lequel est inscrit son nom.
Lui, vite... Vite au camion !.
L’escorte me tire, me pousse et double mes chaines.
Je grille la politesse à mes compagnons d’infortune pour atterrir dans une cage grillagée. Dans la pénombre, je recouvre mon statut social de Bête. Un encagoulé me guette !
Quelques jours plus tard, Dominique, vieux taulard et ancien des Beaux Arts, affirme en prenant le café : « Depuis ma première incarcération, en 1958, la zonzon n’a pas changé. »
En face, Patrice le contredit : « Non. Avant, ils forçaient les condamnés à porter la cagoule, aujourd’hui, ce sont les matons qui la portent [1] ».
Voilà pourquoi, dans ce système sans queue ni tête mais sempiternellement sécuritaire, à peine sauvé des eaux, ils m’expédièrent par le fond, pour jouer les Capitaines Némo…
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