Actualité et mémoire des luttes à Saint-Étienne et ailleurs
MÉMOIRE MOBILISATIONS - LUTTES / RACISME
SAINT-ÉTIENNE  
Publié le 30 août 2023 | Maj le 31 juillet 2023

Au printemps 2021... on manifestait contre l’islamophobie


Dimanche 21 mars, place Jean Jaurès, devant le kiosque à musique. Un premier jour de printemps froid et menaçant à tout moment de pleuvoir, mais qui n’a pas freiné toutes les personnes venues se rassembler et marcher ensuite ensemble dans la ville, revendications et drapeaux flottant haut. Ce rassemblement a été initié par le Collectif Stéphanois contre l’Islamophobie et pour l’Égalité et la Coordination contre le Racisme et Islamophobie (CRI-42) avec le soutien en mots choisis et précis de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), les Jeunesses Communistes (JC) et un représentant de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP), Georges Gumpel. Se trouvaient aussi mêlés à la foule et venus soutenir de nombreux collectifs de gauche, extrême gauche et anarchistes Stéphanois comme les Brigades de solidarité, le CIP 42, le Comité Antifa, NPA, Ensemble !, la CGT précaires....

Une « loi séparatisme » à plusieurs niveaux

La représentante du Collectif Stéphanois contre l’Islamophobie et pour l’Égalité (fondé en octobre 2019 [1]) prend la parole. Elle resitue d’abord le contexte de cette « loi de séparatisme islamique » qui a commencé en juillet 2020, lorsque la Ministre Déléguée chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa annonce que le projet de loi contre les séparatismes sera proposé en septembre ou octobre 2020 et visera spécifiquement « l’Islam Politique », ou ce grand fourre-tout sémantique et idéologique brandi à tout va par les classes dominantes et les médias classiques, un peu comme « islamogauchisme », qui insinuerait que les groupes alliés aux personnes concernées par l’Islamophobie seraient peu ou prou complices de terrorisme.

Toujours est-il que l’intention est claire : ce projet de loi tend à neutraliser « tout projet organisé en marge de la République et contre la République ».Quels sont les « critères » exacts ? Beaucoup de flou ou au contraire des points tendant à désigner toujours le même groupe : les personnes (réellement ou supposément) de confession musulmane.

En effet, en plus de mettre à mal une partie de la définition même du mot Laïcité (Impartialité ou neutralité de l’État à l’égard des confessions religieuses) et bien que rejetés (pour le moment), certains amendements ont fait ressurgir la marotte répétitive, sexiste, raciste et infantilisante de l’archétype de la « femme voilée », assujettie et soumise à des traditions arriérées, barbares, maintenues par des hommes ensauvagés, incontrôlables, « indomptables ». Et donc pour « libérer » ces femmes forcément opprimées, il s’agirait leur enlever ce tissu infâme, synonyme de domination absolue... Il faudrait aussi, sous couvert d’« émancipation », contraindre des femmes à sortir d’une sphère publique déjà suffisamment ostracisante en leur interdisant par la loi d’accompagner des sorties scolaires par exemple... Intéressant quand les bonnes sœurs elles le font tout à fait librement.

La fondatrice du Collectif Stéphanois contre l’Islamophobie et pour l’Égalité continue en explicitant à quel point cette loi de Séparatisme Islamiste (et ses nombreux amendements) est liberticide par l’ingérence de l’État dans le culte musulman qu’elle opère. On ne peut s’empêcher de penser aux associations et établissements scolaires réduits au silence dernièrement : le lycée MHS, les associations Baraka City, Cheikh Yassine ou encore le CCIF – au motif uniquement de présomptions de « relations au sein de la mouvance islamiste radicale » d’après Gérald Darmanain, Ministre de l’Intérieur. Des allégations largement contestées et controversées car non vérifiées encore à ce jour. Une manière, d’une part, de réduire au silence les réflexions et actions d’autodétermination des concerné.e.s en empêchant les possibilités de défendre et recenser les victimes des discriminations islamophobes et, d’autre part, de s’inscrire dans une ligne dure, pour séduire et « rassurer » un électorat xénophobe en vue des élections présidentielles et législatives dans un an.

Le projet d’une loi « confortant le respect des principes de la République », plus connue sous le nom évocateur de « Loi de séparatisme Islamique » a été adopté en première lecture par le Sénat le 12 avril. Il y a fort à parier au vu des articles présentés que ce ne sera pas une « séparation » accommodante et relativement tranquille comme eut lieu celle de 1906 entre l’État et l’Église mais plutôt, comme le dénoncent collectifs et associations, avec davantage de divisions, d’amalgames et de stigmatisations des personnes concernées.

Le Collectif Stéphanois contre l’Islamophobie et pour l’Égalité est d’ailleurs dans la zone rouge d’un État qui préfère brandir une « menace islamiste » nébuleuse, qui ne correspond pas à ce que vit l’écrasante majorité des pratiquant.e.s ou personnes d’obédience musulmane, plutôt que s’attaquer au racisme et à l’islamophobie structurelle qui créent des maux multiples à large échelle.

Pour enfoncer le clou, le sénat a ajouté de nouvelles sanctions si une association se reconstitue à l’étranger tout en maintenant une activité sur le territoire national. Côté universités, un amendement est sorti pour interdire les « prières sauvages qui se tiennent dans les couloirs » selon le député LR Stéphane Piednoir ; au grand étonnement du Vice-Président de la Conférence de présidents di Universités Guillaume Gellé qui explique ne pas avoir été informé au niveau du CPU de cas particuliers pouvant poser problème.

Un autre article vise à empêcher de protester et d’agir contre des enseignements ou des colloques que l’« on » juge racistes par exemple. Et cela dans toutes les directions, même plus légères : rien n’est dit explicitement, mais on sait très bien qui est visé quand un des amendement tend à vouloir interdire les drapeaux pendant les mariages et que certaines municipalités répriment les « youyou » lors des dites célébrations car allant contre les « valeurs Républicaines ».

Qui protège qui ?

On est en droit de se poser des questions face à cette pluie de restrictions manifestes des libertés individuelles et collectives de toute une communauté. Aussi française soit-elle en grande majorité. Que des groupes identitaires aient quasiment pignon sur rue mais que – sur de simples soupçons – des associations musulmanes soient fermées, interroge. D’ailleurs à chaque attentat dit terroriste, la communauté musulmane est « sommée » de se désolidariser explicitement, comme si chacun et chacune de ses membres en portait une responsabilité indirecte.

« Il est évident que c’est une loi d’exception, qui cible les musulmanes et les musulmans, même si dans ses applications elle est liberticide pour toutes et tous. » poursuit la porte-parole du Collectif Stéphanois contre l’Islamophobie et pour l’Égalité. Ne pas oublier en effet que ce qui est mis en place sur une partie peut parfaitement être amené à s’étendre à l’ensemble de la population. Il n’y a qu’à voir comment certaines lois antiterroristes islamistes – initialement dans le cadre d’un état d’urgence – ont servi à réprimer les Gilets jaunes.

Le CRI 42 (fondé nationalement en 2008) précise comme on peut lire sur leur site ce constat établi depuis plusieurs décennies : « Les discriminations multiples dont sont victimes les citoyens français musulmans sont incompatibles avec une société de droit. De l’acharnement médiatique qui ne cesse de les stigmatiser aux discriminations quotidiennes à l’emploi, ou à l’éducation, les violences symboliques et réelles ne cessent de se multiplier dangereusement. Le CRI se veut un outil durable et accessible à toutes les victimes de racisme et toutes les personnes éprises de justice, afin de combattre juridiquement, socialement, culturellement et surtout politiquement ce qui relève aujourd’hui d’un phénomène systémique. »

Le chemin est encore long quand on relève – parmi tant d’autres propos du même acabit – la sortie islamophobe sans complexe de Serge Federbusch, membre UMP à l’égard des femmes françaises de confession musulmane et portant le voile qu’il a qualifiées « d’ennemies de la République » – propos qu’il a confirmé à plusieurs reprises. La séquence s’est passé il y a peu, sur le plateau de « 90 minutes Info » sur Cnews. Vérification faite : nous sommes bien en 2021.

Un saut dans le temps que n’hésite pas à faire Georges Gumpel. 86 ans, membre de l’UJFP, ancien Partie Civile au procès Klaus Barbi en 1987 et se définissant comme juif, anti sioniste et pour la paix des peuples. Mais sans angélisme pour autant, loin de là. Il évoque, au vu de l’atmosphère politique ambiante, des airs de Seconde Guerre mondiale, avec une classe politique usant des mêmes types de termes pour désigner l’« autre ». « Nous, nous étions marqués d’une étoile sinon nous passions inaperçus parce que blancs. Mais vous [les non blanche.s] ça se voit directement, c’est plus ‘facile’ si je puis dire hélas. » Et d’ajouter que l’Islamophobie française prend ses racines dans la Guerre d’Algérie et toutes les questions jamais réglées du colonialisme. « Et le soutien inconsidéré de la droite comme la gauche à Israël n’aide pas non plus », ajoute-t-il, constatant le peu d’écho actuel, y compris dans les rangs des diverses gauches qui sont pourtant censées lutter contre les injustices sociales.

La marche démarre, quelques policiers à moto au loin. Rien d’oppressant. Pour cette fois. Des slogans résonnent : « Fascisme, racisme, Islamophobie, ÇA SUFFIT ! » Les drapeaux du CRI42 et ceux rouges et noirs du Comité Antifa se mêlent au vent, dans les clameurs de la foule. Devant, vers la banderole du cortège de tête résonne plus aiguë au milieu des autres la voix d’une fillette d’une dizaine d’années. La relève est là, le combat continue.

Une transmission qui tient à cœur la porte-parole du Collectif Stéphanois contre l’Islamophobie et pour l’Égalité qui confie au Couac : « Avant de mobiliser les musulmans et les musulmanes, il faut déjà qu’ils prennent conscience de ce qu’ils et elles vivent. Que ce sont des discriminations et que c’est pas mérité de fait. » Il s’agit aussi de lutter contre cet ennemi de l’intérieur, aux répercussions psychiques et sociales délétères : la discrimination intériorisée. Accepter comme une fatalité une domination à dimensions multiples et contre laquelle il peut être juste épuisant de se heurter sans cesse.

De là découle la définition du terme « hagra » souvent utilisées dans les luttes : la misère, l’injustice répétée. « C’est un terme qui englobe pas mal de choses, mais qui se résume à quand une personne (ou groupe social) est en position de pouvoir et le fait sentir par de la discrimination, de l’humiliation à un groupe minoritaire et minorisé. Ca crée un rapport de force inégalitaire, c’est la parole des uns contre les autres, on le voit bien dans les quartiers populaires avec les violences policières. C’est de la ‘hagra’ » précise-t-elle. Ou quand un mot résume tout un système.

La foule se disperse. Des stickers « Racisme, islamophobie, ça suffit ! » collés de ci de là gardent une trace de l’évènement. Résonnent encore dans les rues pré couvre-feu qui se vident les mots de la représentante du Collectif Stéphanois contre l’Islamophobie et pour l’Égalité : « En cette journée internationale pour l’élimination des discriminations raciales, nous souhaitons le rappeler : le racisme tue ! l’islamophobie tue ! Et chaque jour il opprime, humilie et discrimine ! ».

L’avenir dira si les évènements futurs, tant législatifs que médiatiques mais aussi l’évolution des mentalités iront à l’encontre ou dans le sens de ses propos. En tout cas tant que des résistances s’organiseront et se transmettront, il sera toujours plus difficile de détourner l’attention des violences raciales, les crises sanitaires, économiques et sociales en montrant du doigt des boucs émissaires imaginaires.

P.-S.

Cet article est issu du numéro 12, paru début mai 2021.

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