Roannais Agglomération et la mairie n’ont pas abandonné le navire et ont facilité la concrétisation de cette nouvelle page de l’histoire du golf : vente du foncier pour une somme modique, réaménagement des circuits de randonnée, déplacement d’un stand de tir à l’arc, financement d’une station de pompage, d’une conduite forcée de 3,2 km et d’une prise d’eau dans la retenue du barrage de Villerest, etc. La contribution totale des collectivités locales est estimée à 1,5 millions d’euros par les opposant.e.s au projet [2]
Les ambitions sont claires : rendre « accessible » cette activité sportive au plus grand nombre, valoriser le « bien vivre » caractéristique du territoire roannais, offrir aux golfeurs et golfeuses un cadre enchanteur bucolique et la possibilité de retrouver ses liens avec la terre en pratiquant un « sport de nature ». Derrière les discours vendeurs de rêve, qu’en est-il réellement ?
Un sport accessible à toutes et tous ?
Les investissements en argent public et l’appui politique en faveur d’un projet privé dédié à un sport pratiqué par une minorité fortunée posent question. Les promoteurs du projet font valoir que le golf s’est démocratisé grâce aux exploits de Tiger Woods. Si le nombre de licencié.es à la fédération française de golf (plus de 400 000) reste loin derrière celui du foot, il est en effet devant le rugby, l’athlétisme ou la natation [3]. Le Domaine de Champlong affiche sa volonté de contribuer à cette démocratisation du golf, comme en témoignent les engagements sociaux promis lors de l’enquête publique en 2018 (initiations gratuites pour les scolaires, etc.) [4]. Sans faire de procès d’intention, il est évident que cette volonté risque rapidement de se heurter à des considérations bassement matérielles.
Le coût d’une pratique régulière de ce sport est exorbitant pour la majorité d’entre nous. L’abonnement annuel à Champlong coûte la bagatelle de 1 150 euros par personne, auxquels il faut ajouter d’autres frais comme les cours ou l’achat des équipements. Certes, ces dépenses sont moins élevées que pour le ski ou les sports mécaniques mais elles restent nettement plus onéreuses que la moyenne des dépenses consacrées au sport par les Français.es (qui tourne autour de 250 euros selon les années). A l’instar du ski, les « pauvres n’ont qu’à en faire moins souvent » direz-vous. Il demeure toutefois difficile de prendre du plaisir sans pratiquer très régulièrement des sports aussi techniques.
Rappelons enfin que le golf est une activité encore très genrée, les sites spécialisés eux- mêmes regrettant ainsi que seulement 27 % des licencié.es à la fédération française étaient des femmes en 2019 [5] .
Un projet au service du « bien vivre » local
L’extension du golf de Villerest s’inscrit dans une politique de « marketing territorial » orientée vers une certaine fraction de la classe dominante. Pas vraiment en direction des intellos dragué.es par Hidalgo, Piolle ou Doucet, pratiquant le yoga ou le molki.
Mais plutôt vers les bourgeois.es avides de luxe et friand.es des traditions locales incarnées par les têtes de gondoles gastronomiques du Roannais comme le pâtissier Pralus ou le vigneron Serol. Le golf est au cœur du fastueux complexe touristique - digne d’un conte de fée - du Domaine de Champlong regroupant un restaurant, un hôtel 4 étoiles, un spa et un centre équestre. Cerise sur le gâteau, le célèbre restaurant Troisgros est à 3 km à peine. Les qualités attribuées aux golfeurs et golfeuses correspondent aux compétences attendues chez les membres de la classe dominante : vision stratégique, sang-froid, souplesse, réactivité et concentration. Le golf n’est toutefois pas qu’un loisir permettant de se distinguer de la masse, c’est aussi un lieu propice aux échanges entre « hommes d’affaires », au réseautage. Un endroit idéal pour cultiver son entre soit et discuter gros sous. Nombreux sont les golfs en France qui ont été créé par des PDG (Hersant, etc.) soucieux de développer leurs relations. Certains ne se gênent pas pour comptabiliser les sorties sur le green dans les frais d’entreprise, fiscalement déductibles [6]. Et ce n’est pas un hasard si Donald Trump avait l’habitude d’inviter les grands de ce monde à une partie de golf pour évoquer les conflits géopolitiques. Début juillet, le Domaine de Champlong a plus modestement accueilli la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) pour un apéritif dînatoire.
Enfin, l’intérêt des investisseurs et élu. es locaux est également vénal, au-delà de la rentabilité des équipements sportifs et touristiques (l’hôtellerie est un haut lieu de l’exploitation des salarié.es), une hausse du prix de l’immobilier dans les environs du golf est en ligne de mire.
C’est de la balle pour la nature ?
Les touristes (friqué.es) en manque de verdure sont chouchouté.es, l’objectif étant de se raccrocher à la mode des « sports de nature » [7], aux côtés du char à voile ou du trail [8]. Le logo du Domaine de Champlong est un arbre stylisé avec le symbole de l’infini… l’environnement est pourtant quelque peu malmené par l’extension. Des coupes de 2 hectares de bois, dans un massif comprenant des chênes centenaires, ont été nécessaires pour créer de nouveaux équipements sportifs et plusieurs zones humides se situent dans le périmètre du golf. Nous nous trouvons à quelques encablures des Gorges de la Loire classées Natura 2000 pour la protection de la biodiversité par la réglementation européenne. Rassurez-vous, des mesures de prévention (des filets pour éviter que les balles finissent dans la nature) et des mesures de compensation sont prévues afin de repeindre le projet en vert [9].
Le point faible du chapitre environnemental est indéniablement la problématique de l’eau. Si la surface du golf a doublé, la consommation d’eau est multipliée par quatre afin de faire gagner le green en qualité. Elle est estimée à 40 000 m3/an selon le Domaine de Champlong et à 100 000 m3/an d’après le dossier d’enquête publique, cherchez l’erreur ! 100 000 m3 représentent l’équivalent de la consommation de 2 500 foyers, nous comprenons mieux l’importance de la station de pompage financée par la collectivité. La retenue du barrage de Villerest fait pourtant déjà l’objet de vifs conflits d’usage [10]. Cette eau sert de réserve pour l’eau potable, elle est nécessaire au tourisme (plage) et est convoitée par les agriculteurs. A l’échelle du fleuve, la gestion de la retenue permet de maintenir un débit suffisant dans la Loire pour refroidir les centrales nucléaires situées en aval tout au long de l’année. Dans le contexte du dérèglement climatique et des sécheresses à répétition, où nous sommes inondé.es de consignes culpabilisantes sur l’eau du robinet à ne pas gaspiller, utiliser cette ressource pour une activité sportive élitiste fait grincer des dents.
La guerre du golf
Le beau roman a été temporairement contrarié par des riverain.nes, des collectifs et des associations qui se sont bougé.es pour tenter de stopper le projet d’extension. Nous ne retrouverons pas ici l’ampleur des enjeux environnementaux ni la radicalité des luttes de Plogoff, Superphénix ou Notre Dame des Landes… mais symboliquement le combat a eu son importance. La mobilisation a débuté par une pétition et la réalisation d’une vidéo dénonçant le projet. Elle est passée à la vitesse supérieure le 20 septembre 2019 avec une manifestation et l’occupation par des militant.es pendant une matinée des locaux de Roannais Agglomération, avant leur expulsion par la police. Des revendications en lien avec les enjeux environnementaux internationaux ont été mises en avant, dans une optique de convergence avec les marches pour le climat.
Une bataille juridique s’est engagée en parallèle, avec un recours de France Nature Environnement et de l’Association roannaise de Protection de la Nature contre le permis d’aménager. Celle-ci s’est malheureusement terminée en faveur de l’extension du golf suite à une décision du Tribunal administratif de Lyon défavorable aux associations. La lutte victorieuse contre le Center Park à Roybon a montré que l’arme juridique pouvait avoir son utilité, qu’elle peut être un outil parmi d’autres au service de la lutte, dans une perspective de diversité des tactiques. Mais les recours devant les tribunaux ont peu de chances d’aboutir positivement sans un rapport de force sur le terrain particulièrement favorable, le rôle confié aux institutions judiciaires étant de garantir les intérêts du capital.
Au final, si l’extension aura tout de même eu lieu, gageons que les décideurs locaux y réfléchiront à deux fois avant de poursuivre la rédaction de la série des « grands projets sportifs inutiles ».
Compléments d'info à l'article