Citons un exemple très parlant : l’Académie française, cette institution, fondée en 1635, est composée de 40 membres élu’e’s par leurs collègues. Elle accordera pour la première fois une place à une femme en 1980 seulement. En 2015, elle inclut 5 femmes, soit 6 femmes en 375 ans d’histoire !
Nous souhaitons ici sensibiliser les rédactrices et rédacteurs du Numéro Zéro à ces questions, et proposer des réflexions et outils : pourquoi et comment « féminiser » ou « neutraliser » nos écrits ? Nous n’insisterons pas sur les raisons [1] de neutraliser une langue partagée par plus de 900 millions de femmes et d’hommes [2]. Nous tenterons plutôt de répondre aux critiques qui sont opposées à l’utilisation d’une langue épicène [3].
Argument typographique : c’est dur à lire
En introduction, on pourrait rappeler que la langue française comprend des mots comme beaucoup que la plupart des humains non francophones préféreraient écrire bocu ou boku. La langue française est suffisamment alambiquée pour que cet argument ne pèse pas bien lourd. Et si vous trouvez cela si affreux de lire du français neutre, vous avez dû arrêter de lire cet article depuis bien longtemps puisqu’aucun mot masculin n’a été utilisé comme norme pour un ensemble mixte.
Comme pour toute innovation révolutionnaire, cela prendra du temps de neutraliser la langue française. Mais les difficultés du début s’estomperont rapidement et deviendront des habitudes dont on ne pourra plus se passer. Il suffit d’un peu de bonne volonté.
Argument pseudo-historique : c’est de l’avant garde
Qui pense que le masculin dans la langue française a toujours été le genre neutre se trompe. On rappellera à ce propos que c’est Richelieu qui a introduit ces règles grammaticales et qu’à l’époque ça a soulevé une vive polémique au sein de l’intelligentsia féminine [4]. Le français est une langue latine qui comprend un genre neutre, et le féminin a été utilisé pendant très longtemps pour designer des généralités. La meilleure illustration reste ce dialogue entre Madame de Sévigné et Gilles Ménage :
Madame de Sévigné s’informant sur ma santé, je lui dis :
Madame, je suis enrhumé.
Je la suis aussi, me dit-elle.
Il me semble, Madame, que selon les règles de notre langue, il faudrait dire : je le suis.
Vous direz comme il vous plaira, ajouta-t-elle, mais pour moi, je croirais avoir de la barbe au menton si je disais autrement.
Argument grammatical : c’est pas Français
Eh bien non, ce n’est pas français. De ce français qui édicte des règles sexistes et manipule la novlangue. L’évolution vers une langue inclusive passe par faire du français une langue en lutte. Une langue mouvante qui parle de nos combats. Citons ici la super brochure de Maïa [5]. Elle nous dit :
J’en suis arrivée au point où la violence symbolique de ma langue maternelle, et néanmoins patriarcale, me saute aux yeux [...]. Alors je fais le choix d’arrêter de perpétuer cette dynamique sexiste (car je suis persuadée que la symbolique du langage influe sur la symbolique de la pensée) et de développer un outil égalitaire : un langage alternatif, une adaptation de ma langue avec mon combat féministe.
Et en pratique, comment on fait ?
Dans tous les cas, on évite de désigner les femmes par leur statut sexuel parce que c’est vraiment une sale habitude. On n’utilise pas Mademoiselle, on arrête de parler des filles en désignant des femmes non mariées [6]. Et on ne dit pas les Hommes pour désigner les Humains.
On essaie de remplacer les expressions sexistes ou homophobes par d’autres, par exemple :
Pétain ! à la place de Putain !,
fils de pub ! à la place de fils de pute !.
Ensuite, globalement ce que l’on essaie de faire, c’est une langue la plus neutre possible. On privilégiera les mots épicènes quand ils existent :
le lectorat plutôt que les lecteurs et les lectrices
les personnes qui m’aiment prendront le train plutôt que ceux qui m’aiment prendront le train
On fera attention tout de même à gens qui pourrait paraître neutre mais qui a une histoire tellement dégueulasse qu’il est à utiliser avec précaution. En tout cas, il n’y a pas de mot gen’s’tes ou on ne sait quoi [7].
Pour les pronoms, il est très facile de se mettre à utiliser des pronoms neutralisés tels que :
- elleux au lieu de eux et elle,
- Celleux au lieu de celles et ceux,
- ielle au lieu de elle et lui,
L’intérêt de ces néologismes, c’est qu’ils s’entendent à l’oral.
Ensuite, il y a tous les noms communs qui désignent des personnes. Bon, bah là , on fait au mieux.
Quand il est compliqué de faire autrement, on peut doubler le mot :
les veuves et les veufs
toutes et tous
Quand l’ajout d’un « e » suffit, on peut mettre :
- un tiret : libéré-e-s : facile,
- un point : libéré.e.s : facile aussi mais ce signe a déjà beaucoup de sens dans les phrases,
- une majuscule : libéréEs : on peut trouver ça moche et ça met le féminin sur un piédestal,
- un point médian : libéré·e·s : demande à manipuler des caractères spéciaux.
On peut préférer l’apostrophe. Il n’a pas vraiment de sens dans la langue française si ce n’est d’effacer les genres devant des mots qui commencent par une consonne.
Comme dans je l’invite à la place de je le invite ou je la invite
Et puis parfois, l’apostrophe est mystérieuse comme dans aujourd’hui [8].
En tout cas, on évite de mettre des parenthèses qui reviendrait à mettre le genre féminin à l’écart : les inférieur(e)s.
On dirait alors :
Les manifestant’es dévalèrent le boulevard en chantant, ielles marchaient furieusement sur le Palais, ou croupissaient les Vieux et quelques Vieilles croulant’es qui se rêvaient nos chef’fes.
On pourrait aussi, petit à petit, introduire quelques mots valises qui engloberaient des foules comme
les chomeureuses,
les amateurices, par exemple.
On pourrait même aller jusqu’à des académicien·ne s, à prononcer par exemple « académicienniens ».
Si on a une énumération à faire, on peut utiliser tantôt le masculin tantôt le féminin pour représenter indifféremment les genres.
Mais surtout, notre propos ici n’est pas d’affirmer quelques règles grammaticales qui s’opposeraient légèrement à celles de l’Académie. Nous pensons que toutes les suggestions sont à compiler, enrichir, mélanger. On remarquera que les rares documentations administratives concernant la féminisation des textes se focalisent sur les modalités pour les titres et fonctions [9]. Elles proposent des choses aussi absurdes que de dire la femme-magistrat au lieu de la magistrate.
Ne tombons pas dans le panneau de systématiser des règles qui enfermeraient de nouveau notre langue dans des rapports de domination. Si on précise à chaque phrase qu’il y a des hommes et des femmes, quelle place laissons-nous à des personnes qui ne se reconnaissent ni dans l’un ou l’autre des genres ?.
Soyons créatives et inclusifs !
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