Autant dire que l’enjeu est de taille. Les gigafactories (usines de batteries pour véhicules électriques), qui ouvrent leurs portes les unes après les autres dans le nord [1], pourraient ainsi se fournir localement. Macron, qui claironne que la France peut devenir exportatrice nette de batteries, applaudit des deux mains. L’un de ses autres objectifs, faire produire aux constructeurs français 2 millions de voitures électriques par an d’ici 2030 [2] serait, lui aussi, plus facile à atteindre. D’autres filières industrielles s’en trouveraient peut-être favorisées, vu que toujours plus de secteurs dépendent de la fée électricité et de ses batteries. Sans elles, il n’y aurait pas de « mobilité » des appareils électroniques, pierre angulaire des smart cities et du projet cybernétique de gouvernement automatique. Les guerres « modernes » se feraient sans les drones, et beaucoup d’autres machines trivialement mortifères ne sauraient fonctionner. Enfin, si le lithium est surnommé « or blanc », c’est parce que l’électrification de tout, et notamment du parc automobile, est l’un des axes centraux de la (mal) dite « transition écologique ». Si cet or blanc était produit ici, la France pourrait faire bonne figure dans les bilans du Green Deal européen [3] - tout en garantissant un avenir radieux au parc nucléaire tricolore, dangereusement vieillissant et cependant en cours de « relance » et d’extension.
Il y a des perspectives qu’Imerys et le gratin bureaucratique et politicien qui lui sert de soutien sont plus enclins à passer sous silence. Ils ne crient pas sur tous les toits que la mine utilisera l’eau en quantités faramineuses à l’heure où son manque devient chronique et de plus en plus inquiétant. Ni qu’elle laissera sur place des millions de tonnes de roche potentiellement toxique, voire radioactive. Ils restent discrets sur les nuisances pour celles et ceux qui vivront près des futures installations : mine, voies de transport, usine de conversion. Ils ne disent pas qu’après être exploité, le site d’Échassières risquera fort de ressembler à d’autres anciens sites miniers ravagés à jamais, ceux dont les habitant.es ont bien compris que leurs vies comptent pour du beurre dans la vaste mascarade de « gestion » de l’après-mine. Pourtant, l’un de ces sites se trouve dans le secteur-même où Imerys mène son projet, au Mazet, à quelques kilomètres d’Échassières. Dans cette zone anciennement exploitée pour du tungstène, Geoderis, le groupement d’intérêt public dont la mission est d’assister l’État dans l’après-mine, a constaté, il y a plus de cinq ans déjà, des pollutions plus qu’alarmantes des eaux et des sols en métaux lourds, parmi lesquels l’arsenic et le plomb. Leur classement par Geoderis (« E », le plus haut niveau de pollution minière du pays, « susceptible de présenter un risque très significatif pour la santé humaine et l’environnement ») n’a pas empêché la prolongation du permis de recherche octroyé par l’État à Imerys, et n’a, jusqu’à maintenant, d’aucune manière freiné son projet. Pire, les résultats de l’expertise n’ont pas été communiqués aux habitant.es de la zone. Ni aux personnes vivant là depuis longtemps, ni à celles arrivées plus récemment, séduites par les bas prix de quelque écrin de verdure … aux concentrations en métaux lourds dans les sols dépassant jusqu’à 7 fois les « seuils de risque » fixés par les normes officielles !
Depuis dix ans, au moins une dizaine de permis de recherche de métaux (cuivre, or, étain, zinc, argent, tungstène, lithium, antimoine et autres) ont été distribués dans l’Hexagone. Emili est le premier de ces projets à être passé, en octobre 2022, en phase de « développement » (qui précède l’exploitation effective). Importante entreprise « française » [4], qui s’autoproclame « responsable », cette spécialiste des minéraux et matériaux industriels a déjà plusieurs scandales sur le dos. Elle a par exemple été poursuivie aux États-Unis pour avoir fourni des produits à base de talc contenant de l’amiante (et donc provoquant des cancers), et au Brésil pour de graves pollutions de cours d’eau amazoniens. Dans l’Allier, dès cette année (2024), elle compte démarrer la construction d’un pilote industriel qu’il est question de mettre en service en 2025 pour produire 400 tonnes d’hydroxyde de lithium par an. Sa « vraie » mine, Imerys la projette pour 2028. Le sauvetage du climat n’attend pas, ses nouveaux marchés non plus !
La funeste transition écologique n’a d’écologique que le nom - ne serait-ce que par le poids de ses technologies en matières premières et en désastres inévitables pour les obtenir. Elle n’est pas non plus une transition : les nouveaux besoins industriels des filières dites vertes ne remplacent pas, mais s’ajoutent à ceux des vieilles filières plus classiques, et la somme de ces besoins industriels ne cesse de croître. Dans le monde, on n’a par exemple jamais extrait autant de charbon qu’aujourd’hui, quand bien même la part des « énergies décarbonées » dans le mix énergétique augmente. Sauver la planète – technologique et capitaliste – en détruisant ce qu’il y reste de vie, étendre jusqu’aux derniers confins l’emprise du contrôle et de la quête du profit, réduire les territoires à l’unique rôle d’être exploités pour les richesses qu’ils recèlent (« matière grise », « or blanc », attraits touristiques, espace vide à remplir…) en assignant dans ce même mouvement aux « administré.es » par un État des rôles standardisés, productifs et facilement gouvernables, - voilà la perspective plus vaste tracée par les projets tels qu’Emili. Et, n’en déplaise aux acceptologues de « la mine locale » [5] (bio et équitable ?), les dégâts qu’un tel projet risque de produire en France n’épargneront d’aucune manière d’autres pays moins « protégés » par des réglementations environnementales et sociales, puisqu’il est dans la logique du capitalisme d’extraire tout ce qui peut être économiquement intéressant, puisque extraire « ici » n’empêche pas de le faire aussi « ailleurs ».
Le projet Emili est encensé par le gouvernement. Il jouit de son entier soutien (entre autres, des subventions de France Relance). L’État a tout intérêt à appuyer le développement d’une filière comme celle de lithium (sécurité de l’approvisionnement des industries en matières critiques), et, de manière plus générale, à mettre en place les conditions optimales de l’exploitation des « richesses » qui lui procurent aussi des citoyen.es gouvernables à souhait. De ces raisons, la transition écologique servie à toutes les sauces n’est que la pointe de l’iceberg. Mais l’écologie a bon dos. Dans la bouche des gouvernants et des médias, l’électricité – dont les infrastructures dévorent l’espace et des montagnes de matières – est une « énergie verte ». Des experts assurent que le nucléaire sauvera le climat. Les industriels et leurs chantres jurent leurs grands dieux que les nuisances seront gérées. Personne n’a encore proféré qu’avaler des couleuvres stimulait la digestion, mais nous pouvons le déduire nous-mêmes. Nous sommes beaucoup à en avoir la nausée. Quant à l’Allier, tout le monde n’y accepte pas de se laisser miner et de fournir du carburant à cette énième mutation du capitalisme. Le 26 janvier prochain, des membres du collectif Stop Mines 03 seront à Saint-Étienne pour nous parler de leur lutte et de ses enjeux, qui nous concernent toutes et tous.
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