Du mitard de la sinistre prison de Toul, dans les années 60, d’où les prisonniers étaient battus, attachés, affamés par l’administatration par son directeur et ses gardiens à celui de Seysses, où en avril 2018, l’équipe de surveillants responsable du QD met à mort le jeune Jawad, quasiment 50 ans se sont écoulés et rien n’a changé. 50 ans durant lesquels des matons ont éliminé physiquement des hommes et des femmes, méthodiquement et impunément. Et ce grâce au concours de la justice. Élimination physique, élimination psychologique aussi. C’est le sens de cette histoire de mitard raconté par Enriquès, ancien prisonnier. C’était en 2012 au mitard de Fresnes.
Le mitard ou l’école de l’inhumanité
J’avais 20 ans lorsque la première fois, j’ai côtoyé le mitard. C’était à Fleury-Mérogis, dix ans avant son lifting initié par Sarkozy et Rachida Dati.
Suite à une embrouille de merde avec un surveillant, j’arrive au mitard pour moins d’une semaine, à l’époque dans le bâtiment du D3, et je découvre en même temps que la réalité du système, l’inhumanité dans toute sa splendeur !
Je passe quant au décor dantesque, les murs nauséeux, la gamelle en métal, que le maton vous tend après qu’il ait servi des milliers de prisonniers avant vous !!!.Draps pleins de puces, hurlements psychédéliques de prisonniers souvent plus disposés à être en psychiatrie, un maton pour vingt mecs ! Si t’as mal au dent, l’attente,pour voir un dentiste c’est minimum deux jours, si t’as le malheur de frapper à la porte parce que la douleur est trop forte, on te fait attendre encore plus longtemps !!!Sans parler de toutes les histoires de tentative et de « réussite » de suicide, de tabassage par des armées de matons, etc. Telle fut ma première expérience avec le mitard. Lors d’autres incarcérations, j’ai connu le mitard d’autres prisons et à quelques détails près, ils partageaient tous ce même décor et ce même cynisme cruel des matons et l’arbitraire..
Je me rappelle à Fresnes en 2012 d’un prisonnier qui venait d’arriver au mitard. En arrivant à deux cellules de la mienne, je comprenais qu’il était fragile psychologiquement malgré une faculté de discernement quand on l’entendait parler par sa fenêtre. Ce prisonnier n’était pas au courant des sales manières du mitard. Le soir de son arrivée, à la distribution du repas, il s’est permis de rappeler au surveillant qu’il devait absolument avoir ses médocs du soir. Ce dernier promet mais n’est jamais revenu. Ne pouvant dormir sans ses médocs, il a fait du boucan toute la nuit. Le lendemain matin, il a eu l’audace, certes de manière véhémente, de rappeler au maton qui faisait l’appel, le manquement de son collègue, ce dernier vexé l’a pris en grippe ! Des insultes volaient des deux côtés (nous avions tous les oreilles collées à nos portes) ! Plus tard dans la matinée, le maton est revenu avec cinq collègues. Quand ils sont entrés dans la cellule du prisonnier, au bruit qu’on entendait nous devinions ce qui se passait. Pour montrer notre solidarité à celui qui se faisait tabasser et pour maudire les matons , on a mis des coups de pieds, des coups de poings dans la porte. En moins de deux minutes il a été maîtrisé mais l’altercation avait duré au moins deux heures, et à travers les échanges qu’on ressent dans ces moments-là, on a compris que le médecin était passé. Ensuite, les surveillants ont refermé sa cellule alors qu’il poussait des cris entre hargne et hystérie. Et puis plus rien !!! C’est avec surprise que trois jours plus tard, la voix du détenu s’est répandue à travers la fenêtre de sa cellule. En l’écoutant, on sentait qu’il ne savait pas où il en était ! C’est nous, qui en criant lui avons rappelé la bagarre avec les matons ! Pendant qu’on lui racontait, sa voix monocorde et dérangée s’éteignait au fur et à mesure car le seul souvenir qu’il gardait de cette altercation était le moment où il essayait de se débattre pour ne pas être piqué par la seringue du médecin que les matons avaient appelé après l’avoir tabassé ! Encore, assez conscient pour comprendre que ce qu’on lui avait injecté allait peut-être avoir des effets sur lui le restant de sa vie, le détenu s’est tu et plus tard dans la journée, il provoqua une nouvelle altercation avec les surveillant qui décidèrent de l’emmener à l’hôpital service psychiatrie !! Ainsi, on abat, sans tuer !!
Je tenais à raconter cette histoire pour souligner qu’il n’est pas admissible qu’en quartier disciplinaire, le premier surveillant venu a quasiment droit de vie ou de mort sur les détenus qui subissent un système archaïque. Est-ce que c’est parce qu’à la base de toute société naissante, la Force précède le Droit qu’il faille que, par un parallélisme barbare, la peine carcérale, la Sentence précède l’Humiliation ? Je pose cette question à ceux qui croient, qui prétendent entretenir par leurs impôts des détenus censés vivre dans l’oisiveté car si vous allez dans n’importe quelle prison et France et sans doute ailleurs, vous constaterez qu’en général les condamnés se plaignent moins de la peine de prison qui leur a été infligée que des mauvais traitements qu’ils subissent une fois incarcérés.
Pour terminer, j’aimerais seulement dire que lorsque un homme ne peux pas faire confiance au système auquel il appartient, cet homme s’il est lucide et objectif réalisera qu’il est sans cesse en insécurité. Si la prison est l’école du crime, le mitard est l’université de l’inhumanité !
Henriquès
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