Street art à Chappe
Depuis janvier 2016, l’école maternelle de Chappe s’est vue transformée en petit musée dont ses élèves, âgés de 2 à 5 ans, sont les principaux acteurs. Dans ce contexte d’éducation prioritaire où la part de la médiation culturelle en milieu scolaire est importante, il est bon de voir la synergie des artistes et des enseignants donner à ces enfants de la matière artistique pour réfléchir, s’ouvrir, partager et finalement grandir. Bien loin des critiques fallacieuses niant l’importance de la mission pédagogique de l’École maternelle (et de l’humour souvent misogyne qui en découle) ce « musée-école » est la vitrine évolutive d’un projet artistique ambitieux mis en place par l’équipe pédagogique autour du street art.
Il n’y a pas de hasard. Le street art est là, dans la rue, au pied des immeubles, dans les jardins publics, sur les publicités et même dans les cours de récréation. Loin de l’élitisme, il présente par son occupation de l’espace public l’intérêt d’être accessible à tous, au moins spatialement ; condition indispensable pour en comprendre ensuite les principes de conception et les interprétations. Une des clefs de voûte de ce projet réside dans la participation directe des artistes au plus proche des élèves.
Nous n’avons pas beaucoup d’argent, vous n’avez pas beaucoup de temps,
blague Jérémy Rousset, directeur de l’école, en s’adressant à ceux-ci (les artistes se voient proposer « symboliquement » un défraiement lors de leur participation au projet). Heureusement, la bonne volonté de l’équipe pédagogique et des artistes, loin des préoccupations mercantiles, permet aux élèves de travailler avec des femmes et des hommes, peintres, affichistes, pochoiristes ou photographes, aux renommées aussi bien locales qu’internationales. Ici, « travailler avec » signifie rencontrer, observer, lier, questionner, essayer. L’imitation, le faire « à la manière de » sont occasionnellement utilisés pour permettre aux enfants l’imprégnation d’une technique ou de l’univers d’un artiste, mais in fine, c’est la construction d’une démarche personnelle qui est visée.
L’enjeu est de nourrir la créativité des enfants grâce aux œuvres qu’ils rencontrent dans leur quotidien. La diversité des artistes, de leur conception, de leur démarche et des outils utilisés permet d’aborder un univers artistique infiniment riche mais également de donner aux élèves du sens quant à de nombreux autres apprentissages (langagiers, géométriques, littéraires, etc.). L’ensemble de l’équipe pédagogique s’est emparée du projet, en fonction des sensibilités de chacun.
Le projet se veut également catalyseur social. La preuve en est de l’adhésion des parents autour de cette effervescence artistique. Il a été décidé d’établir une carte numérique interactive recensant les œuvres que l’on croise dans les rues de Saint-Étienne. Il a fallu alors partir en randonnée urbaine, s’orienter et observer. Les accompagnateurs de ces sorties ont pu parfois déclarer : « on découvre des pans de notre ville que l’on ne connaissait pas ». Les enjeux qui ressortent de ce type d’expérience dépassent alors largement le cadre de l’école et ses élèves. Il s’agit là d’une réappropriation de l’espace urbain par ses habitants, d’un regard nouveau sur la ville et de nouveaux liens sociaux. La carte résultant de ce travail est proposée à d’autres écoles, aux parents curieux et aux centres sociaux. Elle est disponible sur le blog de l’école [1].
Que ce type de projet soit centré autour d’une forme artistique comme le street art pourrait surprendre. En effet, cela suppose un parcours de « rencontre » entre enfants et œuvres éloigné des sentiers battus institutionnels comme les musées et les galeries d’art. Cependant, fort d’un intérêt pédagogique certain et reconnu, le projet jouit de soutiens académiques et municipaux importants pour la pérennisation de la dynamique insufflée. Il nous reste à présent à suivre ces jeunes apprentis artistes à travers la ville. Descendre simplement dans nos rues les yeux ouverts et aller chercher le street art là où il se trouve.
Apprendre ? Oui, mais pas seul
Une idée, largement admise dans le rang des enseignants comme des parents, consiste à penser qu’un cours simple (classe qui regroupe les enfants de même âge) présente les meilleures conditions d’apprentissage. Affirmant que plus le milieu est hétérogène, plus les échanges sont riches, une partie de l’équipe pédagogique de l’école Gaspard Monge propose une autre vision de l’enseignement en créant des groupes d’enfants allant de 7 à 11 ans.
S’appuyant sur l’ouvrage de Sylvie Jouan, La classe multiâge d’hier à aujourd’hui [2], et sur les textes et pratiques issus de la pédagogie Freinet [3], l’enjeu ici est de placer la coopération, sous toutes ses formes, au centre des situations d’apprentissages. On peut alors distinguer deux « types » de situations coopératives dans le temps scolaire. Celle dans laquelle un ou des élèves aident un enfant qui en a besoin ou qui en fait la demande, et celle où un groupe d’enfants s’entraident dans le but d’atteindre le but commun qu’ils poursuivent. Ainsi, tous les jours, les élèves sont amenés à s’engager collectivement dans les projets qu’ils auront choisis ; à aider ou être aidé lors de temps de travail individualisé ; à s’organiser collectivement dans le bon déroulement d’une sortie ; à résoudre des problèmes ne relevant pas directement des « apprentissages scolaires » au sein d’un conseil de coopérative journalier ; à trouver une issue bienveillante aux conflits en les résolvant par le dialogue et la médiation. Se sentir en confiance au sein de cette organisation demande à certains élèves beaucoup de temps ainsi qu’un climat bienveillant. La sanction n’existe pas dans un cadre comme celui-là. La réparation est la principale réponse pédagogique face aux problèmes de discipline. Pour autant, on est loin du supposé laxisme que les nostalgiques du bonnet d’âne assimilent à ces « méthodes » actives. En effet, les enfants comprennent rapidement que la coopération ne fonctionne que si le travail fourni est suffisant, que les engagements sont tenus. La rigueur dans le travail est un pilier de la réussite de tous.
La teneur de l’initiative tient aussi dans le milieu urbain et populaire dans lequel il prend pied. En effet, les idées reçues nous poussent à imaginer la pédagogie Freinet dans le cadre bucolique et rural d’une petite école de village. Alors dans cette école de Zone d’Éducation Prioritaire à 9 classes, il a fallu prendre en compte de nouveaux aspects. La communication est le premier défi à relever. Face à l’inconnu, les réactions sont parfois virulentes. L’entraide, le climat serein, le rythme d’apprentissage différent pour chaque enfant, la coopération sont autant d’arguments efficaces pour canaliser les appréhensions et engager les parents dans le projet. Bien sûr, les ressources présentes à la maison sont moins importantes que dans d’autres milieux et l’attention qu’il faut porter à certains élèves est permanente pour ne pas en laisser en chemin. Mais la relation de confiance entre enseignants, élèves et parents doit pouvoir s’installer dans les mêmes conditions et, sans surprises, le milieu urbain est aussi riche que le rural en termes de supports d’apprentissage. Un chantier important va être celui d’ouvrir l’école aux parents. Grâce à la création d’un « café des parents », l’enjeu est d’associer plus les parents d’élèves. Cela pourrait permettre le rétablissement d’une structure associative dynamisant la vie de l’école et apportant quelques deniers aux ambitieux projets des élèves. Petit à petit, des projets de classe et des projets d’école commencent à émerger : par exemple la végétalisation de la cour de l’école et la création d’un jardin potager que géreraient les élèves.
À ceux qui reprochent à ces enseignants de ne pas transmettre le savoir, ne pas cadrer ni discipliner les enfants, de ne pas répondre à l’objectif de l’École qui serait de former des citoyens éclairés ? Ici, la citoyenneté ne s’enseigne pas, elle se vit.
L’hétérogénéité, un levier pédagogique de premier plan
Enseigner en classe multiâge. Confronter les élèves à leur diversité. Faire tomber les cloisons de l’âge dans l’école. Apprendre aux enfants à apprendre à soi et aux autres. Voilà le parti pris pédagogique de l’équipe enseignante de l’école maternelle publique de Chavanelle.
L’ambition d’un tel projet ne provient pas d’un simple coup de baguette magique. Il trouve sa genèse quelques années auparavant et est le fruit d’une réflexion collective importante : celle d’enseignants du quartier de Montreynaud ayant fait le tour de leurs pratiques pédagogiques et cherchant de nouvelles réponses aux difficultés qu’ils rencontrent. Pourquoi ne pas mélanger les élèves, mutualiser le matériel et la préparation de classe ? Après la lecture pointilleuse des textes de Sylvain Connac [4] (enseignant, directeur d’école et pédagogue militant de la pédagogie coopérative) et la visite de classes de même type déjà existantes, le projet prend pied. Ce genre d’organisation, au-delà des valeurs humanistes qu’il transporte, demande de revoir de nombreux éléments professionnels. L’implication est tout autre. « Lorsqu’on est tout seul, on a forcément raison. L’enjeu ici, c’est d’avoir raison mais à six » déclare Jean-Marc Hostachy, le directeur de l’école, pour illustrer à la fois la richesse et la complexité du collectif. Le maître-mot est la cohérence. Tous les choix, toutes les décisions doivent trouver un consensus. Cela demande de discuter, de réfléchir, d’argumenter et d’écouter. Il faut sans cesse gérer la balance entre ses convictions personnelles et le choix de l’équipe. On sort en quelque sorte de sa zone de confort professionnelle. Chacune des 4 classes de l’école se veut identique. Elles sont toutes composées d’enfants de 3 à 5 ans. Le visuel est commun (affichages, étiquettes...), les outils sont les mêmes, les programmations sont communes, le matériel passe de classe en classe et les préparations sont mutualisées.
Qu’en est-il alors des avantages au niveau le plus important, celui des enfants ? La première chose permise par le dispositif est la situation de tutorat. Il a été démontré par certains pédagogues que dans une relation de tutorat, le tuteur apprend plus que le tutoré. La tâche lui demande en effet d’organiser sa pensée, d’expliciter, de reformuler ; autant d’efforts intellectuels qui permettront l’assimilation et l’intériorisation des apprentissages. De plus, cette organisation crée un terreau privilégié pour la responsabilisation des plus grands. Le rôle de tuteur est une responsabilité en soi et la posture exigée par cette mission relève d’apprentissages importants. « Je fais à la place de » est un écueil, une phase qu’il faut accepter avant que le tuteur n’acquière la capacité complexe à guider, aider et enfin valider le travail d’un autre élève. Aucun apprentissage n’est le fruit du hasard, tous demandent temps et valorisation de l’adulte. Les situations de tutorat entre grands et petits jouent également un rôle précieux dans l’apaisement du climat de classe, condition sine qua non aux situations de travail riches. Pour les plus petits, le contact des plus grands est une aubaine dans le développement des compétences posturales, langagières, de manipulation. Le modèle adulte, souvent inaccessible, laisse la place aux modèles enfants. Un an de différence, pour un élève de cet âge, c’est presque rien. Pourtant cela représente une quantité de choses apprises considérable ; autant d’apprentissages qu’un enfant peut transmettre à un autre. Dans un cadre comme celui-là, l’imitation est un levier pédagogique d’une cruciale richesse.
Face à cette hétérogénéité, le fonctionnement se veut « décloisonné », les murs entre les différentes classes tombent symboliquement. Une activité doit, généralement, pouvoir être travaillée par tous les enfants, peu importe l’âge. Cela permet à chacun de trouver son rythme. Aux plus rapides d’avancer et aux plus en difficulté de simplifier la tâche. L’échec n’apparaît pas comme une tare aux élèves mais comme l’ensemble des progrès qu’il peut réaliser. Tous ces éléments d’entraide, de coopération et de réussite, ajoutés à la liberté laissée aux enfants dans le choix de leurs ateliers, vont permettre à l’élève de s’engager motivé dans la tâche qui lui est demandée.
L’image parfois « rebelle » qu’associe l’institution à ces projets pédagogiques d’un autre genre induit parfois d’autres problématiques. Celle par exemple du pilotage souhaité par l’académie au début du projet. C’est ce qu’a connu l’école de Montreynaud (Maternelle Gounod) à ses débuts. Aujourd’hui l’administration reste en retrait du projet de l’école maternelle Chavanelle le laissant ainsi vivre et s’enrichir de jour en jour. Il est important de noter que ce dispositif ne sauve pas les enseignants des autres problématiques liées aux conditions d’enseignement. Avec 4 classes chargées de 27 à 30 élèves et une ouverture de classe refusée, la motivation de l’équipe pédagogique se heurte, comme dans bien d’autres écoles, à la surcharge des classes.
L’École est un lieu de cristallisation de nombre de tensions depuis maintenant plus d’un siècle. Maillon indispensable dans le rouage du pouvoir ; les dominants veulent la contrôler, les utopistes la révolutionner. L’école des Communards, l’école de Vichy, celle encore de la IIIe République ou de Xavier Darcos représentent chacune des mondes différents, des visions contraires, des conséquences sur le reste de la société. Aujourd’hui, entre les progressistes effrontés du « tout numérique » qui décrivent une école immobile et archaïque, et les « réac-publicains » [5] faisant le vœu d’une école autoritaire où l’obéissance et l’autorité sont reines ; il ne reste plus beaucoup de place pour ceux qui font confiance aux enfants comme à leurs enseignant(e)s. Les valeurs humanistes, plus fortes que ces attaques insensées, font naître et perdurer des projets, des démarches pédagogiques dignes d’une École émancipatrice.
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