L’accusé, Monsieur B., passe en procès pour "diffamation sur personne dépositaire de l’autorité publique" pour une publication d’une photo du commissaire Gonon (en uniforme), sur la page facebook de La Loire en colère avec notifié du commentaire : « voilà cette pute ». Publication faite après une manifestation GJ le 5 février à Saint-Étienne.
« Tout citoyen qui pense que la police a usé d’une violence injustifiée, il a la possibilité de porter plainte. » (Le juge)
Le juge : « C’est n’importe quoi ! Vous travaillez, vous avez des enfants, vous êtes en concubinage. Y a des peines d’emprisonnement pour ça ! [...] C’est parce que vous approuvez pas leur attitude ? Ça s’était mal passé ? [...] Tout citoyen qui pense que la police a usé d’une violence injustifiée, il a la possibilité de porter plainte. »
Même la police, elle le dit dans une vidéo d’un policier qui insulte une dame qui porte un sac à main : « Allez-y ! Portez plainte ! Allez-y ! Circulez ! » [1]
L’accusé explique que lors de la manifestation du 1er décembre, sa mère de 60 ans a reçu des lacrymos : « Ça m’a brisé le cœur, ça m’a mis en colère, à ce moment-là je ne travaillais pas, c’est une accumulation de choses ».
« Pourquoi mettre ACAB sur votre page ? »
L’assesseur fait passer le Gilet Jaune pour le gros bêta de service : « Quand vous faîtes ça, vous pensez qu’on va pas vous lire ? A qui ça s’adresse alors tout ça ? C’est invisible à celui que vous insultez ? »
L’avocate de la partie civile (Police) est fière de lui apprendre que le compte La Loire en colère est regardé par la police et qu’elle-même est allée consulter sa page pour chercher d’autres éléments. « Pourquoi mettre ACAB sur votre page ? » Elle redonne la définition dans un mauvais anglais : « All corps are bastards », « tous les flics sont des connards ». Elle ajoute : « Sur la page de l’accusé, on peut trouver d’autres photos comme la banderole Que fait la Police ? Ça crève les yeux ! / ACAB / du soutien pour Christophe Dettinger. » Elle geint sur l’honneur bafoué de Monsieur Gonon qui « travaille pour la protection des biens et des personnes ».
Beauseigne M’sieur Gonon ! Il est désormais une vraie victime traumatisée. Quand il quitte son arsenal – l’uniforme, le casque, les gants, les genouillères, la coquille, les chaussures de sécurité, le gilet par balles, le bouclier, la caméra embarquée, le talkie, la matraque, les menottes, les lacrymos, son arme de service et ses petits fourgons – c’est qu’il se sent pas bien ! Son avocate le dit, « il craint pour la sécurité de sa personne et celle de sa famille car on sait que l’accusé fait partie des GJ et on connaît les hostilités de ces personnes à l’égard de la police. »
Elle demande 1€ de dédommagement et 800€ pour les frais d’avocat.
« Si vous avez 60 ans et que vous ne pouvez pas assister à une manifestation, moi je dis, n’y allez pas ! » (Le proc’)
Alors que le juge ose encore affirmer en début d’audience que manifester est un droit protégé par la constitution, le procureur, fortement marqué par l’actualité, pose néanmoins une petite exception : « Si vous avez 60 ans et que vous ne pouvez pas assister à une manifestation, moi je dis, n’y allez pas ! ». Et puis, il n’hésite pas à accabler le Gilet Jaune, le tenant pour responsable des blessures par débris de verre à la pommette d’un adolescent à Roanne : « Combien j’ai été ému par cette autre affaire. Quand on m’a appelé pour un enfant de 14 ans qui a été brûlé au visage et qui se trouvait à l’hôpital. Mais vous êtes responsable aussi. ». Il ne manquait plus qu’il le tienne responsable du tir de flashball dans l’œil du jeune Mohammad, réfugié syrien arrivé indemne en France et éborgné par cette arme de guerre lors d’une manifestation à Saint-Étienne. Mais le monsieur le procureur sait humer la merde... pour instrumentaliser un blessé, culpabiliser l’accusé et discréditer un mouvement populaire.
« Je vous vois tous défiler, repentants, la tête basse, dire que c’est pas vous. » (Le proc’)
Le discrédit c’est son atout. Un brin perfide, le petit proc’ se pense plus futé que le Gilet Jaune dans une subtile distinction : « Parfois la foule trahit le peuple. Monsieur B., vous avez trahi le peuple ce jour-là . » Dans son livre Les Gilets jaunes à la lumière de l’histoire, l’historien Gérard Noiriel nous rappelle que le terme "foule" a été utilisé au tournant du XXe siècle par des théoriciens comme Gustave Le Bon ou Gabriel Tarde pour discréditer les luttes populaires. Rappelons que ces deux auteurs, sources d’inspiration aujourd’hui pour le proc’, ne respiraient pas, à l’époque, la franche camaraderie à l’égard du prolétariat et des gueux.
Monsieur le Procureur à l’assaut du front jaune...
Outre sa prétention à se poser comme fin analyste de la foule, monsieur le procureur est très impliqué dans ses missions : « Je suis ces événements depuis plusieurs week-ends. Autant au commissariat qu’au palais de justice les samedis soirs et les dimanches matins pour faire fonctionner la démocratie et la légalité. Je vois les décisions de juridiction partout en France. » Et d’ajouter un brin dédaigneux : « Je vous vois tous défiler, repentants, la tête basse, dire que c’est pas vous, qu’on ne se reconnaît pas dans ces comportements, dans ces propos. Oh messieurs ! Quand est-ce que vous allez assumer ? J’aimerais que vous soyez courageux ! Que vous disiez que c’est bien vous qui l’avez prononcé, M. B., devant votre ordinateur, chez vous, dans un lieu silencieux. C’est trop facile de se défiler. » Monsieur le Procureur, c’est un courageux bien installé dans l’un des sièsièges de la démocratie et outillé de ses codes de procédures qui ne cessent de grossir et dont l’unique objectif est d’agrandir l’échelle des peines.
... pour brandir l’étendard tricolore
Quand le juge dit « vous n’avez pas le droit de profaner », le procureur donne l’uniforme pour objet. « Sous l’uniforme, il y a un homme. Il fait un métier qu’il aime et qui protège. [...] Souvent on entend cette phrase « Mais que fait la police ? » Quand on est dans la difficulté on l’attend le bleu, le blanc, le rouge. Le bleu : la police ; le blanc : le médecine ; le rouge : les pompiers. [...]. Là c’est pas seulement l’homme mais aussi le bel uniforme qui est diffamé. » Et d’ajouter : « Le message que vous voulez livrer à vos enfants, ce n’est pas celui-ci. » Une remarque de classe, insinuant que le Gilet Jaune est un mauvais père et les mauvais pères, comme les mauvaises mères, c’est bien connu chez les pauvres qu’on les trouve !
Le juge vitrifie le parquet
Homme de paix, monsieur le procureur se targue d’une « réquisition modérée car la loi est faite pour vivre dans une société paisible et respectueuse ». Il requiert la culpabilité et 1000 euros dont 700 avec sursis et 300 de suite. Le juge prononce une peine ferme de 1000€ d’amende
Pour clore, une avocate de la défense qui a pas trop le vezon
La repentance est une chose, l’humiliation et l’approximation en sont d’autres. Et si on ignore tout de la stratégie choisie par l’accusé, la plaidoirie qui suit interroge : « Il assume. Laissons place à la bêtise humaine. Pourquoi chercher des arguments pour aggraver ce qu’il a fait ? C’est suffisamment grave. Il n’est pas là pour son profil facebook mais pour une publication et il reconnaît les faits. Il ne peut pas porter la responsabilité de tout le monde. ACAB veut aussi dire anticapitaliste. Ça vient des mouvements de la loi travail durant lesquels ACAB était réutilisé pour l’anticapitalisme. Et c’est une des revendications des Gilets Jaunes. Il n’a jamais essayé de cacher son profil. Il est venu avec toute sa honte. [...] Notons les remarques violentes de la police : "Si ta fille se fait violer tu irais voir qui ?". ce n’est pas une réponse appropriée. »
Comment un accusé peut relever les épaules et la tête avec une telle défense ? C’est ce qu’on appelle une défense couchée. L’avocat c’est l’accusé qui l’embauche, pas le contraire. [2]
Encore une condamnation lourde pour un Gilet Jaune mais cette fois, non pas dans des contextes de manifestation ou d’action dans la vie réelle mais pour des propos tenus sur internet.
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