Ces vacances d’automne avaient déjà sacrément mal débuté. Un professeur se faisait assassiner par un cinglé pensant agir au nom d’une religion dont, manifestement, il ignorait les fondements. Ce qui s’en est suivi n’était pas chouette non plus. Au milieu du torrent autoritaire et islamophobe qui jaillissait des médias et de la bouche des ministres, les enseignant.es recevaient l’injonction de tenir une séance sur les valeurs de la République et la liberté d’expression : « Aucune classe ni aucun établissement ne peut s’exonérer de cette heure de travail et d’échange dont chaque élève de France doit bénéficier. » écrit Blanquer à tou.tes les enseignant.es. Première remarque, ces notions font partie intégrante des programmes scolaires. Alors quoi ? On papote de ça pendant une heure et après c’est plié, on évalue l’acquisition des compétences ? Rassurez-vous monsieur le ministre, les enseignant.e.s feront plus que ça. Comme l’a pertinemment développé Pierrick Descottes, enseignant et membre de l’ICEM [1] dans une tribune [2], ces valeurs-là ne s’enseignent pas mais se vivent. Et l’auteur du texte de citer Célestin Freinet, pédagogue révolutionnaire du début du XXe siècle : « On prépare la démocratie de demain par la démocratie à l’école. Un régime autoritaire à l’école ne saurait être formateur de citoyens démocrates. »
Quelles sont précisément ces fameuses « valeurs de la République » dont on nous parle comme de quelque chose de limpide et partagé par toutes et tous ?
Une chose reste encore à définir : quelles sont précisément ces fameuses « valeurs de la République » dont on nous parle comme de quelque chose de limpide et partagé par toutes et tous ? Pour Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur « les valeurs de la laïcité, de la République ne se discutent pas ». Ah. On impose donc à tous les enfants, peu importe leur âge, une minute de silence, geste qui n’a de valeur que si on y adhère, sans laisser la moindre possibilité de dialogue puisque ces « valeurs » ne se discutent pas ? Cela n’est-il pas contraire à une forme de liberté de pensée ? Tout comme les sanctions qu’ont reçues des professeurs pour avoir protesté contre une réforme de Blanquer ne vont-elles pas à l’encontre de la liberté d’expression ? Afin de prendre de la hauteur sur ces questions, sociologue, propose une réflexion [3] rappelant, qu’au lieu d’en faire une valeur absolue, il est nécessaire que la liberté d’expression s’exerce dans un temps et un espace déterminés, dans un contexte.
Ça, c’était pendant les vacances. Nous voilà maintenant à la rentrée. Le jeudi 29 octobre, les directeurs et directrices reçoivent le nouveau protocole sanitaire à mettre en place à la rentrée, le protocole du plan vigipirate renforcé et l’information d’une rentrée des élèves décalée à 10h30 afin de permettre aux enseignant.es de tenir une discussion autour de l’hommage à Samuel Paty. Bref, il y a du pain sur la planche avant l’arrivée des enfants. Il faut donc communiquer tout cela aux équipes pédagogiques, contacter les mairies pour les protocoles, adapter l’école aux nouvelles mesures (parfois contradictoires), contacter toutes les familles et organiser l’accueil de lundi. Tout cela pour que le samedi, on apprenne, via les médias dans un premier temps, qu’il n’en sera rien, les enfants iront à l’école à 8h30 lundi matin. Un ministre a donc, par son improvisation, fait travailler, sur le temps de vacances, les 50 500 directeurs et directrices (sans parler des collègues qui ont aidé), pour rien. Le coût est énorme. Un.e chef.fe ferait ça dans le privé, il ou elle ne resterait pas longtemps en poste.
Cette passion pour l’imprécision qui amène notre ministre à publier un protocole à mettre en œuvre « dans la mesure du possible »
Sur le sanitaire maintenant, il faut bien avouer, on y comprend plus rien. Il y a quelques mois encore, les masques étaient inutiles et dangereux pour les enfants. Aujourd’hui, ils doivent le porter tout les jours pendant les 6 heures d’école. Ils ne peuvent pas l’enlever en récréation mais ne le portent pas en EPS. Dans les classes, les bureaux sont écartés d’un mètre, les mélanges entre les classes sont interdits, le travail en atelier supprimé mais les enfants continuent d’aller à la piscine boire la tasse dans le même bassin. Difficile de s’y retrouver, surtout quand Blanquer assure que « les élèves ne se contaminent pas dans un cadre scolaire ». Affirmation bien entendu aucunement validée par une quelconque étude scientifique. C’est certainement cette passion pour l’imprécision qui amène notre ministre à publier un protocole à mettre en œuvre « dans la mesure du possible », garantissant ainsi un niveau très important d’inégalité entre les établissements. En plus de tout cela, le plan vigipirate entre parfois en contradiction avec le protocole sanitaire (port du maque vs identification, fenêtre et porte ouvertes vs fermeture des huis des écoles, entrées et circulations échelonnées vs limitation des voies d’entrée et de sortie), sans que l’administration n’apporte d’aide, laissant les équipes prendre des décisions aux conséquences potentiellement graves. Cela amène inévitablement des tensions. Le manque de repères objectifs dans cet océan d’ordres et de contre-ordres désoriente et amène à porter un regard, parfois jugeant, sur les décisions et pratiques des uns et des autres. Ici, les plus royalistes que le roi iront jusqu’à vouloir refuser les enfants non-masqués, allant jusqu’à bafouer les droits de l’enfant ; là on fouillera les sacs des parents avant d’entrer dans l’école, posant de véritables questions en terme de prérogative sécuritaire et de respect de la vie privée.
En quand des lycéens, que ce soit à Paris ou à Honoré d’Urfé à Saint-Étienne, s’organisent pour demander des moyens pour le respect du protocole sanitaire, l’État n’hésite pas une seconde et envoie les forces de l’ordre, usant une fois de plus de sa célèbre liberté de répression.
On peut se rassurer cependant, rien ou presque n’a changé dans les écoles à la rentrée, ou plutôt tout change sans cesse, ce qui revient au même. Il y a quand même ces militaires en armes qui patrouillent devant les écoles privées, dans la crainte d’un attentat « antichrétien », des écoles claquemurées et difficilement accessibles, des entrées et sorties durant lesquelles les parents sont invités à se tenir à une distance respectable – « dans la mesure du possible » - de la porte de l’école... En maternelle, les plus jeunes, qui étaient accompagné.e.s de leurs parents jusqu’en classe, doivent entrer seul.e.s, ce qui chez les plus fragiles a provoqué des crises et des retours partiels à la maison.
Il ne serait pas étonnant que le port du masque devienne à terme LE geste républicain en vogue.
Il y a aussi, pour les enseignant.es, cette nouvelle tâche, assez inattendue, qui consiste à faire respecter le port du masque à des enfants dès six ans, six heures durant, y compris en récréation...Libre à chacun.e, cependant, selon sa sensibilité et son humeur du moment, de sanctionner comme bon lui semble les entorses à cette nouvelle obligation, et il ne serait pas étonnant que le port du masque devienne à terme LE geste républicain en vogue, une manière de distinguer les bon.ne.s Français.es des autres. Problème : on ne comprend plus rien à ce qui se dit en classe, en classes de CP et de CE1 surtout, lorsque les enfants apprennent à s’exprimer en public, à prononcer, à comprendre aussi le langage oral... Essayez un jour de mener une discussion masquée en chuchotant, vous vous ferez une idée. La fatigue, nerveuse et physique, s’accumule, tant pour les élèves que pour les enseignant.e.s.
On pourrait se dire que c’est provisoire […] mais ce serait oublier que le COVID 19 a aussi permis au ministre de mettre en œuvre un programme qui lui, est bien politique.
Plus généralement, depuis les moments entre profs pour parler et s’organiser, voire rigoler, jusqu’aux sports collectifs qui impliquent de se toucher, en passant par les récréations échelonnées, les sorties « distanciées » ou la classe numérique, il semble que l’école soit progressivement expurgée de tout ce qui implique du plaisir, de la joie, ou tout simplement des échanges et moments ensemble, que la distance et la discipline imposée devient la règle... On pourrait se dire que c’est provisoire, qu’une fois la pandémie terminée, on reviendra à la normale, mais ce serait oublier que le COVID 19 a aussi permis au ministre de mettre en œuvre un programme qui, lui, est bien politique.
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