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ANALYSES ET RÉFLEXIONS URBANISME - GENTRIFICATION - TRANSPORT
SAINT-ÉTIENNE  
Publié le 13 février 2023 | Maj le 18 août 2023

Ça ne sera pas mieux en 2025


D’après un douteux syndicat de la profession, l’Alliance française des designers, « le design est un processus intellectuel créatif, pluridisciplinaire et hymaniste, dont le but est de traiter et d’apporter des solutions aux problématiques de tous les jours, petites et grandes liées aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux. » [1] Alors, si le design c’est trouver des solutions à un problème, qui définit ces problèmes, d’où émergent-ils ? Au service de qui est-il ? À Saint-Étienne le design est au service des start-ups et du « renouveau industriel », autrement dit le capitalisme, et au service de « l’attractivité du territoire », autrement dit la gentrification. On a lu le projet « Cité du design 2025 » qui dresse les ambitions de la métropole sur son site-vitrine pour les prochaines années, et ça ne sera pas mieux après. Lecture rapide et commentée.

Bien dans son temps, la Métropole joue la compétitivité territoriale. Dans cette optique des territoires du futur, elle portera bientôt la gestion de son principal outil : le site de la Manufacture, actuellement géré par l’Établissement Public d’Aménagement de Saint-Étienne (EPASE) [2]. À l’intérieur de ce site, la Cité du design est constituée en Établissement Public de Coopération Culturelle, lui-même relevant de Saint-Étienne Métropole et du ministère de la Culture. Beaucoup de sigles et d’étages administratifs pour nommer le désastre... Qu’est-ce que ça changera nous direz-vous ? Pour nous, pas grand chose. Si on est bozardeuse, on continuera à y étudier, si on est starteupeur on continuera à y starteuper, si on est simple habitant.e de Sainté, on continuera à l’éviter.

Peut-être pourrait-on comprendre ce qui se cache derrière le lieu concept ? Pour la plupart des stéphanois.e.s, la cité du design est un endroit qui regroupe plusieurs structures obscures dont des bureaux de gens dont on ne sait pas trop ce qu’ils font (le mixeur), une banque qui accompagne on ne sait pas trop comment la start-up nation (le village by CA), des étudiant.e.s stylé.e.s, atomisé.e.s et souvent dépolitisé.e.s (l’École Supérieure d’Art et de Design de Saint-Étienne)... D’après la métropole, le projet Cité 2025 vise à « transformer en profondeur la Cité du design et l’inscrire dans un quartier vivant, vitrine de l’excellence du savoir-faire stéphanois » [3] à partir de plusieurs objectifs.

« Un outil d’attractivité du territoire »

Ce sont donc 60 millions d’euros, dont 35 millions de la Métropole (complétés par des financements privés) qui visent à transformer l’image de la cité, et donc de la ville, avec : un nouvel hôtel-restaurant le Mama’s Shelter, une boutique design, plus d’entreprises, un tiers lieu. Ça fait beaucoup d’argent pour une vitrine. Surtout quand on sait que les travaux du « quartier créatif » ne tiennent pas la route : des salles de cours qui se dégradent vite, une conception pas adaptée aux espaces, des fenêtres automatisées dans la Platine qui restent ouvertes quand il pleut, bâtiment d’un futur dépassé... Dépassé mais à priori rentable pour GL Events, mastodonte de l’événementiel, qui détient la gestion de l’auditorium du bâtiment.

« Un lieu unique en Europe »

L’ambition, ou plutôt, la prétention de la ville est de fabriquer du jamais-vu, à base d’un mélange universitaire, entreprenarial et culturel. En bref, la même recette que de nombreuses « friches culturelles, métropolitaines et canons » de France et d’ailleurs. L’exception stéphanoise tient plutôt de l’échec que de l’innovation : 15 ans de plans successifs, de millions d’euros et de chaises musicales pour un espace vide (de sens et de gens).

« Une cité ouverte au plus grand nombre »

Gaël Perdriau résume, pour une fois, bien la situation : « Le design est quelque chose d’assez obscur pour le grand public, et on comprend pourquoi de nombreux Stéphanois n’osent encore pas, aujourd’hui franchir l’imposant portail d’entrée de la cité. » Mais, sa conclusion nous laisse perplexe : « Notre volonté est précisément d’en faire un lieu ouvert sur l’extérieur, ouvert à tous » [4]. La Métropole prend le relais de l’Epase mais on investit toujours plus d’argent public pour reproduire les mêmes codes qui ne parlent toujours à personne. L’espace est pensé par les classes créatives, celles qui comprennent le design. Les habitant.e.s, à qui la cité s’adresse dans les discours, n’ont qu’à s’y adapter.

« Un tiers lieu socio-culturel »

Parce que l’éducation populaire n’est pas assez design, la Métropole ouvrira un tiers lieu pour les jeunes stéphanois.e.s. Ça fait mieux et ça change les visées. Il n’est pas ici question de faire collectif ou de travailler nos esprits critiques, mais d’accumuler du monde dans la Cité et de répandre la propagande design et métropolitaine. Puisqu’il faut pousser les Stéphanois.e.s dans la cité, la Métropole cherche des appâts. On ne fera pas un autre Steel ici, mais la consommation culturelle y aura sa place. À partir de cette volonté, deux possibilités : inventer une structure de médiation du design (jusqu’ici le musée tentait sans succès de jouer ce rôle), ou utiliser une association locale et la détourner de ses objectifs initiaux.

La médiathèque de Carnot et la MJC des Tilleuls toutes proches semblent être les proies principales du projet. Si la première est municipale, la seconde est censée être une association autonome, avec ses visées pédagogiques, son conseil d’administration, son public. Et ça ne change pas : pression des financements et besoin de locaux pour accueillir les publics seront les pivots d’un dialogue pour le moins déséquilibré entre milieu associatif et collectivités territoriales. De la même manière que les taudis servent la gentrification [5], la précarité associative sert le chantage municipal.

Alors c’est le grand mélange des genres : éducation populaire et design, start-up et université, partenariat public-privé, à l’image de « Cité Services ». Puisque le design se définit neutre, il vise à rassembler une grande palette de pratiques qui devront servir la même idéologie libérale (celle-là même qui se prétend neutre).

Tout ça pour, il faut bien le dire, poursuivre cet objectif d’attraction de populations blanches, diplômées et imposables (ou qui le seront dans un futur proche, on vous voit les pseudos- précaires cultivant la prolophilie comme les plantes grasses).

Au Couac, on préfère les grands feux de joie, les danses sauvages sur le pavé de notre chère et tendre Saint-Étienne. Si on devait donner notre opinion, la politique publique la moins coûteuse et la plus rentable à court terme dans l’optique de rendre la cité aux habitant.es consisterait à la livrer à la ferveur populaire et carnavalesque. À bas coût, et au prix d’une esthétique léchée, la cité aurait une sacrée gueule : ni millions, ni patrons, ni institutions, mais des gens, ça oui. Certaines mauvaises langues prétendent même que le point d’orgue de la biennale au niveau de la fréquentation reste le 16 avril [6], à l’occasion d’un entre-deux tours plus chaud que jamais. A bon entendeur.euse, rendez l’argent, et foutez-nous la paix.

P.-S.

Article paru dans le Couac n°14, au printemps 2022.

Notes

[2Lire à ce sujet : « Ville, métropole et design, qui S.E.M le vent », Journal du Carnaval de l’inutile, 2019.

[4Idem.

[5Lire à ce sujet : « Design partout, justice nulle part », 2019.

[6Cf. les illustrations de l’article.


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