Mél, je ne la connais pas depuis longtemps. Je l’ai rencontrée cette année car ses deux enfants sont comme les miens instruits en famille (IEF).
Elle est photographe et travaille à son compte. C’est une jeune femme ouverte et je me sens vite à l’aise avec elle. Nous avons beaucoup de points communs, nous sommes passionnées par les pédagogies alternatives, nous participons activement à la défense de l’IEF, nous aimons la nature, nous n’avons pas de télévision. Comme moi, elle essaie de faire au mieux pour ses enfants. Comme moi, elle aime sa vie, elle assume ses choix, ses différences. Comme moi, parfois elle doute. Par écrit, rien ne distingue deux mamans assises sur un banc qui discutent un après-midi sous le soleil.
Cependant, Mél est voilée et je sens parfois un regard pesant, que je ne connais pas, se poser sur nous. Ce morceau de tissu fait débat en France depuis plusieurs années et la loi confortant les principes républicains l’a remis sur le devant de la scène.
Alors je me lance, c’est la première fois que je demande à une femme pourquoi elle porte le voile. J’en ressens le besoin parce que, dans les débats, les femmes voilées ne me semblent pas ou très peu invitées. Des hommes, des femmes, connaissant peu le sujet, développent des théories sur le voile et arguent que ce morceau de tissu est un signe de soumission de la femme. Mél est d’accord, « ce sont des gens qui ne te connaissent pas et qui parlent en ton nom », j’imagine à quel point ce doit être blessant. D’autant plus que Mél me dit se sentir aujourd’hui « une citoyenne de seconde zone ».
Mais Mél rit, elle ne se sent pas du tout soumise, elle porte le voile parce qu’elle l’a décidé à ses 17 ans. Avec son voile, elle ne se sent pas enfermée, elle se sent libre. C’est un choix fait en son âme et conscience, elle n’a pas été manipulée. Très jeune, au collège, elle est en quête de spiritualité, elle n’est pas influencée par des pairs, elle s’intéresse aux différentes religions, elle lit, elle se documente. L’islam lui parle, elle réfléchit puis elle décide quelques années plus tard de se convertir.
Alors qu’est-ce que le voile représente pour elle ? C’est une marque de pudeur, elle ressent le besoin de le porter. Il y a des tas de façon de porter le voile, un turban, un bandana, un foulard, avec des barrettes, avec des bijoux, en étant maquillée. Mél ne juge pas, chacune fait comme elle l’entend. Puis elle me lance « par contre je ne sais pas à partir de combien de centimètres de tissu tu es considérée comme extrémiste ». J’apprends que les hommes musulmans font également preuve de pudeur, ils portent la barbe et s’habillent avec des vêtements larges. Cependant ces codes correspondent plus aux codes vestimentaires en vogue. Et Mél ajoute que son mari n’a jamais été victime de jugement vis-à-vis de son apparence.
En ce qui la concerne, plus jeune, elle a travaillé en MJC, elle portait alors un simple bandana. Elle était appréciée et valorisée par sa hiérarchie jusqu’à ce qu’une collègue fasse remonter que ce bandana n’était pas une simple coquetterie, qu’il avait aussi une valeur spirituelle. Elle est alors convoquée et on lui demande de l’enlever.
Mél me raconte qu’elle est régulièrement insultée, qu’un homme lui a fait signe de la flinguer, qu’elle est prise à partie par des gens qui lui demandent de rentrer dans son pays.
La place de la femme dans notre société n’est pas toujours aisée car je pense en même temps à ces femmes qui se font insulter parce que leur jupe est trop courte, leur tee-shirt trop transparent ou trop court. Si les femmes souhaitent se mettre en valeur, c’est totalement leur droit.
Mais alors pourquoi refuserait-on à des femmes un droit à la pudeur, une pudeur qu’elles ressentent au fond d’elles-mêmes, qui ne leur est pas imposée par autrui ? Pourquoi aurions-nous peur d’elles ? Peut-on légiférer sur des vêtements ? L’émancipation de la femme ne doit-elle être vue qu’à travers le prisme occidental ? L’assimilation et l’uniformisation sont-elles les seules solutions possibles de la gestion des différences ?
Je sors de cette conversation attristée, j’aime mettre des foulards dans mes cheveux, et d’un point de vue textile, ils ne sont pas différents de ceux de Mél. Nous ne sommes pas si différentes pourtant Mél est musulmane, elle porte un voile, des vêtements amples et quand elle parle d’elle, elle a le sentiment de « marcher sur des œufs ».
En souhaitant lutter contre les séparatismes, notre gouvernement a créé de l’exclusion, il a alimenté la peur de la différence, la peur de l’autre et des musulmans. Pour soi-disant sortir une femme de son état d’asservissement, la loi ne l’autorisera peut-être plus à accompagner une sortie scolaire. L’État contraindra-t-il ces femmes à rester chez elles, à ne plus faire société, leur rendra-t-il plus difficile l’accès au monde du travail ? Pour moi c’est totalement contradictoire et contre-productif. L’exclusion est le terreau de la haine, laisser les banlieues à l’abandon, stigmatiser les musulmans, ne pas les laisser prendre la parole n’est pas lutter contre les séparatismes, c’est contribuer à leur consolidation.
Allez, cet après-midi avec Mél nous avons fait société, nous avons, en échangeant, ouvert notre réflexion et fait évoluer nos représentations. Nous avons dépassé nos différences et partagé sur le sujet. Cet après-midi je portais une jupe et je sais que Mél ne m’a pas jugée.
Mél ne représente pas toutes les musulmanes de France, elle ne représente pas toutes les femmes voilées de France mais elle en fait partie. J’ai été heureuse d’entendre sa voix sur le sujet. Au risque de me faire traiter d’islamo-gauchiste, j’espère qu’à l’instar de Mél, d’autres femmes musulmanes pourront se faire entendre sur le sujet afin d’élever un peu le débat.
Merci Mél et au plaisir d’échanger !
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