Actualité et mémoire des luttes à Saint-Étienne et ailleurs
ANALYSES ET RÉFLEXIONS ANTIFASCISME
SAINT-ÉTIENNE  
Publié le 23 août 2022 | Maj le 26 août 2022

« C’était pas mieux maintenant ». Entretien avec le Comité Antifa de Saint-Étienne


Couac a rencontré des membres du Comité Antifa de Saint-Étienne le 22 avril 2022. La discussion a porté sur l’histoire du comité, les mouvements fascistes à Saint-Étienne et leurs transformations, les spécificités du contexte stéphanois en ce qui concerne la présence du fascisme et les modalités de la lutte antifasciste, mais aussi la fascisation générale de la vie politique en France et ce qu’elle implique pour l’avenir du combat antifasciste.

Couac : Quand et comment s’est créé le Comité Antifa de Saint-Étienne ?

Comité Antifa : Le comité s’est mis en place officiellement en 2013, officieusement un peu avant. L’idée, c’était de créer un réseau de personnes et de militants autour de la question de l’antifascisme. Au début, il réunissait des cocos, des anars, des gens qui ne se revendiquaient ni de l’un ni de l’autre, des gens qui gravitaient autour du stade. C’était un comité de vigilance, globalement. Et au fur et à mesure, c’est devenu un groupe politique plus structuré, et de plus en plus inscrit dans la lutte quotidienne, donc un groupe militant à part entière.

En 2013, il s’est passé quelque chose de particulier ?

Oui, c’était une époque où il y avait des tentatives de création de groupes fafs à Saint-Étienne. Alexandre Gabriac et Yvan Benedetti avaient organisé une réunion à Saint-Étienne, en octobre 2013, puis il y avait eu une visite de Jean-Marie Le Pen à Saint-Étienne, au Cercle, en 2014. À chaque fois, ça s’est mobilisé, officieusement et puis surtout de manière plus officielle avec des manifestations. C’était une sorte de réponse pour dire que Saint-Étienne est une ville antifasciste. Et à chaque fois, il y avait vraiment beaucoup de monde qui venait. C’est comme ça que le comité s’est constitué à partir de 2013.

Et puis il y avait aussi le contexte lyonnais. Au même moment, ce sont les premières agressions ultraviolentes et vraiment vénères, avec des gens qui ont vraiment failli y passer. La première agression, en 2013, à Lyon, c’était un Stéphanois en plus. À Lyon, le mouvement identitaire se développe autour des Jeunesses identitaires dans les années 2000, puis de Génération identitaire dans les années 2010, avec des agressions de plus en plus régulières à partir des années 2010. Il y a aussi des groupes qui gravitent autour du stade lyonnais. Bref, il y avait un climat à Lyon qui n’était pas bon, et il y avait l’idée qu’à Saint-Étienne il fallait prendre le mal à la racine avant qu’il ne s’installe, et faire en sorte qu’aucun groupuscule de ce genre ne se monte. D’autant plus qu’il y avait ce climat à Lyon mais aussi dans toutes les autres villes proches de Sainté. On était un peu la ville à prendre pour les fafs, parce qu’on est une ville populaire, et puis bloquée entre Lyon, Grenoble où il y avait déjà une structure nationaliste qui fonctionnait, Clermont où il y a toujours eu des fafs, Le Puy qui est un fief catho tradi.

Donc, au niveau régional, c’est la seule ville où il n’y a pas eu la même structuration des mouvements fascistes ?

Oui, clairement. Et après, la sociologie de la ville fait que c’est plus compliqué qu’ailleurs. C’est une ville populaire, c’est aussi une ville avec une population cosmopolite dans le centre-ville, une histoire d’immigration. Ce n’est pas une ville accueillante pour les fafs. Et il y a une vie associative et militante ultra-dense. Par exemple, c’est impossible qu’il puisse exister un local faf à Saint-Étienne en centre-ville comme cela peut exister dans d’autres villes. La seule fois où c’est arrivé, c’était pendant la campagne de Sophie Robert pour l’élection municipale, et c’était souillé tout le temps. Ils n’allaient même pas dans leur local, c’était assez compliqué pour eux.

Vous disiez que l’action du comité est devenue plus régulière, plus structurée. Pourquoi ?

C’est venu bêtement, parce qu’il y a des groupes de fafs qui essaient de se monter. Et le climat politique ces dernières années, il n’y a peut-être pas besoin de développer, ça ne sent pas très bon de manière générale, et ça donne des ailes à toute cette frange-là. Il est difficile de retrouver un début mais il y a eu un moment important, lorsqu’une section de l’Action française a essayé de se monter à Saint-Étienne, en 2018. Leur soirée de lancement a été très perturbée. La section s’est autodissoute depuis. Il y a l’UNI, qui était toujours un peu présente. Et puis récemment, il y a eu la montée de Zemmour.

Ce qui est inédit avec Génération Zemmour (GZ), c’est qu’ils essaient, entre guillemets, d’envahir le centre-ville. Ce qui n’est pas du tout le cas côté Le Pen, où on ne voit pas de colleur dans le centre-ville, si ce n’est pendant les moments électoraux. En rendant possible un discours ultraradical, Zemmour a donné des ailes à pas mal de personnes. C’est l’histoire de la fenêtre d’Overton. Et ce qui était assez inédit à Saint-Étienne, c’est que Génération Zemmour s’est créé avec une sorte d’entrain militant. Ils collaient et ils tractaient en centre-ville, c’était des choses qui n’étaient quasi jamais arrivées à Saint-Étienne. On avait toujours eu affaire à des groupes qui se cachaient plus ou moins. À un moment donné, on s’est dit que le pari de faire un parti de masse, il n’était pas loin d’être gagné, et c’était assez inquiétant. Il y a eu une dynamique de ouf, quand Zemmour était annoncé très haut dans les sondages pour la présidentielle, une vraie dynamique nationale. Et toutes les grosses têtes du RN à Saint-Étienne sont parties du côté de Zemmour, qui a réussi à s’installer assez facilement parce qu’il a pu récupérer le réseau du RN local. Charles Perrot, qui est l’historique du RN dans la Loire, l’a rejoint. Même chose pour Gabriel de Peyrecave et Sophie Robert. Tous les rats ont quitté le navire. Après, il y a le contexte de l’élection présidentielle qui a joué et qui a donné une légitimité à Zemmour. Il faudra voir après les législatives ce qu’il reste de cette dynamique.

Il faut dire aussi que, pour les groupes fafs en France, Sainté a vraiment une réputation de ville imprenable. De par la sociologie de la ville, de par l’activité militante globale à Saint-Étienne, et puis aussi un autre truc, c’est le stade de foot. On est une des rares villes en France où le stade a plus tendance à afficher une position antiraciste, et ça, ça donne un peu une couleur politique à la ville. À Lyon, c’est complètement l’inverse. Lyon affiche une couleur politique très fasciste dans les tribunes du stade. Et de fait, ça leur donne une sorte de légitimité pour être dans la rue, pour militer, pour être actifs, ils ont des groupes qui peuvent bouger ensemble.

Dans le comité, il y a différents positionnements qui coexistent : communistes, anarchistes, ni l’un ni l’autre, personnes en lien avec le stade. Comment est-ce que ça fonctionne, concrètement ?

Déjà, on peut souligner que c’est assez rare au niveau national, et c’est pour ça que ça s’appelle comité, et pas par exemple Action antifasciste ou Jeune garde. Il y a vraiment cette idée de réunir tous les groupes qui militent à Saint-Étienne. On milite ensemble depuis très longtemps, on est des camarades. On n’a pas de grosse divergence idéologique. Et une spécificité de Sainté, par rapport à d’autres villes comme Lyon ou Paris, c’est qu’on se croise tous un peu à l’extérieur via différentes choses, parce que la ville n’est pas grande. Ça aide.

Après, notre originalité, c’est qu’on tient à l’indépendance du comité par rapport aux partis, aux syndicats, même si ça n’empêche pas de faire des choses ensemble. À Lyon, c’est différent : il y a la Jeune Garde qui est beaucoup plus proche des organisations de gauche entre guillemets, et la Gale qui est plus tendance autonome. Nous, on n’est ni l’un ni l’autre. On est un troisième modèle de groupe antifasciste qui peut exister aujourd’hui en France, et on est sans doute un peu les seuls à fonctionner comme ça ! Récemment, il y a eu un voyage des brigades de solidarité, un tour de France, et comme les brigades ont été montées par les groupes antifa [1], on a eu l’occasion de rencontrer pas mal de groupes. Et on n’a pas l’impression d’avoir retrouvé ça, sauf peut-être à Troyes. Généralement, dans une ville, les groupes antifa ont une couleur très spécifique. Il y a des rouges et il y a des noirs. Mais il n’y a pas trop ce mélange.

Pour comparer, on pourrait dire que, dans sa structuration, le Comité Antifa de Saint-Étienne ressemble à la Jeune Garde, parce qu’il y a une ouverture sur tous les gens qui viennent des réseaux militants, mais qu’il s’en écarte par sa stratégie de communication, de visibilité. La Jeune Garde a une interface médiatique officielle, avec des porte-parole, alors que le comité a des modes d’action et de communication plus discrets. Mais cela pose de vraies questions parce qu’il y a quand même des enjeux à faire de la propagande un peu plus de masse.

Justement, comment est-ce que vous travaillez sur cette dimension ?

On communique via les réseaux sociaux, Facebook, Instagram, Twitter, même si c’est avec parcimonie. Et depuis quelque temps, on a remis un coup de collier sur cette question. On s’est dit que les connaissances qu’on peut avoir sur l’extrême-droite dans le coin, ça pouvait être intéressant de les diffuser. Ne serait-ce que parce qu’il y a des gens qui ne connaissent pas les groupes, leurs logos, et qui ne savent pas pourquoi on les définit comme des groupes fafs. Donc on a décidé d’écrire des articles sur les différents groupes présents dans le coin, de Sainté jusqu’à Lyon, et même sur des structures qui ne sont pas directement implantées à Saint-Étienne, comme les Zouaves Paris ou des médias fafs comme Ouest Casual. On a regroupé ces informations-là et on les a diffusées sur internet [2]. Ça a été pas mal partagé et relayé, et maintenant on cherche à en faire des brochures papier à distribuer.

Et c’est vrai que ça, c’est assez nouveau, parce qu’à part des appels à manifs sur des événements spécifiques et des positionnements sur quelques affaires, il y a eu peu de choses rédigées par le comité.

Une dernière question. Ce numéro de Couac a pour thème « C’était mieux après ». Au-delà de la montée de Zemmour que vous avez évoquée au début de l’entretien, quelles évolutions vous percevez ? Est-ce que pour vous, « c’était mieux après » ?

On a senti un tournant, il y a environ un an et demi. Jusque-là, on était avant tout dans une posture de vigilance. En fait, à Sainté, il ne se passait rien, niveau faf, comparé à Lyon. Entre Sainté et Lyon, c’est le jour et la nuit. Du coup, on était dans cette position de vigilance mais qui ne nécessitait pas forcément un militantisme quotidien. C’est vrai que ça fait à peu près un an et demi qu’on s’est dit qu’il fallait être plus régulier, plus actif, parce que là on a tous senti, même avant que Génération Zemmour se monte, on a tous senti qu’il allait falloir se préparer à quelque chose, et donc essayer de s’ouvrir, et d’être plus actif et moins uniquement réactif, de prendre un peu les devants. Le fait de produire du contenu déjà, ça fait partie de cette dynamique.

Ce tournant que vous avez senti, il y a un an ou deux, il tient à quoi exactement ?

Darmanin à l’intérieur, les tags racistes à Sainté, l’Action française qui s’était montée un peu avant. Une fascisation générale. La loi Sécurité globale, la loi sur le séparatisme, enfin tout le proto-fascisme de la macronie ces dernières années.

Est-ce que ça veut dire qu’au-delà de la mobilisation contre les mouvements fafs, le Comité Antifa se mobilise aussi contre l’Etat et les politiques gouvernementales ?

En fait, dès le départ, un des points importants dans le comité, ça a été la notion d’anticapitalisme. On combat le fascisme mais surtout ce qui le crée. Et ça, c’est une part ultra-importante du combat. Et c’est vrai que la majeure partie des tracts qu’on a pu faire allait aussi dans ce sens-là, de dire que le capitalisme et le fascisme, ce sont les deux têtes d’un même monstre en fait. C’est pour ça qu’on ne se construit pas uniquement contre les groupes d’extrême-droite, mais contre tout le mouvement de fascisation de la société en général. Effectivement, on a commencé à réagir à partir du moment où Darmanin était ministre de l’Intérieur, avec les dissolutions qu’il a pu y avoir, la répression des migrants à Calais et partout, les violences policières durant le mouvement des Gilets jaunes, et plus largement tout ce qui s’est passé durant le quinquennat Macron.

Depuis un an ou deux, il y a une nouvelle dynamique dans le comité, mais c’est aussi parce que l’extrême-droite ressort. Le climat crée la dynamique. Même pas mal de gens qui plaçaient la question antifasciste comme secondaire, d’un coup, se sont retrouvés à dire : là, il y a un truc qui se passe. Si on compare 2002 et 2022, on voit que la banalisation de l’extrême-droite, elle a complètement marché. Il y a eu tout le terreau préparé depuis des années par les gouvernements qui se sont succédé. Maintenant, l’extrême-droite, ça ne mobilise plus les gens.

C’est aussi pour cela que récemment, on a voulu se concentrer sur le côté antisocial de Zemmour et de Le Pen. Ce sont des fascistes, ce sont des racistes, mais en plus ce sont des capitalistes. Ils essaient de séduire les classes populaires, donc on a essayé de se centrer sur en quoi l’extrême-droite n’est pas l’alliée du peuple : sur la question des retraites, sur la question de l’ISF, etc. En tout cas, c’est sûr, si on regarde comment évolue la situation depuis la lutte antifasciste, c’était pas mieux maintenant.

P.-S.

Article paru dans le Couac n°14.

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