Avant d’analyser le contenu du livre de Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, respectivement sociologue et historien reconnus, il paraît indispensable d’évoquer, dans une démarche généalogique, des textes qu’ils ont produits de longue date pour alimenter le débat public sur l’usage dans la recherche des catégories de classe, de race, de genre et d’intersectionnalité. Il est nécessaire par ailleurs d’analyser le contexte de publication de ce dernier ouvrage et sa réception potentielle au moment où, entre 2020 et 2021, le président de la République, le ministre de l’Éducation nationale et le ministre de l’Intérieur, des universitaires et, après la parution de ce livre, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ont dénoncé et fustigé certains chercheurs et chercheuses sous le vocable « d’islamo-gauchistes », appelant à une police de la recherche dans le monde universitaire.
Les premiers textes signés en commun sur le même sujet par Stéphane Beaud et Gérard Noiriel datent de mai 2011, après « l’affaire des quotas » dans le football français – la limitation préconisée par la Direction technique nationale de la Fédération française de football du recrutement de joueurs binationaux. Dans Libération ou dans Le Monde, les deux auteurs dénoncent « l’occultation des réalités sociales au profit des discours identitaires », un langage qui oppose « les Blancs aux non-Blancs (“Noirs et Arabes”) », et « un enfermement identitaire de la fraction déshéritée de la jeunesse populaire ». Cette « racialisation » du discours social par « les politiciens, les journalistes, les intellectuels, bref les professionnels de la parole publique » remonterait, selon les auteurs, aux années 1980, et aurait été « accompagnée et cautionnée » par « une partie du mouvement antiraciste ».
Dix ans plus tard, l’argumentaire du livre Race et sciences sociales a peu changé. S’y ajoute, outre l’affirmation récurrente d’une posture affirmée de leur scientificité d’intellectuels qui se tiendraient à l’écart et en surplomb du débat public, la mise au pilori d’un certain nombre de chercheurs et chercheuses sans véritable discussion sur leurs publications ; certains – les plus jeunes – ne sont même pas nommés individuellement, mais désignés en groupe, en particulier ceux et celles qui ont réalisé un numéro de la revue Mouvements en février 2019. Comme s’ils et elles n’avaient pas d’identité personnelle, mais étaient coupables d’effectuer leurs recherches dans une démarche militante et non scientifique. Je cite ici les noms des responsables du dossier de Mouvements – Abdellali Hajjat et Silyane Larcher – puisque Stéphane Beaud et Gérard Noiriel les invisibilisent ainsi que leurs coautrices. D’autres, plus âgés, désignés nommément, sont épinglés – Didier Fassin, Éric Fassin, Pap Ndiaye, Pascal Blanchard, auxquels s’ajoute François Gèze, éditeur à La Découverte qui les a publiés pour la plupart. Leur forfait, aux yeux de Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, serait de privilégier dans leurs recherches les questions de race (et secondairement de genre) au détriment de la classe et de discréditer les sciences sociales par leur engagement politique.
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