Bonjour.
Salut.
Bon déjà merci d’accepter de m’accorder un peu de temps pour l’entretien.
Ouais, pas de problème.
Donc on va commencer, je vais te poser une première question. Qu’est-ce que tu penses de la citoyenneté, qu’est-ce que ça t’évoque, ça signifie quoi pour toi être citoyen aujourd’hui ?
Bah profondément tu veux dire ? Enfin je veux dire, citoyen, quelle est la définition de la citoyenneté de façon générale ?
Pour toi ?
Pour moi, bah, je la définirais comme… On pourrait parler de droit de vote par exemple, de choses qui se rapportent à ça, alors qu’il n’y a pas de droit de vote pour moi, honnêtement, étant donné que le droit de vote qu’on a, c’est uniquement le droit qu’on leur donne à eux finalement d’être élus, c’est tout ! On nous donne aucun droit à nous, enfin je sais pas si tu vois ce que je veux dire, enfin bref... Pour moi la citoyenneté, c’est un petit peu un bourrage de crâne, c’est-à-dire c’est de l’éducation civique par exemple tu vois, c’est toutes les institutions, l’institutionnalisation, qui sous couvert de nous gérer en fait, de gérer l’État, nous donne des droits.
Alors, tu parlais de vote, pour toi le vote c’est quelque chose d’important ou pas ? J’ai compris à peu près que non mais bon, donne moi un petit peu plus de détails ! [rires]
Bah des détails… je pourrais te donner des détails si justement je considérais que c’était quelque chose d’important mais bon pour moi à partir du moment où je pense qu’il y a, comme je te l’ai dit, une institutionnalisation, je peux pas… enfin tu sais, tu vois à peu près par mon teint que je viens d’un milieu… enfin voilà quoi, que je viens un peu des quartiers… ou pas forcément, mais dans tous les cas je viens pas de la classe sociale que t’es censée interroger ou j’en sais rien, je sais pas comment tu diriges ton...
On n’a pas spécialement de classes sociales, on interroge tous les gens de Firminy, mais c’est intéressant.
Ouais donc attends, du coup j’ai oublié le fil de ta…
Du coup par exemple, concrètement est-ce que t’es inscrit toi sur une liste électorale ?
Non, j’ai jamais été inscrit, j’ai jamais voté, j’ai eu des idées politiques justement très tôt je pense, qui font que j’ai pas eu forcément l’envie de voter, parce que... parce que pour moi voter pour un représentant... parce que c’est ça hein, le droit de vote, c’est voter pour un représentant, je veux dire, tu sais très bien toi aussi que j’ai pas de représentant. On a pas de représentant. Finalement on en a pas. Déjà on part pas sur le principe de vouloir être représenté, tu vois. Donc à partir de ce moment-là, pourquoi voter ? Parce que finalement en nous, on a pas envie d’être représenté, par n’importe qui, on a pas envie, on a pas envie, c’est tout. Donc voter, parler de tout ça, toute la démagogie qui a été faite sur les représentants des quartiers par rapport à leurs habitants tout simplement pour se donner un petit rôle, voilà, moi ça me concerne pas. Je pense que la majorité de ceux que je côtoie, ça les concerne pas non plus. Ça ne m’empêche pas d’avoir des idées politiques.
Et justement par exemple, le fait de ne pas aller voter, est-ce que tu penses que ce n’est pas un risque d’être mal représenté ?
Comme je t’ai dit, au fond de nous on cherche pas à être représenté.
Donc en fait, toi ta vie à toi, tu la mets un peu en dehors de la sphère politique... ?
Ouais voilà, parce que je vois la politique en fait...
...et de l’institutionnalisation ?
Voilà, surtout, j’écarte pas ma vie du milieu politique, j’écarte plus ma vie du milieu institutionnel de la politique. Voilà. Pour moi la politique, oui, c’est le peuple ! Je suis plus proche d’un mec qui s’appelle Marcel qui va taper son PMU, son tiercé dans un bar que d’un mec qui aurait les mêmes origines que moi et qui ferait de la politique, tout ça pour représenter son parti ou je sais quel… enfin tu vois… non. Tu vois ce que je veux dire ou pas ?
Oui, je peux comprendre. Mais alors du coup, ton rapport à la politique, est-ce que tu t’intéresses quand même à l’actualité politique, à l’actualité sociale ?
Ouais, disons que je m’y suis intéressé, enfin... pas toute ma vie parce que j’ai quand même été un gamin avant ça, mais ouais je m’y suis intéressé énormément et... disons que comme beaucoup d’habitants de... la France [sourire], beaucoup de Français, j’ai pas eu une évolution positive de mon intérêt pour la politique. C’est-à-dire que comme beaucoup de Français, j’éprouve un certain désintérêt actuellement pour la politique depuis quelques années. Je pense que je ne me trompe pas quand je me prononce là-dessus, il y a beaucoup de Français qui nationalement et internationalement ont perdu intérêt parce qu’ils ont perdu peut-être espoir ou je sais pas, moi j’ai jamais eu vraiment d’espoir dans la politique...
Et à ton avis ça peut venir d’où cette perte d’intérêt justement ?
Cette perte d’intérêt... Bah disons que la politique, après moi je peux pas parler de la politique au début du XXe, tout ça, quand il y a eu les grandes réformes, je veux dire là où la politique avait un sens ! Mais si on regarde par exemple dans les années 80, dans les années 70 euh… en fait ce que je veux dire avant de dire ça, c’est que la politique, c’est médiatique. On le sait , les élections elles sont médiatiques et tout. Mais c’est pas forcément négatif. Actuellement ça l’est pour moi mais si tu regardes dans les années 80 par exemple quand on voyait des débats politiques, quand on regardait un débat, je sais pas si tu l’as vu, mais quand tu voyais le débat Chirac/Mitterrand, voilà c’était quelque chose, il y avait de l’intérêt, y avait un combat et même si c’était une lutte entre eux, ça parlait de choses plus intéressantes, il y avait beaucoup plus d’entrain qu’il y en a actuellement en fait. Quand tu voyais Georges Marchais parler à la télé, voilà je sais pas si t’as, enfin moi j’ai un cousin qui est là-dedans, qui a été éducateur social et tout, qui m’a montré pas mal de trucs et j’ai vu des images, il m’a montré certains débats politiques des années 80 et ça avait rien à voir avec ce qui se passe actuellement. Il y avait beaucoup plus de franchise, d’ailleurs je t’ai cité Georges Marchais, si tu regardes Georges Marchais, ça y allait franco de port, c’était bien, c’était passionnant. Et donc du coup par le fait qu’il y avait un aspect passionnant du dialogue, t’y prenais part, et à partir du moment où tu prenais part au dialogue eh ben tu prenais part à la vie politique. Disons que si eux étaient des acteurs à l’époque, c’était des très bon acteurs et qu’actuellement ils ont perdu le sens de la comédie. Voilà ce que je voulais dire et c’est pour ça qu’il y a un un désintérêt je pense de plus en plus grand pour la politique en France.
Et ça serait plutôt dû à l’évolution des hommes politiques, à leur façon de faire de la politique ?
Bah il faudrait rentrer peut-être plus profondément dans le détail, je sais pas moi.
Parce que toi par exemple, tu te sens plus proche de quel parti ou de quelle personnalité politique actuelle ?
Actuelle ? [rire]
Ouais, actuelle. Non mais tu te situes plutôt de droite, de gauche, est-ce que déjà la droite ou la gauche a encore un sens pour toi, quelles sont tes aspirations politiques ?
Bah disons voilà, moi ce qu’il y a, c’est que je vis dans un peu un micro-climat, un truc un peu, ouais communautariste on peut le dire, je suis assez communautariste , même si j’exclus pas les autres communautés, je pense à ma communauté je te le dis honnêtement, je pense à ceux qui m’entourent, je pense à ceux qui viennent à peu près du même tissu social que le mien, sans exclure les autres communautés. Même si on se ressemble tous, on peut pas nier le fait qu’il y a des classes différentes... Tu vois par exemple là, je te donne mes idées politiques quand je te parle de classes, de tout ça, oui, ça se rapprocherait peut être plus du communisme ou de choses comme ça. Mais ce qu’il y a c’est que le communisme en lui-même, enfin idéologiquement, le communisme ça se rapproche de l’anarchisme, c‘est l’exclusion de notions étatiques en fait, il n’y a pas d’État ; mais actuellement le PCF c’est un parti donc y a un petit peu un non sens, enfin voilà.
Et tu me parles de communautarisme, est-ce que pour toi c’est lié au fait que tu vives dans ce que tu appelles ce microclimat ? Est-ce que pour toi il existe réellement une vie de quartier ? Et comment ça se passe ?
Non honnêtement... parce que je comprends, ce que tu dis quand tu dis une vie de quartier, ce que tu me demandes c’est est-ce qu’il y a une organisation de quartier en fait, une organisation de la vie du quartier, c’est ça que tu me demandes ?
Oui voilà, qui se fait naturellement ?
Non, non. Faut arrêter de déconner, même s’il y en a qui vont le dire, qui vont le penser en plus. Il n’y a rien, je veux dire, tu sors, tu rencontres des gens, c’est la même vie de quartier que les mecs qui se rencontrent dans un bar et qui boivent un coup, sauf que nous on boit pas de coup ou alors on va en boire un à la rigueur mais c’est toujours pareil, il n’y a aucune organisation, il n’y a pas de vie politique dans un quartier. La seule vie politique qu’il y a dans un quartier c’est les centres sociaux qu’ils vont mettre, c’est tous les éducateurs qui vont faire les porte-paroles, je sais je te dis, j’ai un cousin qui est éducateur, qui ne l’est plus d’ailleurs mais voilà.
Mais alors du coup, tu penses qu’il n’y a pas justement de vie de quartier mais à côté de ça tu parles de communautarisme un peu ?
Oui c’est-à-dire qu’il y a un communautarisme... Tu peux regarder, tu vas en Italie, tu vas à Naples, tu regardes les quartiers à Naples, je veux dire les mecs c’est des ritals. Le problème c’est que dans les quartiers , en France, même s’il y a beaucoup de gens de souche, faut pas l’ignorer non plus, ceux qui sont les plus représentatifs des quartiers, que ce soit pour n’importe qui, pour ceux qui habitent ces même quartiers, ou ceux qui les regardent à la télé ou ceux qui les voient en passant devant, c’est des mecs qui sont pas d’origine française, voilà, c’est des mecs comme moi.
Ah d’accord, donc ça serait un communautarisme lié aux origines ?
Mais, mais... évidemment !
Oui ? parce que toi par exemple...
Évidemment ! Enfin, quand nous, tu sais faut pas se voiler les choses, quand il y a un Français dans un groupe de lascars si je peux dire, c’est que le Français il s’est appliqué à être comme eux, à s’identifier presque à … il parle arabe le mec ! tu vois ce que je veux dire ? C’est ça, c’est pas autre chose.
Parce que toi, tu es de quelle origine ?
Moi je suis algérien. Enfin je suis d’origine algérienne.
Tes parents... Tu as la double nationalité ?
J’ai la double nationalité ouais.
Tes parents sont tous les deux algériens ?
Ouais.
Grands parents ?
Grands parents ouais. Après peut-être qu’il y a des Italiens dans le lot, des Espagnols, je sais pas moi, j’en sais rien, ça se peut hein.
D ’accord. Et tes parents sont arrivés en France directement sur Firminy ?
Bah en fait, ils sont arrivés en France il y a un paquet d’années maintenant, ils sont arrivés en France en même temps que les Pieds-Noirs, en 62, un truc comme ça, 62/63, je sais pas trop mais je sais qu’ils sont arrivés quand il y a eu le débarquement des Pieds-Noirs en France, eux ils sont venus en même temps, parce que… Je sais pas pourquoi, je pourrais pas te raconter l’histoire entière de ma famille et de leur arrivée en France. T’allais me dire quelque chose ?
Oui ; ça fait longtemps que vous habitez sur Firminy ?
Mes parents sont venus sur Paris à la base. Parce que les mecs à la base ils venaient sur Marseille et Paris, donc moi mes parents ont débarqué à Paris, je suis né à Paris, enfin dans la banlieue parisienne, dans la région parisienne. Et après on est venus à Firminy. [...]
Bon donc tu as toujours habité dans Firminy alors.
Ouais on peut dire ça.
D’accord. Et tu te sens, même si t’as une notion de la citoyenneté un petit peu à part...
A part, je sais pas.
Non, enfin à part… Oui, tu te sens quand même citoyen de Firminy ou… Est-ce que tu te sentirais plus citoyen de Firminy, de France, citoyen du monde...?
Bah ouais, enfin je sais pas... Depuis peu je me sens plus citoyen du monde. Ce qu’il y a c’est que je peux avoir des avis et du recul sur les choses parce que j’ai pas toujours pensé comme je pense actuellement, voilà, là je vais sur mes 25 piges, j’ai un petit peu cogité... Ouais, je me sens plus citoyen du monde, à partir du moment où comme je t’ai dit, j’ai pas trop d’intérêt pour l’État, pour la notion d’État. Je peux pas considérer l’État comme ma famille, c’est pas possible, je veux dire on va payer des impôts, tout ça en pensant que c’est bon pour nous mais ce qu’il y a c’est qu’on peut pas le faire sincèrement étant donné que, la façon dont on le fait ça serait presque communautaire mais seulement ça peut pas être communautaire étant donné qu’on peut pas avoir une communauté de 60 millions de personnes, donc pour moi ce qui serait vraiment bien... Après y a des élections régionales, tout ça, y a le conseil régional, le conseil général, toutes ces conneries qui payent des formations et tout, bon c’est l’État aussi hein ! Je veux dire, il faut qu’il y ait plus de micro… comment dire… micro-politique, enfin de micro-milieux, enfin je sais pas trop comment le dire, mais qui tendent à disparaître de plus en plus parce que dans dix ans si ça se trouve y aura plus de mairie t’as l’impression.
Oui je vois, mais alors du coup ce type de micro-milieux, on le retrouve par le biais des institutions, mais on le retrouve aussi par le biais de différentes associations, de syndicats, de choses comme ça, et ça c’est des choses, par exemple, ou militer auprès d’un parti, c’est des choses qui te...
Non parce que si tu prends des syndicats, enfin les institutions dont tu parles tout ça, tous les bureaux politiques que tu peux croiser quand tu passes dans certaines rues avec leurs enseignes toutes vieillies, toutes ces conneries-là, je veux dire, c’est l’État ! C’est pas parce que tu vas voir une agence que tu vas voir des représentants. Ils représentent quelque chose, ils représentent quelque chose de grand, ils représentent un intérêt qu’ils disent commun mais qui ne l’est pas du tout, il est commun uniquement à leur parti. Tu vois ce que je veux dire. Tu peux pas te sentir… Dans tous les partis, je pense, après j’ai pas la science infuse, j’ai pas une grande expérience de tout ça, je te donne juste mon avis en tant qu’inculte [sourire], mais ils ont tous un lavage de cerveau à la base.
Oui par le biais comme tu dis de syndicats, de choses comme ça, mais une association qui peut très bien être détachée justement de subvention étatique ou...
Non non, elle est pas détachée du tout. Déjà une association à la base quand tu veux la créer, tu demandes à ta mairie. Je le sais, nous on avait voulu créer une association par rapport à une équipe de foot qu’on voulait créer, et on devait créer ça de façon associative si tu veux. Et on doit demander ça à un conseil qui se fait par la mairie, par ses représentants et c’est eux qui acceptent ou pas. Normalement ils sont censés accepter, il me semble […] Normalement ils sont censés accepter quand c’est une association sportive, enfin y a un conseil qui se fait mais c’est un conseil pour donner justement une existence à cette notion d’État, à cette notion politique tu vois, mais ils sont censés dire oui. Il s’avère que nous ils nous ont dit non. Bon après on est pas allé plus loin, on a pas fait un recours en cassation [rire] mais voilà quoi.
Et ça tu l’as mal vécu, ce refus ?
Non, je l’ai pas mal vécu parce que bon, c’est une suite logique de toute façon. Honnêtement, je pense que tu as des yeux pour voir et des oreilles pour entendre, et je veux dire j’ai pas l’air d’être un gros connard non plus tu vois, donc je vais te dire quand je te parle et que je te dis ouais des refus on en a essuyé pas mal, bah ouais, je suis habitué, on est habitué, après y en a qui se donnent, y en a qui se donnent pas, je m’en fous quoi mais que ceux qui se donnent payent pas pour ceux qui se donnent pas. C’est pas parce que je vais avoir une intonation... enfin je veux dire pourquoi ils auraient refusé qu’on crée une équipe de foot ? Tu vois ce que je veux dire ?
Quand tu parles, enfin je te reprends un petit peu, tu parles d’intonation, tu penses que ça serait lié à ton intonation ?
Qu’à l’intonation, non, ça c’est qu’un élément du truc.
Mais tu penses que ça en fait partie quand même ?
Ouais, bien sûr ouais. Que je te donne la définition du mot subversif ou que je l’emploie dans une conversation par rapport à, tu vois, comme je peux parler, dire « ouais c’est cool », des trucs comme ça, avoir une certaine intonation, une certaine façon de parler, de m’emporter peut-être des fois pour rien par rapport à ce que parfois d’autres peuvent penser, ouais, ça choque.
Ouais ?
Donc ça a une importance.
D’accord. Et alors concrètement du coup, si tu votes pas et que t’es pas très favorable à tout ce qui est milieu associatif, syndical, etc.
Non mais je suis favorable, bien évidement. Je peux pas dire non plus que les associations c’est de la merde tu vois. Moi je te parle simplement de la gestion des associations, de leur création, du fait que, enfin voilà, c’est trop administratif, et tout a un lien pour l’État.
D’accord.
Tout a un lien pour l’État.
Et du coup, comment est-ce que tu peux toi en tant que citoyen français, et de Firminy en l’occurrence, comment est-ce que tu peux faire passer tes idées ?
J’ai pas d’idée à faire passer.
T’as pas d’idée à faire passer ?
J’ai pas d’idée à faire passer. Tu sais, je m’exclus moi-même si tu veux du système politique, du système électoral en fait. J’ai pas la prétention d’avoir des idées à donner si tu veux. Ce serait plus ça d’ailleurs le communisme, finalement ; ça serait de pas avoir d’idée à faire passer, l’idée principale, ce serait on est pas là pour être élu, on est pas là pour quoi que ce soit, on est pas là d’ailleurs [rire] !
Par exemple la mairie de Firminy elle est communiste, je sais pas si t’es au courant ?
Ouais ouais si, bien sûr.
Et du coup, est-ce que tu trouves que ça ressemble un petit peu ?
Mais ça ressemble à rien ! ça ressemble à quoi ? Tu peux prendre la mairie de n’importe où, ça sera le même système, faut arrêter ! Là tout à l’heure, tu me posais la question gauche/droite tout ça, sérieux faut arrêter, on est pas en 1917 là, y a rien ! C’est pareil. Est-ce que quand tu passes dans des villes, t’as l’impression de voir une différence ? Toi-même si tu restes... oui bien sûr, tu vas rester trois semaines à Lyon, tu vas voir que c’est pas pareil que Saint-Étienne c’est sûr, mais bon c’est pas la même superficie non plus. Mais quand tu passes au Chambon, quand tu passes à Firm, quand tu passes… enfin voilà, je veux dire c’est des villes types, c’est des villes qui se ressemblent architecturalement, donc forcément le système il se ressemble, que le parti ce soit des socialistes, ou des communistes bon c’est pas le bon exemple mais que ce soit l’UMP ou des communistes, ça sera pareil, c’est pareil. C’est pour ça que je te parlais de désillusion, tout à l’heure, des Français parce qu’ils peuvent pas se repérer vu que tout est pareil.
Je comprends mais alors en poussant un petit peu à l’extrême ton raisonnement, et tu me dis si je me trompe, du coup que ta mairie, enfin que ta ville, que ton quartier soit dirigé par un parti de gauche, de droite ou même d’extrême-droite, pour toi la situation sera la même ?
La même.
Les représentants de l’État sur le terrain, c’est les flics. Je veux dire, on voit pas passer dans leur voiture les maires. On les voit jamais, ou très rarement. Pour nous les représentants de l’État, ceux qu’on peut voir, qu’on peut approcher, à la rigueur, ou qui peuvent nous approcher, c’est les flics. C’est les seuls représentants pour moi vraiment.
Tu penses que les résultantes seront les mêmes ?
C’est la même. Les mairies, elles dépendent de leur département, elles dépendent de leur région, les régions dépendent de l’État. C’est tout. Après c’est sûr, bon voilà, il peut y avoir quelques différences au niveau de… Les représentants de l’État sur le terrain, c’est les flics. Je veux dire, on voit pas passer dans leur voiture les maires. On les voit jamais, ou très rarement. Pour nous les représentants de l’État, ceux qu’on peut voir, qu’on peut approcher, à la rigueur, ou qui peuvent nous approcher, c’est les flics. C’est les seuls représentants pour moi vraiment. Tu vois, c’est pour ça que… [hésitation] enfin bon, je sais pas si on est là pour parler de ça ou quoi que ce soit, je sais pas trop mais... c’est pour ça que... la roche arrive souvent sur le métal, voilà, tu vois ce que je veux dire [rire] !
La roche arrive souvent sur le métal !?
Bah on jette des caillasses, tout simplement, c’est un geste politique parce que pour nous les seuls représentants de l’État qu’on peut atteindre, c’est eux, c’est cette institution là. Les forces de l’ordre.
Ah d’accord.
Bah oui, je veux dire, c’est quelque chose de logique hein, c’est pas extraordinaire ce que je te dis là, c’est logique. On peut pas me contredire là-dessus, enfin je pense pas. Après tu peux essayer de le faire mais je pense que je le ferai à nouveau moi aussi !
Oui, justement, par exemple t’attaquer aux forces de l’ordre par le biais des caillasses ou peu importe, c’est quand même quelque part aussi une revendication ?
Oui, c’est ce que je te dis, c’est un geste politique.
Donc c’est comme ça que toi par exemple tu ferais passer...
C’est un geste politique, bien plus que le droit de vote.
Il y en a, quand ils posent le bulletin dans leur urne, je pense qu’ils éprouvent un certain soulagement. C’est ce qu’on peut appeler justement la citoyenneté, c’est se sentir citoyen, se sentir exister, parce que finalement on est dans un État, dans un système institutionnel, et forcément quand on fait quelque chose de… […] Quand ils posent leur bulletin dans l’urne, ils éprouvent une certaine satisfaction personnelle. Ils se disent pas je fais avancer le truc. Ils se disent j’ai fait ce que je devais faire. Eh ben moi ou d’autres, d’autres ou moi, le fait de jeter une caillasse – […] ... c’est une image hein, jeter une caillasse aussi, ça peut être des mots – c’est quelque chose de très politique pour moi.
D’accord.
Je fais pas « passer »... Il y en a, quand ils posent le bulletin dans leur urne, je pense qu’ils éprouvent un certain soulagement. C’est ce qu’on peut appeler justement la citoyenneté, c’est se sentir citoyen, se sentir exister, parce que finalement on est dans un État, dans un système institutionnel, et forcément quand on fait quelque chose de… Tu vois, c’est comme quand tu as une bonne note à l’école, t’es content, alors qu’en fait t’as juste une bonne note hein, c’est pas quelque chose de formidable non plus, c’en est qu’une bonne, après t’as que des zéros à côté. Mais eux quand ils posent leur bulletin dans l’urne, ils éprouvent une certaine satisfaction personnelle. Ils se disent pas, moi je suis sûr qu’ils se disent pas je fais avancer le truc, je fais avancer le schmilblick, ils se disent pas ça. Ils se disent j’ai fait ce que je devais faire. Eh ben moi ou d’autres, d’autres ou moi, le fait de jeter une caillasse... c’est une image hein, jeter une caillasse aussi, ça peut être des mots, ça peut être tout ça, c’est ça jeter la caillasse.
Mmm, bien sûr.
Ça va être une satisfaction personnelle, ça va être un relâchement, ça va être, par exemple je te disais mon microclimat communautaire on va dire, ma communauté, ma petite communauté, bah si eux ils ont une satisfaction personnelle mais liée à l’État, bah nous on a une satisfaction personnelle mais liée à notre communauté, tu vois, de jeter la caillasse !
De jeter la caillasse !
Mais jeter la caillasse c’est pas principalement jeter... c’est vraiment une image.
Oui bien sûr, c’est une image.
Et en ça elle est vraiment politique. Parce que c’est une image, jeter la caillasse c’est quelque chose de très politique, pour moi.
Oui mais y a des moments où c’est une image mais y a des moment où c’est la réalité, et par exemple pour en venir à ce qui a pu se passer à Firminy, les émeutes qu’il y a pu avoir y a un petit moment déjà, est-ce que...
Ouais, c’était quand, il y a une pige ?
Ouais voilà. Comment tu l’as vécu, quel est ton avis par rapport à tout ça justement ?
[soupir] Ouais, mon avis par rapport à ça... Bah tu vois tu va me faire me contredire, j’ai dit que j’avais pas trop d’idée à donner, j’avais pas trop d’avis à donner ou à faire partager, c’était quelque chose quand même d’assez important. Euh... C’est une réaction disons normale... Ce qu’il y a, c’est qu’il y a des doutes par rapport à, tu sais, bah de toute façon oui tu sais si tu m’interroges là-dessus. Donc c’est un gamin qui soit disant a fait une tentative de suicide et tout, il s’est pendu lors de la gard’av. Mais bon voilà. Il s’est pendu [rire ironique]. Le gamin il avait 21 ans, je veux dire, tu sais que nous à 21 ans on a quand même des notions, on connaît les lois plus que beaucoup de gens finalement, parce qu’on nous les rabâche lors de gard’av. Enfin on nous les rabâche, on nous les rabâche mal parce qu’ils les connaissent moins bien que nous finalement. Nous on a beau les connaître, on les emmerde un petit peu disons, par fierté. Et disons que pour nous, la logique elle revient souvent dans mon discours, le gamin il a pas pu… enfin je te dis pour nous, tu vois, moi j’y étais pas dans les émeutes. J’y étais pas, je le connaissais pas le gosse. Enfin je dis le gosse, il a mon âge, enfin il avait...
Le gamin, il a 21 ans, il va aller se pendre ? Tu vois ce que je veux dire, c’est ça la logique : c’est impossible. Il va aller se pendre ? Il sait très bien comment ça se passe et qu’il aura rien, il le sait ! Il est au courant des choses depuis qu’il a six ans, depuis qu’il a six ans. Je veux dire, nous on est pas mis dans la vie... enfin on donne pas le sentiment d’être dans la vie politique mais nous à six ans on sait combien coûte une flûte de pain, tu vois, et c’est beaucoup plus de notions politiques que la plupart des… Ouais, je justifie ces émeutes par ça, voilà c’est tout. Jeter la caillasse.
Ouais à deux-trois ans près.
Mais je dis le gosse parce que... parce qu’on juge la situation si tu veux. Et c’est parce qu’on a jugé la situation, qu’on a employé la logique pour la juger, qu’on en est arrivé aux émeutes, tout simplement parce qu’on sait, nous, on sait qu’un mec qui vient de quartier, quelle que soit son origine, un mec qui vient de quartier, qui fait un petit peu des conneries ou qui voit surtout les autres les faire, il sait, il sait que pour ça, en gard’av il aurait rien eu. Le gamin, il a 21 ans, il va aller se pendre ? Tu vois ce que je veux dire, c’est ça la logique : c’est impossible. Il va aller se pendre ? Il sait très bien comment ça se passe et qu’il aura rien, il le sait ! Il est au courant des choses depuis qu’il a six ans, depuis qu’il a six ans. Je veux dire, nous on est pas mis dans la vie... enfin on donne pas le sentiment d’être dans la vie politique mais nous à six ans on sait combien coûte une flûte de pain, tu vois, et c’est beaucoup plus de notions politiques que la plupart des… enfin, excuse-moi hein, mais que la plupart des autres gamins. Nous déjà on va acheter le pain à six ans. Si ça c’est pas de la politique ! Bah ouais.
Ça a quand même l’air de te toucher un petit peu mine de rien ce qui s’est passé ?
Ça me touche un petit peu parce qu’on peut pas monter des associations tranquillement tu vois [rire] ! Non ça me touche parce que, forcément ça te touche, si t’avais la même logique que moi, et tu dois l’avoir je suis sûr, c’est obligé, tout le monde l’a, c’est pas possible, tu sais très bien que le gamin il va pas se suicider putain. Tu sais très bien qu’il va pas se pendre. Il a conscience des choses, il a peut-être pas conscience de certaines choses mais en tout cas il sait, quand il est dans une situation propre aux mecs de quartier, il va pas se prendre, il sait qu’il va rien ramass le mec ! On a parlé de son casier judiciaire, dans toutes les émissions, enfin y a pas eu beaucoup d’émissions là-dessus mais au journal télévisé en tout cas. Est-ce qu’on a parlé de ses antécédents ? Qu’est-ce qu’il risquait, le gamin ? Rien, il risquait rien et il le savait pertinemment. Donc voilà c’est tout, c’est une certaine logique qui fait que le gamin il a pas pu se pendre. Il y a pas besoin de passer par pleins d’experts par tout ça, voir s’il a subi des coups ou des trucs comme ça. Y a juste à passer par la logique, la logique elle est très simple, donc voilà c’est tout. Ouais, je justifie ces émeutes par ça, voilà c’est tout. Jeter la caillasse.
D’accord. Ok. […] Et... bon je t’ai pas posé cette question, tes parents ils font quoi dans la vie ?
[rire] On aime pas bien ce genre de question, on va te dire notre père il fait ça mais on n’aime pas bien te dire ce que fait notre mère tu vois ! Tu touches pas à notre mère ! Non je rigole mais mon père il est ouvrier en fait [...], et ma mère, je peux pas dire qu’elle a jamais travaillé de sa vie parce qu’elle a travaillé toute sa vie mais elle a pas travaillé, enfin je pourrai pas répondre à ta question par rapport à ça, elle travaille au foyer quoi [gêne], comme elle a toujours fait.
C’est un travail comme un autre.
Non, c’est pas un travail comme un autre, non !
Oui, enfin faut pas le dénigrer, c’est du travail, c’est ça que je veux dire.
Voilà.
Et tes parents, ils votent ?
Ouais mon père il vote. Bah tu sais ce qu’il y a, c’est que nos parents, ils ont pas trop la même mentalité que nous. Nous on a la mentalité de l’immigration d’Afrique du nord, on peut le dire, on peut parler sincèrement, mélangée à l’aigreur de la France ou du Français. Donc ce qui fait qu’ils sont beaucoup plus gentils, c’est-à-dire gentils dans le sens simple du terme, tu vois. On lui dit de voter, lui il est là, il va voter, voilà. Nous on est pas comme ça. Ma mère elle vote pas, elle est gentille aussi mais dans un autre côté, plus pour sa famille tout ça , le reste... Elle vit, elle fait vivre, enfin voilà.
Donc du coup en fait les opinions politiques que tu peux avoir, elles sont pas forcément liées aux opinions politiques de tes parents ?
C’est une bonne question parce que la réponse va être non. Non, du tout. Tu sais, je pars... enfin je pars d’aucun principe d’ailleurs mais je pense simplement que, déjà on peut pas avoir les mêmes idées, on a pas grandi pareil. Mais ce que je veux dire c’est que ta question elle est bonne parce que... ça évite de remettre sur le tapis le fait que notre éducation vient forcément que de nos parents. Parce que nos parents sont pas du tout comme nous. La plupart des darons en tout cas, des pères, ils vont voter par exemple. La plupart des darons, ils travaillent.
Tu travailles pas, toi ?
Si, moi je travaille, mais bon c’est pas tout le monde qui travaille, tu vois ce que je veux dire.
Tu fais quoi toi comme travail ?
Je suis routier. Et tranquille hein ! C’est un bon boulot, je suis content moi de faire ça, ça me balade et tout, c’est bien. Enfin voilà je me plains pas, j’ai du boulot et tout. Tant mieux… c’est tout.
D’accord. Bon bah écoute, je crois qu’on a fait le tour.
Ouais.
Je te remercie encore une fois, vraiment, de m’avoir accordé tout ce temps.
Pas de problème.
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