49-3 degrés d’éréthisme [1]
Qu’on soit contre ou qu’on soit çà et là encore parfois pour la présidence d’Emmanuel Macron, l’exacerbation des opinions le concernant n’en finit plus d’empêcher de penser la situation présente, en France comme ailleurs. Sa géniale faconde ou son horrible mépris – selon qu’on soit pour ou contre lui – semble laisser chacun dans une sidération telle que partisans et opposants finissent en quelque sorte par chanter d’une même voix : « VIVE MACRON ! ». Autrement dit, du « Macron démission » des gilets jaunes et autres syndicalistes aux divers baragouinages des députés et « enmarcheurs » quelconques, jusqu’aux « concerts de casseroles » accompagnés des huées du peuple des confinés les soirs à son adresse, tout vient seulement maintenant se heurter à l’imbécile jupitérien, cette fausse singularité du néant général. Volontairement réalisé ou non, l’exploit du grain de sable Emmanuel Macron aura donc été, jusqu’ici, de concentrer toute l’attention autour de sa personne, et de faire oublier par là même l’ensemble du désert [2].
Tandis que nous regardons Macron, le néant impérialo-marchand continue partout son office.
On l’aura toutefois compris, nous sommes du côté de celles et ceux qui s’y opposent, mais que Macron soit bel et bien une ordure nocive ne doit pas nous faire perdre de vue qu’il n’est qu’un symptôme parmi d’autres, non le capitalisme lui-même. Aussi s’agit-il, à tout le moins, de renouer avec une vision plus globale, ne serait-ce que pour nous garder d’avoir à subir demain un nouveau symptôme qui, né du même Empire-marchand, ne pourra pas manquer d’être encore plus nuisible, en particulier dans ses capacités répressives – qu’on nous vende inlassablement en France le Rassemblement National [3] comme seule alternative possible en dit assez long déjà à cet égard.
« On l’aura toutefois compris, nous sommes du côté de celles et ceux qui s’y opposent, mais que Macron soit bel et bien une ordure nocive ne doit pas nous faire perdre de vue qu’il n’est qu’un symptôme parmi d’autres, non le capitalisme lui-même. »
Du stalinisme au nazisme, l’Histoire en a fait plusieurs fois monstration : hors d’une abolition plénière du capitalisme, rien ne nous sera épargné.
Le coronavirus, qui a d’ores et déjà été capable à lui seul de bloquer l’ensemble, ou presque, des dispositifs de l’Empire-marchand tout entier pendant plusieurs semaines, l’a suffisamment montré : pensé localement alors même qu’il est né du monde globalisé de l’industrie marchande, le covid19 n’a pu manquer de se répandre à la hauteur du monde qui l’a fait naître, et ce d’autant plus que de l’avoir pensé localement n’a généralement provoqué aucune action locale concrète contre lui – ce qui était né dans le Wuhan devait semble-t-il par nature rester dans le Wuhan –, du moins jusqu’à ce qu’il soit trop tard ; seule son appréhension en tant qu’épiphénomène de l’activité capitaliste globale eût immédiatement permis d’agir efficacement contre lui de manière locale.
Il en va bien de même avec le « macronisme », cet épiphénomène pseudo-politique du mouvement général « autonome » de la marchandise mondiale. C’est pourquoi la tendance en France à concentrer tout le feu sur le seul Macron risque à terme de laisser chacun dupe d’une individualisation outrancière et fétichisée du désastre, qui ne peut que par trop conduire à négliger l’origine réelle de ce dernier : le susdit mouvement général « autonome » de la marchandise mondiale.
Macron doit être écarté, certes, mais pour mieux dégager la cible.
Partout là où la marchandise déploie sa tyrannie sur les êtres humains, comme d’ailleurs sur l’ensemble du vivant, s’offre à nous le spectacle de ces quelques faussaires qui n’ont nul autre rôle réellement efficient que celui de nous faire accroire que subsiste encore une certaine maîtrise humaine de la gestion des « sociétés » [4] : ici Macron, là -bas Trump, ailleurs Erdogan ou encore Poutine, etc. Mais ces vieilles têtes ne sont bien notoirement que les figures mêmes du néant intégral où nous a conduit l’avoir-marchand ; elles ne s’animent plus guère que pour cligner de l’œil, en surface, sur tous les écrans totalitaires de la connivence avec le désert : elles ne sont plus dès maintenant que les fantômes funestes d’une civilisation défunte [5], dont Macron, donc, n’est qu’une image iconique parmi d’autres.
Il ne sert à rien de vouloir couper des têtes, en particulier si nous n’avons pas évincé en nous le besoin d’en élire.
Il ne peut donc pas uniquement s’agir, pour qui veut authentiquement sortir par le haut du désastre, de se débarrasser d’une image « singulière » du pouvoir, mais simultanément de tous les dispositifs qui lui ont permis d’exister : la marchandise, parce qu’elle est une falsification théologique du réel ; l’argent, parce qu’il en est l’abstraction déifiée la plus turpide [6] ; l’État, parce qu’il est une organisation mafieuse qui s’emploie à défendre le capital, la grande célérité des flux, parce qu’elle réduit la poésie géographique du voyage à une géomatique [7] du tourisme, entre autres, et finalement pour le dire vite, le capitalisme en profondeur, parce qu’il est cause originelle et continue de l’ensemble, même dans les moments où il s’effondre.
« On peut envisager tant le meilleur que le pire pour les temps qui viennent, autrement dit la possible réalisation du communisme réel, ou l’avènement d’une organisation entièrement policière de l’existence ; il ne tient qu’à nous d’aller vers le meilleur. »
Le capital est comme Protée, toujours susceptible de réapparaître sous une forme nouvelle.
Nous n’en sommes qu’au début du désastre, la situation est nouvelle, aussi devons-nous accepter pour quelque temps de nous en tenir à une critique balbutiante et modeste. Ici maintenant l’humilité s’impose. Il n’est jamais facile de faire le juste examen d’une époque nouvelle, qui se présente nécessairement à nous par des signes contradictoires, dont le moins que nous puissions dire à cette heure est qu’ils invitent à envisager tant le meilleur que le pire pour les temps qui viennent, autrement dit la possible réalisation du communisme réel, ou l’avènement d’une organisation entièrement policière de l’existence qui viendrait parachever ce que la domination impériale a commencé de mettre en place depuis les années 1970 jusqu’à très récemment ; il ne tient qu’à nous d’aller vers le meilleur.
La lutte des classes n’est pas vaine expression, aucun confinement n’est éternel, et la rue nous attend. Nous n’avons nul autre ennemi véritable qu’une faible frange de la population mondiale, et les dispositifs sans lesquels elle n’est rien.
Demain n’a pas eu lieu, tout commence maintenant !
Léolo
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