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Publié le 27 octobre 2019 | Maj le 23 avril 2020

Le droit de jouer


Dans un numéro paru à la fin du printemps, Couac s’est penché sur la situation des enfants contraints de dormir dehors ou dans des squatts. Si des élans de solidarité dans les écoles notamment permettent parfois de les loger, ils n’en demeurent pas moins dans une situation très précaire et bien souvent en butte à l’inaction des pouvoirs publics.

La fin de journée s’annonce, la lumière faiblit minute après minute, le ballon se voit de moins en moins. Quelques enfants occupent encore le square du quartier. Les autres sont rentrés chez eux, à quelques pas d’ici, respectant tant bien que mal le couvre-feu parental. Ceux qui restent n’ont pas vraiment de chez eux. Enfin ça dépend. La semaine dernière c’était là -bas. Demain, peut-être ailleurs. Ceux-là sont ici, à Sainté, avec leur parents, depuis peu, notion temporelle toute subjective. Depuis leur arrivée, ils n’ont fait que bouger de propositions précaires en solutions de survie. Cela n’empêche pas que tous les matins, ces mômes passent le portail de l’école et tentent de vivre un quotidien digne, entourés des autres enfants. Les adultes de l’école bien sûr, connaissent souvent les situations dramatiques de ces familles. Comment faire classe « normalement », comment rester concentré.e quand l’enfant en face, en sortant de l’école, ira passer la nuit dans une voiture, un couloir d’hôpital ou de gare, ou sous une tente ? Impossible. Alors ici et là , des collectifs regroupant toute la communauté de l’école (enseignant.e.s, parents, assistant.e.s d’éducation, dames de cantine, etc.) fleurissent en ville.

Les citoyens solidaires déploient une énergie folle à « retaper » gratuitement les appartements pour les yeux doux des propriétaires. Les dirigeants politiques doivent se féliciter de la combine : loger les personnes démunies en enrichissant les propriétaires et ce sans que la mairie ne débourse un centime.

Ces beaux élans spontanés et solidaires permettent de s’organiser relativement rapidement dans le but de répondre en urgence à une situation très précaire. Il faut alors trouver de l’argent – mobilisation des réseaux de chacun.e, soirées de soutien, dons ponctuels ou permanents, tous les moyens sont bons – et proposer à la famille un hébergement salubre et sûr. Bien entendu, cette force citoyenne atteint parfois ses limites. Que faire quand les sources de financement s’essoufflent ou que d’autres familles se retrouvent dans des besoins similaires alors que les fonds du collectif ne sont pas suffisants ? Les solutions existent pourtant, parfois à deux pas de la mairie. Rue des frères Chappe par exemple. Des membres des collectifs des écoles de Montchovet et Chappe ont trouvé un accord avec la propriétaire d’un immeuble partiellement vide. Moyennant un rafraîchissement en surface des appartements, les collectifs sont en mesure de négocier des loyers faibles pour pouvoir installer des familles sans toit. Si cela permet de mettre au chaud ces personnes, on ne peut s’empêcher de faire un constat écœurant : les citoyens solidaires déploient une énergie folle à « retaper » gratuitement les appartements pour les yeux doux des propriétaires, à trouver des sous afin de payer des loyers d’appartements qui n’étaient pas louables en l’état. Tout ça, sous le regard machiavélique des dirigeants politiques qui doivent se féliciter de la combine : loger les personnes démunies en enrichissant les propriétaires et ce sans que la mairie ne débourse un centime. La performance est belle. Loin de se laisser abattre par une bataille qu’ils et elles mènent seul.e.s au front, ces citoyen.ne.s solidaires ne lâchent rien. Quand un collectif va rencontrer le député ou le maire afin de gratter un peu là où ça fait mal, le syndicat enseignant organise une conférence de presse pour faire réagir le préfet. Il faut bien cela pour contrecarrer les immondes mensonges de ce dernier essayant de nous faire croire que seules les personnes déboutées et devant quitter le territoire ne sont pas logées par l’État. Et quand bien même.

Autre défi à relever pour ces enfants, débuter ou reprendre une scolarité qui s’est arrêtée pendant le voyage. Et là encore, rien n’est simple. Chaque enfant arrive avec sa propre histoire et les moyens matériels et humains ne sont pas à la hauteur des besoins. Pourtant, le code de l’éducation ne saurait être plus clair : « Le service de l’éducation [...] veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction. [...]. Les élèves allophones nouvellement arrivés en France bénéficient d’actions particulières favorisant leur accueil et leur scolarisation. » Isabelle Graci, enseignante et coordinatrice du dispositif de scolarisation des enfants allophones sur Saint-Étienne, résume la situation : « Les droits à l’éducation sont respectés mais dans quelles conditions ! »

« C’est comme ça que l’on demande aux plus démuni.e.s d’aller dans une école plus loin, sans prise en charge des frais de transport ou de cantine, que l’on demande aux moins intégré.e.s socialement de se couper de leur quartier. »

Le dispositif existant permet normalement aux enfants d’être accompagné.e.s et scolarisé.e.s dans une école ou un établissement proche de leur lieu d’habitation. Mais ce n’est pas chose aisée. Des inspecteurs protègent les écoles en difficulté ou surchargées en orientant les enfants vers des écoles d’autres quartiers, des chefs d’établissement bloquent de nouvelles inscriptions. Les moyens du dispositif sont actés en début d’année scolaire sans réelle marge de manœuvre, ce qui rend difficile l’adaptation en cours d’année en fonction du nombre d’arrivées et des quartiers impactés., surtout avec de faibles moyens. Tout cela entraîne parfois une scolarisation plus éloignée que prévu. « C’est comme ça que l’on demande aux plus démuni.e.s d’aller dans une école plus loin, sans prise en charge des frais de transport ou de cantine, que l’on demande aux moins intégré.e.s socialement de se couper de leur quartier » explique Isabelle en déplorant la stagnation des moyens alloués alors que les prises en charge augmentent chaque année. La circulaire en vigueur prévoit 12h de prise en charge hebdomadaires pour les collégiens et 9h pour les écoliers ; chiffres rarement soutenables pour les enseignant.e.s des élèves allophones devant arbitrer entre qualité de l’enseignement et quantité. La circulaire préconise également 15 élèves pour les groupes de NSA (non-scolarisé.e auparavant), ils ont dépassé les 20. Dans certains établissements comme le lycée Benoit Fourneyron, pour contrer son terrible manque d’anticipation, l’inspection académique a dû créer une unité pédagogique pour allophones en urgence et recruter un.e contractuel.le et des services civiques, sans aucune garantie de formation, qui ont à faire face à ces 24 enfants. A l’inverse, n’accueillant que très peu d’enfants allophones, le privé se voit parfois offrir des moyens largement au-dessus des besoins, absurdité qui a de quoi fâcher tou.te.s ceux et celles qui tentent de s’organiser au quotidien pour pallier au mieux le manque de moyens et qui rappellent chaque jour à leur hiérarchie les difficultés rencontrées pour relever l’immense mission qui est la leur. Notons que deux « Â profils » rencontrent encore plus d’obstacles. Les plus de 16 ans. Car en plus de tous le reste, il va falloir trouver un établissement les accueillant dans le respect de leur choix d’orientation. La difficulté est d’autant plus prégnante quand l’enfant arrive en cours d’année, le décalage indu rendant souvent réticent le ou la chef.fe d’établissement à l’inscription. Le deuxième profil est celui de l’enfant pas ou peu scolarisé.e antérieurement. Il existe des unités spécifiques pour accueillir ces enfants. Malheureusement, elles peuvent être très éloignées du lieu d’habitation et sont souvent rapidement saturées au cours de l’année.

S’il est un point encourageant à noter dans les évolutions du dispositif, c’est celui du combat sémantique. Derrière le ronflant UPE2A (unité pédagogique pour élève allophone arrivant), on ne parle plus aujourd’hui de celui ou celle qui ne parle pas français – non-francophone – mais de celui ou celle qui parle une autre langue que le français – allophone. Les conséquences pédagogiques sont importantes et le plurilinguisme comme la valorisation de la culture d’origine sont les clés de voûte d’un accueil bienveillant et d’une socialisation épanouie de l’enfant. Malheureusement, le dispositif prévoit une inclusion dans les classes dites « ordinaires » très rapidement, sans sas d’adaptation. Cela peut engendrer une grande souffrance pour l’enfant et son enseignant.e qui pourrait ne pas être à la hauteur du défi, faute de temps et de formation.

Ne pas être à l’abri, s’endormir dans le froid, avoir une école loin de chez soi, ne pas avoir le temps de découvrir, de grandir, ne pas être écouté.e et considéré.e. Les droits de l’enfant vacillent. Autant de responsabilités qu’ont à se partager monsieur le maire, monsieur le préfet et monsieur le directeur académique. Messieurs, peut-être souhaiteriez-vous à l’avenir voir les squares disparaître. Et voler ainsi à ces enfants le dernier droit qu’ils et elles se gardent précieusement – celui de jouer.

P.-S.

Si vous souhaitez faire un don ou apporter votre aide à un des collectifs stéphanois, vous pouvez contacter l’association No Partiran qui héberge financièrement la plupart de ces collectifs : Laetitia Valentin (trésorière de No Partiran), laetyves chez yahoo.fr, 0650633884 ; ou consulter la page facebook de KOSALISANA – « entraide » en lingala –, association du Soleil, kosalisana chez gmail.com.


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