En ce lundi 11 mars, jour anniversaire du désastre de Fukushima, centrale nucléaire qui, 13 ans après le séisme est non seulement toujours en combustion mais est aussi devenue le laboratoire mondial de la « résilience » et de l’acceptabilité des nuisances, quoi de mieux que d’aller écouter l’ADEME nous expliquer l’impact environnemental du numérique ?
Ça se passe à l’École des Mines de Saint-Étienne pendant le Festival du Numérique Responsable, une série de conférences, la plupart « en visio » (mais pas que), du 11 au 21 mars 2024.
Le numérique responsable, c’est comme les centrales nucléaires propres, ça n’existe pas.
Certes, des exercices de dissonance cognitive, nous en faisons tous les jours : « j’achète mes tomates bio chez Lidl, elles sont produites par des personnes exploitées à l’autre bout de l’Europe ; intoxiquées aux pesticides bio, elles sont acheminées par camions bio et vendues par une entreprise au management bio, mais je m’empoisonne un peu moins ». En faisons-nous pour autant un festival ?
« D’un bout à l’autre de la chaîne » (pour paraphraser leur com’), l’industrie du numérique est un désastre. Extraction des ressources, pollutions irrémédiables des sols, de l’eau et de l’air, exploitation des humain.es dans des usines-prisons, milliers de kilomètres parcourus pour chaque composant, consommation faramineuse d’électricité, montagnes de déchets électroniques… Une fois ces nuisances documentées, il n’est décemment pas possible de prôner un « usage apaisé du numérique en famille » ou bien « un numérique décolonial et plus vertueux ».
Quand bien même « nous » (mais qui ?) produirions des smartphones en bambous et des serveurs à pédales, voulons-nous des caméras à reconnaissance faciale, des Portefeuilles d’identité numérique regroupant tous nos identifiants publics et privés, ne plus communiquer avec nos semblables que par écrans interposés, voulons-nous déléguer tous les aspects de nos vies aux machines, n’être plus rien sans assistants électroniques ?
Leur critique tronquée du numérique doit être prise pour ce qu’elle est : une récupération de la critique par les dominants en vue de l’intégrer à la « révolution numérique en marche ».
Il y a là aussi l’arnaque colibriste des « bonnes pratiques ». Cette injonction au « numérique responsable », à la consomm’action, repose sur le faux-semblant libéral qui met tout le monde au même niveau : « Après tout, vous êtes libres, c’est une question de choix » - et sur son corollaire immédiat « si le monde va mal, c’est donc que vous ne faites pas les bons choix, vous n’êtes pas assez responsables ». Dans ce piège, que l’École des Mines promeut par son festival, on attend de nous qu’on fasse religieusement pipi sous la douche en éteignant notre brosse à dents connectée, pendant que l’économie continue de ravager le monde.
L’École des Mines nous prend pour des imbéciles
Les individus qui prévoient ce festival sont peut-être pleins de naïve bonne volonté mais n’oublions pas l’institution qui porte cet évènement. L’École des Mines, une des plus prestigieuses écoles d’ingénieurs de France dont le but initial était de former des cadres garde-chiourmes de l’industrie minière, est notamment financée par la Fondation Mines Telecom. Parmi les mécènes de cette dernière, les plus notoires sont ArianeGroup, Inéo Defense, MBDA, Safran, Thales, Naval Group, Dassault, Airbus. On a du mal à voir toutes ces entreprises de l’armement (dont les plus grosses sont impliquées dans la fabrication de la bombe atomique) s’émouvoir des « impacts environnementaux » ou du « numérique décolonial ». S’il est besoin de le rappeler, leur fond de commerce, c’est la guerre ! Le contraire donc de la préservation de l’environnement ou de l’« émancipation des peuples ».
C’est aussi à l’École des Mines de Saint-Étienne que des chercheurs bossent sur « l’hôpital virtuel », qui permettrait d’« optimiser les parcours de soins » mais dont on se demande s’il ne servira pas plutôt à mieux gérer à distance le personnel soignant, toujours plus sous pression par manque de moyens à cause des innombrables coupes budgétaires que le domaine médical subit depuis des années. La « transition » passant par là, on remplacera les lits par des applis, c’est ça la « révolution numérique ».
Mais ce n’est pas tout, parmi les partenaires privilégiés de l’École des Mines, on trouve aussi ST Microelectronics qui lui finance au moins une dizaine de thèses. Cette boite qui produit des puces électroniques et dont Macron est venu lancer l’agrandissement à l’été 2022 en pleine canicule, a une consommation d’eau démentielle (336 litres/seconde). D’un bout à l’autre de la planète, on lutte contre ce type de prédation : « De l’eau pas des puces » à Grenoble, « Agua para la gente, no para las empresas » en Uruguay. Vous avez dit « impacts environnementaux » ? Foutage de gueule, regardez plutôt avec qui vous bossez.
Si nous critiquons cette rhétorique mortifère - récupération de la critique, grand messe de la soi-disant « transition » -, c’est qu’elle est mise en œuvre partout. On trouve ainsi une Agnes Pannier-Runacher, ministre de la « transition », nous parler d’une « gestion responsable » de la future mine de lithium censée s’ouvrir bientôt à Échassières dans l’Allier. Échassières, c’est cette petite commune dont les sols sont déjà pollués aux métaux lourds (jusqu’à 7 fois les seuils de risque pour l’arsenic) suite à l’exploitation de tungstène dans un passé assez récent ...
Quoi qu’en disent les acceptologues et autres évangélistes de la société industrielle, il n’existe pas plus de numérique responsable que de mine propre ou de kangourous volants. Charge à nous de leur faire comprendre que nous ne sommes pas dupes (ni des imbéciles).
A bonne entendeuse.
A bon entendeur.
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