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SAINT-ÉTIENNE  
Publié le 23 juillet 2022 | Maj le 13 septembre 2022

Rhizomes : une coopérative d’habitation aux ramifications plurielles


Rhizomes, c’est au départ une friche fertile d’idées, d’envies, de besoins liés à des vécus individuels autour de l’habitat. Des expériences passées de galères ou de réussites qui, mises bout à bout, ont convergé vers un questionnement collectif : comment articuler la mise en pratique du droit au logement et adapté avec la constitution d’un lien humain et social ? Le temps de la germination ces dernières années a été parsemé de tâtonnements, d’échanges, de recherches et retours concrets ainsi que du bourgeonnement de futurs habitant.e.s aux racines variées. Un entretien sur les champs des possibles.

Couac : Est-ce que tu peux expliquer ce que c’est Rhizomes pour toi ?

Rhizomes : Avant tout, sans parler de formes juridiques ou de nombre de personnes, c’est l’idée de ne plus vivre seul.es. Je me sens assez isolée par le rythme que j’ai – la famille, le travail – donc c’est ramener plus de collectif dans le quotidien. La démarche vise à recréer des dynamiques collectives, du commun, tout en gardant le mode d’habitat classique de la location. Ça reste une forme où chacun.e a son chez-soi, on peut jongler entre les deux, c’est pas une grosse coloc.

Il y a aussi plein de choses qui viennent s’y greffer, des choses politiques qui donnent du sens : détacher un lieu collectif de la spéculation, de la valeur marchande. Ayant habité en squat, ça me tient hyper à cœur. Se loger c’est un droit. Je me retrouve pas dans l’alternative locataire ou propriétaire. Ce qui me plaît dans ce projet, c’est de créer d’autres imaginaires et de pas juste subir ce qui nous est imposé. Ça laisse également de la place pour des énergies autour des manières d’habiter la ville qui donnent plus de sens, qui permettent des partages au quotidien.

Refaire du lien, du commun, c’est aussi possible en habitant pas en grand collectif, en ayant son propre appart, dont tu peux fermer la porte quand tu as besoin de moments de retrait.

L’idée, c’est aussi de « reprendre du pouvoir sur mon habitat, mon quotidien ». Ça a pu me saouler dans des logements où, parce que je suis locataire, que ce soit en hlm ou en privé, j’ai jamais mon mot à dire sur comment on habite dans ce logement. Si je veux avoir un endroit où garer mon vélo ou si j’ai envie de questionner la gestion des tâches pour diminuer les charges, j’ai pas d’espace pour ça. Je veux que ce soit les personnes qui vivent dans le lieu qui décident de comment on y vit.

Et puis, à Sainté, il y a actuellement une dynamique forte de gentrification. La coopération d’habitation permet de bloquer la spéculation et de garantir des loyers bas parce que plafonnés sous condition de ressources. Plafonner les loyers constitue une protection, cela permet d’avoir des logements avec des loyers modérés et accessibles à des personnes qui ont des faibles revenus. Et on évite ainsi que les loyers augmentent et que certains quartiers ne soient plus accessibles à tout le monde. Dans le groupe, on a réussi à constituer un noyau de valeurs non négociables, dont la mixité sociale. C’est pas un mot creux, cela implique de chercher des formes qui la rendent possible. Flécher les logements selon les revenus en est une.

La mixité se joue aussi au niveau de l’âge. La question de l’accessibilité physique, elle, est présente en filigrane dans le projet – on fait en sorte de rendre l’habitat accessible même avec une dépendance, que ce soit une personne vieillissante ou une personne en situation de handicap. C’est aussi dans cet état d’esprit qu’on travaille avec des assos qui sont en lien avec des personnes qui rencontrent des problèmes pour se loger. On est au début du processus mais on entame de beaux partenariats.

Refaire du lien, du commun, c’est aussi possible en habitant pas en grand collectif, en ayant son propre appart, dont tu peux fermer la porte quand tu as besoin de moments de retrait.

On a pu aussi partager et mettre en commun des ancrages qui sont importants pour nous, comme le féminisme, l’autogestion, des pratiques écologiques aussi. Bien sûr, des critiques du capitalisme, du système raciste et néocolonial. Ce sont des choses tissées avec le projet. On a envie de rendre concrète une sorte d’utopie, d’horizon qu’on est un certain nombre à partager dans un coin de notre cœur ou de notre tête.

Où en est le développement du projet ?

On a pas mal de besoins : déjà d’un terrain ou d’un bâtiment. On a déjà refusé des terrains qu’on ne pouvait pas accepter pour ne pas participer à la gentrification. Ça serait totalement incohérent de mettre des gens dehors pour qu’on puisse faire notre beau projet à la place ! On a aussi besoin de gens pour rejoindre le projet, pour l’instant on est 8 foyers, on voudrait plutôt être 12. Donc contactez-nous si ça vous branche ! Et puis s’il y a des gens qui ont des sous, un héritage qui les embarrasse et qui veulent investir, c’est possible d’acheter des parts sociales de soutien, sans avoir le projet d’habiter. C’est super important pour nous, au lieu de les faire dormir à la banque, acheter des parts !

Ça peut paraître bizarre qu’après 4 ans sur le projet, il nous manque encore tout ça. C’est sûr que c’est long, mais ce qui est super précieux, c’est qu’on a passé du temps à discuter et qu’on a créé un rapport de confiance dans le groupe. L’idée c’est de concrétiser tout ça dans les mois qui viennent, on est dans un moment dense et charnière. Si on n’y arrive pas, ça sera pas pour des raisons relationnelles, entre nous…

Après on aura plus besoin et on pourra même squizzer les banques !

Souvent, les coopératives d’habitant.es finissent de rembourser tous les frais, les prêts après 40-50 ans – en France, on en est au début du mouvement, peu de projets en sont là. Mais il y a les exemples de l’Allemagne où existe un immense réseau, des Pays- Bas où, je crois, que 30 % des logements qui sont sous forme de coopérative d’habitant. es ! Cela permet un effet boule de neige : les coopératives qui sont arrivées au bout de leur remboursement servent de garantes aux nouvelles, ce qui permet d’acheter de nouveaux immeubles où les habitant.es pourront pratiquer l’autogestion, y vivre à leur manière. Actuellement on est contraint.e de se tourner vers les collectivités territoriales de devoir faire nos preuves comme partenaires fiables. Après on aura plus besoin et on pourra même squizzer les banques.

Qu’est-ce qui peut donner envie de s’engager dans le projet ?

Dans le groupe, on est tou.tes avec des rythmes de vie intenses et des activités à côté, des vies personnelles fournies. Personne ne se consacre à ça à plein temps. Mais on construit un lieu de vie, donc c’est impliquant. On prévoit notamment une salle polyvalente accessible aux assos du coin, aux personnes du quartier, pour se réunir, faire des petits évènements. Il s’agit de tisser un maillage à l’échelle locale, donc on ne peut pas faire l’économie de la penser, de se mettre d’accord, de communiquer.

Vu que c’est un projet long, on essaie de déjà construire ce qu’on veut vivre. On se le redit régulièrement : ça ne peut pas être un chemin pénible vers un projet génial. Donc c’est valable pour la manière dont on se parle, dont on prend des décisions. On passe des bons moments ensemble – jouer, manger, se promener –, on part ensemble 2-3 week-ends par an, on se fi le des coups de mains concrets, pour garder les enfants, quand on est malade, qu’on déménage, se prêter une bagnole… Le groupe a pas vocation à ce que tout le monde soit ami.es, mais cette solidarité fait du bien.

Est-ce que tu peux décrire à quoi ressemblerait le futur lieu ?

Ce sera un immeuble, parce qu’en ville. Mais ce sera bien isolé, on entendra pas quand le voisin se lève ! Et si on construit un bâtiment neuf, il sera sur un terrain déjà construit parce qu’on ne veut pas participer à l’étalement urbain. On aimerait bien qu’il y ait des espaces communs : une salle polyvalente pour faire des repas partagés ou des réunions, qui serve aux habitantes et aux personnes extérieures, partenaires, camarades, voisines. Une buanderie, un coin avec des outils, pour pas avoir chacun.e chez soi une machine à laver ou un scie sauteuse dont on se sert une fois dans l’année. On veut des logements sobres, assez petits, avec plusieurs chambres d’amies qu’on se partage avec un planning. Une cour partagée, pour se rencontrer, pour que les enfants puissent se défouler, pour prendre le soleil…

Pour contacter le collectif : rhizomeshabitat chez riseup.net.

P.-S.

Un entretien paru dans le Couac n°13.

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