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SAINT-ÉTIENNE  
Publié le 4 avril 2022 | Maj le 25 juin 2022

Des médiathèques stéphanoises co-vidées de leur public


Si depuis la mi-mars le passe vaccinal n’est plus exigé pour accéder aux médiathèques, cette mesure a profondément affecté leur fonctionnement. Retour en trois épisodes sur les répercussions de la politique sanitaire du gouvernement et de la ville dans les médiathèques stéphanoises.

Épisode 1

On se souvient de la polémique lors de l’un des nombreux épisodes du confinement de l’an dernier, concernant la fermeture des librairies, au nom de leur importance capitale… Étrangement, la fermeture totale puis partielle des médiathèques n’a pas provoqué le même effroi. Il est vrai qu’il s’agit d’un service public, et qu’en ces temps fort libéraux-poujadistes, le commerçant incarne mieux la révolution que le fonctionnaire.

À leur réouverture, à l’issue du « grand confinement », les médiathèques ont mis en place un « click and collect », à la manière des commerces. Au-delà du caractère relativement pénible du point de vue de la manutention – il fallait remplir des caisses, les mettre en « quarantaine » dans une pièce avant, quelques jours plus tard, de les réinstaller en rayon – certaines médiathèques devaient aussi désinfecter chaque document avant leur remise en rayon - les médiathèques avaient perdu leur caractère « espace public ». Le séjournage n’était plus admis. On pouvait (éventuellement) rentrer, prendre ses disques et ses pages et repartir fissa. Les médiathèques ont manqué à toute une portion particulièrement fragile de la population, notamment les personnes âgées qui avaient pris l’habitude de venir y lire leur journal, ainsi que les sans abris et les jeunes, qui venaient y faire leurs devoirs, à toutes celles aussi qui n’avaient pas accès à internet, et ne pouvaient donc réserver.

La vocation sociale, territoriale, conviviale des médiathèques, en cette période, a pris un bon coup derrière la lorgnette.

Leur fermeture a signifié aussi celle de l’un des rares points d’accès gratuit à Internet en ville, essentiels pour bien des services administratifs étatiques. La vocation sociale, territoriale, conviviale des médiathèques, en cette période, a pris un bon coup derrière la lorgnette. Qui plus est, les accueils de classes, durant cette période, ont été suspendus, et n’ont repris que de manière réduite, la faute sans doute à une communication peu claire et à un cadre réglementaire encore moins clair. Le résultat est que pendant un an et demi, des élèves ont cessé d’aller à la bibliothèque, à un moment crucial de leur existence.

Épisode 2 : (L’im)passe sanitaire

Lorsqu’au début de l’été 2021 arrive l’obligation de présenter soit une preuve de vaccination complète, soit un test négatif au COVID 19 pour entrer dans certains lieux ou avoir accès à certaines activités, tout le monde comprend qu’il s’agit là d’une manière détournée de rendre obligatoire la vaccination, sans en assumer les conséquences. Si les restaurants ou les bars ne peuvent à proprement parler être considérés comme des services publics, il n’en est pas de même pour les piscines municipales, les médiathèques et les hôpitaux.

Comme de nombreux lieux, les médiathèques communales ont « bénéficié » d’un temps de sursis offert par le flou dans la formulation du décret concernant la jauge en dessous de laquelle le passe était requis, puis ont dû l’exiger, à la différence des grandes structures telles que la Bibliothèque Nationale de France, la Bibliothèque Publique d’Information et les Bibliothèques universitaires qui en ont été exemptés.

La mairie de Saint-Étienne a donné le choix : soit ce sont les personnels des médiathèques qui assurent le contrôle soit ce sont des vigiles, mais pris en charge sur le budget des médiathèques.

Le premier effet fut une baisse drastique de la fréquentation et des emprunts, les étagères débordant littéralement de livres. Une deuxième conséquence a été d’accaparer les personnels sur les missions de contrôle du passe sanitaire, la mairie de Saint-Étienne ayant donné le choix : soit ce sont les personnels des médiathèques qui assurent le contrôle, avec ce que cela implique de conflit avec les usagèr.es, soit ce sont des vigiles, mais pris en charge sur le budget des médiathèques. Les personnels ont décidé de s’en charger, ce qui a provoqué un troisième effet kisscool : afin de tenir compte des heures supplémentaires passées en service public pour contrôler les passes et redéployer le personnel, il a fallu fermer les médiathèques de proximité à tour de rôle dans la semaine !

Épisode 3 : la cerise sur le gâteau ?

Depuis le 31 septembre, le passe sanitaire est devenu obligatoire aussi pour les mineurs de plus de 12 ans et deux mois, leur interdisant l’entrée dans les médiathèques. On le sait, pour l’avoir soi-même expérimenté, combien ces lieux sont nécessaires pour travailler au calme, à proximité des ouvrages, dictionnaires dont on a besoin, préparer exposés, dossiers ou tout simplement faire ses devoirs. Cette fermeture aux jeunes va à l’encontre de toute la politique du livre et de lecture publique mise en œuvre depuis les années 80 en France, qui vise notamment à développer l’accès à la lecture et à l’information chez les plus jeunes et les plus fragiles et à lutter contre l’illettrisme et l’analphabétisme.

La décision du gouvernement provoque un mouvement de protestation sans précédent dans les médiathèques, et plusieurs villes, comme Lyon et Villeurbanne, mais aussi, localement, La Ricamarie, décident de permettre aux publics de 12 à 17 ans de venir librement à la médiathèque en vertu de l’exception inscrite dans le décret du 7 août 2021, visant les « personnes accédant à ces bâtiments pour des motifs professionnels ou à des fins de recherche ». C’est pour cette exemption qu’à Grenoble, les médiathécaires se sont battu.es, ont risqué le licenciement mais ont finalement vaincu les velléités autoritaires du maire Eric Piolle.

À Saint-Étienne aussi, les personnels se sont mis en grève à plusieurs reprises et ont initié une pétition qui a été signée par plusieurs centaines d’usager.ère.s, avant d’être remise à l’adjoint à la culture de la ville, Marc Chassaubene. Plusieurs syndicats d’enseignant.e.s se sont émus de la situation, pour l’instant sans résultat. Il est vrai que depuis le début de la crise liée au COVID 19, les élu.es de tous bords ont volontiers pris la pose de la fermeté et de l’autoritarisme, au détriment souvent d’une réflexion à long terme sur le sens des missions de service public et plus généralement de ce que signifie une bonne santé, comprise comme un ensemble de facteurs physiologiques, sociaux et mentaux.

Les élu.es de tous bords ont volontiers pris la pose de la fermeté et de l’autoritarisme, au détriment souvent d’une réflexion à long terme sur le sens des missions de service public.

La culture n’est plus, on le sait depuis des années, une priorité pour les collectivités locales et pour l’État. Mais en ces temps où les élites politiques et médiatiques ont beau jeu de dénoncer les « fake news », la désinformation, le complotisme et le communautarisme auxquels seraient exposé.es les plus jeunes, leur fermer l’accès à des lieux spécifiquement dédiés à leur information ressemble plus à une balle dans le pied qu’à une politique saine… À moins, bien entendu, que nos élites ne se satisfassent finalement de cette situation, propre à polariser la société et à faciliter leur entreprise.

P.-S.

Article paru dans le Couac n°13, à l’hiver 2021.


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