Actualité et mémoire des luttes à Saint-Étienne et ailleurs
ACTUALITÉS RÉPRESSION - PRISON
SAINT-ÉTIENNE / ITALIE  
Publié le 31 août 2020 | Maj le 21 juillet 2021

Carla extradée, une première lettre


Mardi 25 août 2020, Carla, arrêtée près de Saint-Étienne le 26 juillet dernier, a finalement été extradée en Italie. Elle est désormais incarcérée à la prison de Vigevano, près de Milan, en module AS3 (alta sicurezza 3).

Cette section d’isolement haute sécurité est initialement réservée aux détenu-es qui sont accusé-es d’appartenir à la mafia. Depuis la fermeture de l’aquila, les sections AS2, réservées aux détenu-es considéré-es comme politiques par l’État, n’existent quasiment pas pour les femmes, hormis Rebbibia (Rome) où sont Flavia et Anna. Cette dernière n’y est que pour quelques semaines car le choix de l’État Italien est de dispatcher les compagnonnes, c’est pourquoi la plupart, dont Carla, se retrouvent en AS3.
Carla a écrit une lettre depuis la prison de Fresnes que nous reproduisons ci-dessous.

Continuons à lui écrire et à lui exprimer notre solidarité !

Pour lui écrire :

casa circondariale di Vigevano Centralino
via Gravellona 240
27029 Vigevano (PV)

Fresnes, le 19.08.2020

Salut !

Après 536 jours de cavale, j’ai été arrêtée le 26 juillet dernier près de Saint-Étienne. J’ai vécu l’arrestation comme la première représentation d’une scène répétée mille fois dans ma tête, ou plutôt 536 fois... Tout m’a semblé se passer au ralenti : les keufs cagoulés qui me braquent avec leurs fusils, me mettent à terre et me demandent ce nom que j’ai si souvent tu ces derniers temps. Ça m’a fait un drôle d’effet de le prononcer.
J’ai ensuite été amenée à Paris par la SDAT, quatre heures de trajet menottée dans le dos en compagnie de leurs cagoules. Ils m’ont bandé les yeux sur les derniers kilomètres qui nous séparaient de leurs locaux de Levallois-Perret. Ce sont eux qui m’ont conduite au tribunal le surlendemain de l’arrestation, puis à la prison de Fresnes.
Lors de l’audience, j’ai accepté sans hésiter l’extradition. J’avais suivi avec attention les évènements autour de l’arrestation de Vincenzo Vecchi (que je salue au passage), il avait pour sa part refusé, s’offrant une chance de rester libre en France. Pour moi le choix se résume à attendre le procès en France ou en Italie, où se trouvent les autres inculpé-es de l’opération Scintilla, tou-tes libres à l’exception de Silvia, encore soumise à un contrôle judiciaire.
Il semble que ces derniers temps, l’exécution par mandat d’arrêt européen et l’extradition qui en découle soient devenues de simples formalités pour la justice européenne. Nous l’avons vu récemment en Italie à plusieurs reprises, mais aussi à l’occasion de la répression qui a suivi les émeutes de Hambourg ou bien en Grèce et en Espagne. Les polices européennes affinent leurs armes et leurs collaborations semblent se faire plus étroites, s’échangeant tuyaux et services. Dès lors, il me semble qu’il nous appartient de nous pencher sur la question et d’en étudier les mécanismes.

Je découvre la prison au temps du coronavirus, la quatorzaine réglementaire au quartier des arrivantes, le masque lors de tous les déplacements, y compris la promenade pour cette durée, la suspension de toutes les activités. La cellule 22 heures sur 24.
Au terme de ma quatorzaine, et à la veille de la date programmée de mon extradition, les autres arrivantes et moi avons été placées à l’isolement sanitaire au motif que nous avions partagé une promenade avec une nouvelle arrivante qui s’est révélée infectée. Des tests ne nous ont été proposés qu’une fois ce cas avéré, ils sont depuis la règle pour toute nouvelle arrivante. À nous on avait initialement dit qu’on ne pouvait tout de même pas tester tout le monde. Sans surprise, il semble que l’administration pénitentiaire (AP) ait un train de retard.
Au printemps, les mesures prises par l’AP en réaction à l’arrivée du coronavirus ont conduit à des situations de mutineries, de révoltes et de solidarité. Malheureusement, ici en tous cas, il semble que vivre avec le virus est devenu la norme, et la crainte qu’une nouvelle arrivante puisse amener le virus se double de celle de se voir suspendre les parloirs, comme cela a été notre cas cette semaine. Les maigres compensations qu’avaient octroyées l’AP sous forme de crédit téléphonique au printemps ne sont plus d’actualité, tant un groupe d’arrivantes isolées ne fait pas le poids au regard des fortes mobilisations de mars dernier.

J’attends de nouveau l’extradition d’un jour à l’autre, et je sais qu’un troisième isolement sanitaire me sera probablement réservé à mon arrivée en Italie. Je profite des témoignages de solidarité qui me rejoignent aujourd’hui après tant de silence. Malgré les publications sur le thème, qui sont précieuses, on considère encore trop souvent la cavale comme une aventure romantique et on pense souvent aux compagnon-nes concerné-es comme libres. Au cours de cette année et demie, je n’ai jamais manqué de solidarité et d’un soutien chaleureux, je n’ai manqué de rien, mais on n’est pas libre quand on est privé-e de sa vie.
J’aurais voulu être dans la rue avec mes compagnon-nes lors des manifestations en réaction à l’expulsion de l’Asilo, j’ai accompagné par la pensée la grève de la faim de Silvia, Anna et Natascia, j’ai pensé tous les jours aux compagnon-nes arrêté-es par vagues successives. J’aurais voulu être aux côtés de ma famille quand elle a traversé des moments difficiles et avoir de leurs nouvelles quand tou-tes nous étions confiné-es. Aujourd’hui je me tiens prête et déterminée à affronter les prochains mois, mais mes pensées vont à celles et ceux qui sont encore sur les routes, souvent loin des personnes qui leur sont chères. J’espère que leur route sera aussi longue qu’ils et elles le souhaitent, et que les rencontres qu’ils et elles font leurs apportent la chaleur qu’illes méritent et l’énergie pour continuer à lutter.

Carla

Pour en savoir plus :

Article issu de https://nantes.indymedia.org/articles/50904


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