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ANALYSES ET RÉFLEXIONS CAPITALISME - GLOBALISATION
LOIRE (42)  
Publié le 18 septembre 2022 | Maj le 19 septembre 2022

L’argent magique des plans de relance


La visite officielle du Président Macron à St-é et à Montbrison en octobre 2021 était destinée à vanter les mérites du plan de relance national « France Relance ». Le monarque s’est rendu à cette occasion dans l’entreprise Soléane, spécialisée dans la robotique, qui a bénéficié des largesses de ce plan. Notons que si Macron fut reçu les bras ouverts par C. Seguin, la Préfète, et G. Perdriau, le Maire, les gilets jaunes avaient préparé un comité d’accueil plus mouvementé à Montbrison ! La police en a décidé autrement, nassant nos courageux et courageuses ami.es pendant plus de quatre heures.

Une suite d’aberrations

Les chiffres des montants des différents plans de relance mis en place à partir de 2020 à la suite de la crise COVID 19 sont vertigineux. Comme au téléthon, chaque institution y est allée de sa promesse de dons. En voici un aperçu non exhaustif :

  • l’Union européenne avec son plan « Next generation UE » doté d’un budget de 2018 milliards d’euros sur la période 2021-2027,
  • l’État avec les 100 milliards d’euros du plan France Relance,
  • la Banque des territoires (ex-caisse de dépôts) qui a abondé de 16 millions d’euros le fonds « Région Unie » mis en place en Auvergne Rhône-Alpes,
  • le plan de relance économique régional de notre Lolo Wauquiez national, d’un milliard d’euros,
  • les trois milliards d’euros supplémentaires du Contrat de plan État/Région, qui prévoit notamment 200 millions d’euros pour créer des « alternatives à l’A45 » entre la Loire et le Rhône (rénovations d’autoroutes, de gares etc.),
  • le plan de relance du Conseil départemental, doté de 15 millions d’euros,
  • le plan de relance métropolitain de Saint-Étienne Métropole, avec ses 320 millions d’euros,
  • des exonérations de diverses taxes, redevances et loyers pour les commerces et les associations de St-Étienne dans le cadre du plan communal de protection et de solidarité de la Ville.

Tellement de thunes ont été soudainement débloqués que tout l’argent ne pourra pas être dépensé, faute de projets suffisamment mûrs et de coordination entre financeurs. Ces fonds sont généralement répartis dans le cadre d’appels à projets. Autrement dit, ils sont limités dans le temps - 2 ou 3 ans maximum – et ciblés en priorité sur des dépenses d’investissement. Certains appels à projets sont même basés selon le principe du 1er arrivé / 1er servi, concrètement certains acteurs n’ont pas obtenu de subvention à cause d’une connexion internet moins performante que les concurrent.es. Peu importe en revanche que le projet à financer soit en lien avec la crise sanitaire. Bref, c’est la prime à celui qui a la possibilité de pouvoir sortir du chapeau le bon projet au bon moment (ou à celui qui est dans les bons réseaux professionnels lui permettant de disposer des infos utiles avant les autres).

Résultat de cette logique d’appel à projet : pas d’argent magique ou presque pour les dépenses de fonctionnement et donc pour recruter des « moyens humains » sur la durée. Comme si les investissements se limitaient à la phase chantier et pouvaient être mis en œuvre sans un minimum de travail à long terme (pour la maintenance des équipements, l’entretien des aménagements ou l’animation des actions financées). Par exemple, les Projets Alimentaires Territoriaux estampillés France relance vont permettre de lancer de multiples initiatives dans le domaine de l’alimentation (avec des projets sur Saint-Étienne Métropole tels que la création d’une cuisine centrale pour les centres sociaux ou l’ouverture de nouveaux jardins collectifs), sauf que leur mise en œuvre pourra être remise en question dans deux ou trois ans si de nouveaux budgets ne sont pas accordés. Concernant la 1re ligne du front contre le COVID que fut le secteur de la santé, le plan France Relance lui consacre 6 milliards d’euros dédiés principalement aux investissements dans les maisons de retraite et les hôpitaux... mais sans nouveaux lits et sans le personnel qui va avec.

Dans la lignée du monde d’avant

La finalité des projets financés pose également question. Nous sommes loin d’un monde d’après qui en finirait avec les erreurs du monde d’avant. Au contraire, les plans de relance encouragent l’emballement vers les solutions productivistes qui ont engendré les catastrophes sociales et écologiques actuelles. Les activités économiques qui reviennent le plus souvent dans les plans de relance sont le numérique, le tourisme, les transports, le BTP et l’agro-alimentaire. Le capitalisme vert est également bien servi, avec notamment des crédits voués à la recherche et au développement de nouvelles technologies (moteur à hydrogène, réhabilitation de friches industrielles, etc.). Quant à la très polluante industrie aéronautique, elle bénéficiera de 600 millions d’euros d’aides des magicien.nes de l’État.

Nous pouvons citer comme exemples de bénéficiaires locaux du plan France Relance les entreprises « Loire Industrie » à St-Chamond (avec un projet dans le domaine de l’usinage de pièces pour l’industrie nucléaire), « Federal Mogul Ignition Products » à Chazelles (pour une nouvelle ligne d’assemblage dans le secteur automobile) ou encore Lustucru à Lorette (pour le développement d’une nouvelle gamme de pâtes industrielles).

Les métiers qui sont les vôtres, la robotisation, la modernisation de la transformation du processus industriel, sont clés, et c’est une vraie transformation de l’industrie sur laquelle on avait historiquement pris du retard qu’on est en train d’essayer de rattraper à marche forcée. La robotisation, la numérisation de notre industrie, c’est une bataille essentielle.

Déclaration d’ E. Macron lors de sa visite à Saint-Étienne en octobre 2021 [1]

Les « va t’en guerre » ont regretté que l’industrie de l’armement soit le parent pauvre de ces différents plans. Précisons que cette industrie a toutefois été déjà bien servie en 2018 grâce à la loi de programmation militaire 2019-2025 qui accorde la bagatelle de 180 milliards d’euros au secteur de la « défense ». Et la guerre en Ukraine provoque une envolée des dépenses militaires d’une ampleur inégalée depuis des années.

Pour sauver le soldat capitalisme

Comme l’indiquent leurs dénominations (« green new deal », etc.) les plans de relance s’inscrivent dans la lignée des politiques économiques d’inspiration keynésienne. Celles-ci tranchent avec les décennies passées de néo-libéralisme austère où l’argent n’était pas encore magique. L’idée est de faire redémarrer une machine capitaliste grippée par une politique de sous-investissements chroniques, autrement dit de « rendre l’argent utile » par des investissements massifs dans l’économie « réelle » plutôt que sur les marchés financiers. Cette politique de relance par des investissements stimulés par les États est vendue comme un moyen de lutter efficacement contre le chômage. Elle est sensée s’accompagner d’une politique de relance de la consommation, pour que les investissements puissent ensuite trouver des débouchés et que les classes populaires puissent subsister en ces temps de crise. Notamment par des hausses de salaires et des aides sociales comme ce fut le cas du temps de « l’État providence ». Pour le coup, la prime de 100 euros « généreusement » attribuée par Macron fait pâle figure !

Le keynésianisme ne possède pas le caractère antisocial de l’austérité libérale, cette dernière se concrétisant par la destruction des services publics et des acquis sociaux. Mais la potion réformiste concoctée par J.M. Keynes n’est pas magique pour autant, les États et leurs institutions ayant recours à des ingrédients pour financer la relance qui auront des conséquences indigestes à long terme à cause entre autres :

  • d’un risque de hausse des prix, en raison de l’injection par les banques centrales des États et de l’UE d’argent dans l’économie qui est déconnectée de la création réelle de richesses (prêts avec des taux très bas voire négatifs, émissions monétaires, etc.). Ce sujet d’actualité depuis les Gilets Jaunes s’est depuis largement aggravé en raison des répercussions de la guerre en Ukraine.
  • du financement par les pouvoirs publics d’investissements réalisés par des boîtes privées qui s’en mettent plein les poches au passage, aux frais du reste de la société. Le plan de relance de Saint-Étienne Métropole prévoit par exemple 20 millions d’euros en faveur de l’accompagnement des start-ups.
  • de l’endettement, étant donné qu’est utilisée dès aujourd’hui la richesse créée demain. On va évidemment nous demander de rembourser ultérieurement les dettes publiques qui ont permis de financer les plans de relance via une nouvelle cure d’austérité. On peut donc s’attendre à des hausses de taxes, du temps de travail, à un énième report du départ la retraite, à une casse de la Sécu, etc.

Le plan résilience annoncé par Macron en mars, et surtout les hausses des dépenses militaires, vont sans nul doute aggraver ces tendances.

L’alternance de périodes de récession économique et de prospérité fait partie du fonctionnement normal du capitalisme, les politiques d’adaptation plus ou moins brutales mises en places par les institutions en réponse à ces phénomènes cycliques sont dans la droite ligne du monde d’avant. Tout cet argent débloqué vient nous rappeler que la moula est une arnaque, un numéro de prestidigitation, et certainement pas une récompense en échange de son travail. L’argent est avant tout une invention destinée à fluidifier le marché et à faciliter l’accumulation de capital. Au delà des décisions électoralistes de politicien.nes corrompu.es par leur soif de pouvoir, des politiques à courte vue engluées dans l’actualité, l’État moderne n’est pas seulement un instrument permettant (parfois) de réguler et d’humaniser le marché et les rapports sociaux. Il constitue surtout une « bande d’hommes en armes » vouée à maintenir coûte que coûte le système économique, que ce soit par des plans de relance ou l’austérité, la répression ou la guerre. Une sorte d’élixir de longue vie, d’assurance tout risque du capital. Le choix des secteurs bénéficiaires des plans de relance est éclairant de ce point de vue.

Tout cet argent pas si magique ne finira pas dans nos poches : une raison de plus pour rendre l’argent inutile en se débarrassant de la marchandise et de l’État, à Saint Étienne comme ailleurs.

P.-S.

Article paru dans le Couac n°14, au printemps 2022.

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