On a longtemps présumé, notamment à gauche, que le vote pour le FN/RN ne constituait qu’un vote par dépit, faute de mieux. Dès lors que l’électorat de l’extrême droite s’est solidifié, jusqu’à devenir le plus stable dans l’ensemble du champ politique, il paraît difficile de maintenir cette hypothèse d’un vote par défaut. Si ces électeurs·rices n’adhèrent sans doute pas à un programme, souvent méconnu, ils se reconnaissent dans un certain imaginaire qui imprègne ce programme mais surtout les discours et les postures des porte-parole du FN/RN. D’après le philosophe Michel Feher, que l’on reçoit dans ce nouvel épisode de Minuit dans le siècle pour son dernier ouvrage (Producteurs et parasites : l’imaginiare si désirable du Rassemblement national, éd. La Découverte), cet imaginaire doit être désigné par le concept de « producérisme » : une vision morale du monde (et de ses divisions) dans laquelle s’opposent non pas des exploiteurs et des exploités, non pas des possédants et des dépossédés, mais des producteurs méritants et des parasites nuisibles. En précisant d’emblée qu’il s’agit dans le cas des extrêmes droites d’un producérisme racialisé, puisque les parasites sont considérés comme tels car on leur attribue une essence malfaisante liée à leur statut irréductible d’étranger (à la nation française, à la civilisation européenne, à la culture occidentale, etc.). Ainsi l’extrême droite parvient-elle, selon l’auteur, à se rendre désirable en promettant d’améliorer la vie des producteurs (blancs) sans rien changer de fondamental dans l’organisation sociale et économique, par la simple soustraction des parasites d’en haut (financiers, technocrates, intellectuels, etc.) et des parasites d’en bas (immigrés, minorités, musulmans, etc.).
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