Castmétal, une entreprise multirécidiviste
« La fonderie », tout le monde la connaît à Feurs. Elle existe depuis 1915, a employé jusque 800 personnes dans les années 70 avant de subir une lente agonie, rachat après rachat. Devenue Feursmétal dans les années 80 lorsque les Aciéries et Fonderies de l’Est rachètent le site, la fonderie se positionne par le biais d’une nouvelle entité, Valdi, à partir de 1997 sur le marché lucratif du recyclage des piles. En 2009, Valdi est revendue à une filiale d’Areva, ERAMET. Devenue Castmétal en 2013, alors que son entreprise mère se renomme opportunément Safe, la fonderie est aujourd’hui tristement connue, au gré des plans sociaux et en l’absence d’investissements nécessaires, pour sa vétusté qui inquiète d’autant plus les habitant.es que l’usine est située en pleine ville.
C’est dans ce contexte que le 25 juin 2011, Jacques Tissot et Damien Jamot meurent dans l’explosion d’un four, du fait d’une infiltration d’eau. Rapidement, la solidarité s’organise, les marques de soutien affluent dans une région encore empreinte de culture ouvrière et consciente de ce que les accidents de travail impliquent. Un comité de soutien est monté par les proches des deux hommes, un comité qui compte aujourd’hui pas moins de 600 membres. Jean-Luc Denis, l’un de ses membres, explique que tout ne fut pas simple, mais que la solidarité a toujours primé. Une nécessité vis-à -vis d’une entreprise qui cherche sans cesse à contester sa responsabilité. Il explique aussi combien il est difficile pour les proches de lutter, tant la souffrance est grande.
L’objectif est simple : obtenir justice et contribuer à ce que ce type d’accident n’ait plus lieu. C’est que la boîte n’en est pas à son coup d’essai : depuis 2000, on compte pas moins de 4 morts, 10 blessé.es graves et une centaine de salarié.es inaptes au travail. Depuis 5 ans, ce sont pas moins de 15 accidents qui sont déclarés par mois, sans parler des maladies professionnelles. Ni les recommandations du CHSCT [1], ni les trois condamnations en correctionnel suite à des manquements à ses obligations d’employeur ne semblent faire effet : en janvier 2015, un nouvel accident, du même type que celui qui a coûté la vie à Jacques et Damien a lieu et fait 8 blessé.es. Pire, suite à l’accident, Valdi a cessé ses activités dans le Forez, Feursmétal a fait l’acquisition de deux fonderies en Espagne, a déménagé son siège social au Luxembourg et prévoit le licenciement de 55 salarié.es.
Faire son deuil, le « minimum syndical »
C’est que faire condamner l’entreprise n’est pas aisée. D’abord, il y a la multiplication des entités : à l’époque de l’accident, Jacques et Damien travaillaient pour Feursmétal mais intervenaient chez Valdi, ce qui a permis aux deux entreprises de se renvoyer la balle tout au long de la procédure. D’autre part, les avocats des entreprises n’ont cessé de faire obstruction à la procédure : depuis 5 ans, ils ont demandé 8 reports au TAS [2], ont attaqué trois fois l’expertise, ont fait appel systématiquement. Le cynisme de la boîte va loin : craignant pour son image de marque, l’entreprise a changé de nom et a embauché une boîte de communication lyonnaise... De ce point de vue, Jean-Luc insiste sur l’importance des mobilisations populaires, nombreuses et de la presse locale et nationale, qui n’a cessé de relayer leur combat.
Au-delà du cas de la fonderie, ce que dénonce le collectif, ce sont les trois millions de personnes qui meurent chaque année dans le monde, dont 800 en France. Quant aux accidents du travail, il est difficile de les comptabiliser, tant les salarié.es et leurs proches hésitent à porter plainte et se lancer dans des démarches extrêmement lourdes et douloureuses : la plupart des procès ne vont pas à leur terme. Alors que les gouvernements, sur fond de politique antiterroriste, ne cessent de se gargariser de leur soutien aux victimes, celles du travail sont toujours oubliées. Pas de cellule psychologique à la suite de l’explosion, pas de travailleuses sociales pour les proches, aucun suivi médical, pas non plus de soutien de la part de l’État durant la procédure judiciaire que les proches doivent prendre à leur charge. En France, la politique, l’État et la Justice tendent à s’arrêter aux portes de l’entreprise.
Le 24 novembre 2016, les deux entreprises sont finalement reconnues coupables d’homicides involontaires « pour la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail » par le tribunal correctionnel de Saint-Étienne et condamnées à verser à l’État 215 000 euros pour la première et 265 000 euros pour la seconde. Le 28 février 2018, la cour d’appel de Lyon confirmait ce jugement. Avant donc ce nouveau report causé par le pourvoi en cassation de l’entreprise Valdi.
Si la lutte, a permis depuis 2011 aux proches de Damien et Jacques de tisser des liens, des solidarités, les a aidés à tenir, ils sont las de ce marathon judiciaire qui les empêche de faire leur deuil. Le collectif poursuit donc sa mobilisation et souhaite la mise en place de moyens qui permettraient d’obliger les entreprises multirécidivistes à engager des investissements en vue d’améliorer la sécurité de leurs salarié.es, sous peine d’une nouvelle condamnation. Une manière de s’assurer que plus personne ne perde la vie à la gagner.
Rappelons qu’en 2017, l’Organisation international du travail comptabilisait 2,79 millions de morts au travail chaque année dans le monde, dont environ 20000 en Europe, un fléau qui ne fait pas les gros titres, loin s’en faut.
Compléments d'info à l'article