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PRINTEMPS 2018
Publié le 29 mai 2018 | Maj le 14 juin 2018

Encore une grève à la SNCF !


C’est avec cette façon, mi-ironique mi-gênée que Pascal [1], un chef d’équipe à l’entretien des voies m’annonce la grève de jeudi prochain à la SNCF. C’est le début de la conversation, je viens de monter dans cette voiture au logo de la compagnie ferroviaire pour un trajet en stop, et mon conducteur ne sait pas encore sur quel pied danser avec moi. Il se dit sans doute que, comme le véhiculent les media le plus souvent, j’étais de cette majorité qui se sent « pris en otage » par les grèves. Petit à petit, il comprend que je suis moi aussi du côté des travailleur’euses en lutte et m’aide à défaire les idées généralement reçues (mais pas du tout fondée) sur les cheminot’es.

Des conditions de travail idyllique

Un’e jeune cheminot’e qui entre à la SNCF (il faut avoir moins de 30 ans ou au moins deux enfants pour prétendre au poste) commence sa carrière avec un salaire de base de 1240 euros brut. Ce qui n’est rien moins que 200 euros en dessous du SMIC [2]. Classe la fonction publique !

Il ou elle travaillera ensuite tout au long de sa carrière sur les voies, sous la pluie ou la neige, de jour comme de nuit, à restaurer et entretenir le réseau, à la main le plus souvent, au péril de leur vie puisque les trains continuent bien souvent de circuler pendant les travaux.

Quand je lui demande ce qu’il gagne après 15 ans de métier et des responsabilités de chef de chantier, Pascal me répond que son salaire de base est de 1800 euros brut, avec les primes de déplacements il arrive parfois à atteindre 3000 euros brut. Et puis, part d’un grand rire franc, pas du genre à se larmoyer le mec.

Un’e jeune cheminot’e qui entre à la SNCF [...] commence sa carrière avec un salaire de base de 1240 euros brut.

Sauf que voila, les cotisations pour la retraite, elles, sont calculées sur le montant du salaire de base et que depuis deux ans environ, l’URSAFF a modifié leur régime fiscal pour se mettre à taxer aussi les primes. Résultat presque la moitié de son revenu n’est pas comptabilisé dans les cotisations retraite mais il paye des impôts dessus. C’est effectivement très « spécial » comme régime. Il me parle de ses collègues qui avaient pris un crédit sur la base de leur revenu (salaire plus primes) mais qui depuis ce changement à l’URSAFF se retrouve à payer plus d’impôts, sans pour autant que les autres services publics (aide au logement par exemple) ne les considère dans une tranche moins élevée. Grosse perte de niveau de vie.

Et puis la retraite justement, on en parle. Je lui raconte mes souvenirs de piquets de grève avec les cheminots de Perrache pendant les manifestations contre la réforme des retraites en 2010, plutôt gais comme souvenir mais qui laisse un goût bien amer puisque nous n’avons rien gagné. Les cheminot’es sont passé’es à un âge de départ à la retraite qui devra atteindre 61.5 ans, s’illes ne peuvent pas se permettre trop de décôtes, sans aucune considération pour la pénibilité de leur travail. [3]

Le régime spécial des cheminots est bourré d’avantages

Alors quoi ? C’est quoi c’est super avantages dont tout le monde parle ? La sécurité de l’emploi ? Oui, c’est vrai, quand au bout de 20 ans de loyaux service sur les voies dans des conditions de merde il a le physique abîmé, la compagnie ferroviaire n’a pas le droit de virer son personnel, elle est obligée de le reclasser quelque part. C’est souvent au guichet que la SNCF place un cheminot trop fatigué, alors c’est sur, un vieux gars abîmé en devanture de boutique ça rentre pas forcement dans le standing moderne de la SNCF. Pour ces postes-là , on privilégie plutôt de jeunes intérimaires, tout droit sortie d’école de commerce au physique plus dynamique. Mais quoi ? C’est pas absolument normal de ne pas se faire virer à la première hernie discale quand c’est un travail pénible au service du public qui nous a esquinté le corps ?

Un salaire bien bas, augmenté de primes qui ne cotise pas pour la retraite mais sont taxées comme le reste, des conditions de travail éreintantes,...

Il y a aussi les voyages gratuits. Ah ! les voyages gratuits qui font couler toute la vindicte médiatique sur le dos du régime spécial des cheminots. Mais bon, as-t-on déjà vu un boulanger payer son pain ? Dans la plupart des entreprises, les employés reçoivent d’une façon ou d’un autre un intéressement sur le produit de leur travail, non ? Les stewarts et hotesses de l’air ne paient pas l’avion à ce que je sache, il ont aussi le droit à des billets gratuits ou de grosses réductions pour leurs familles et leurs amis. Bah là , illes ont droit à la gratuité sur les trajets et quelques réservations sur les TGV par an, rien de scandaleux, si ? En plus Pascal me précise que la plupart des cheminot’es qu’il connaît utilisent le train seulement pour aller au travail ou leurs enfants pour aller au lycée, parce que quand ils prennent des vacances illes privilégient souvent la voiture.

Un salaire bien bas, augmenté de primes qui ne cotise pas pour la retraite mais sont taxées comme le reste, des conditions de travail éreintantes, des avantages en nature basique, il faut vraiment être un passionné du rail de père en fils comme Pascal pour ne pas être tenter de partir chez les sous-traitants de plus en plus nombreux de la SNCF.

Au pire, au lieu de se plaindre ils peuvent aller dans le privé

Sferis [4], Colasrail, et autre Bouygues sont de plus en plus souvent sous-traiter par la SNCF pour faire le boulot des cheminot’es. Une formation réduite, surtout dans le domaine de la sécurité, pas de visite médicale régulière comme y sont soumis les cheminots, des horaires hyper flexibles, pas toujours de primes de vacances ou de fin d’année, permettent à ces boîtes privées d’offrir à leurs employés de bien meilleurs salaires (environ 3000 euros de salaire de base en début de carrière). Mais voilà , il faut avoir envie, quand on habite au Luxembourg, de travailler à Chambéry pendant la journée, puis la nuit à St Étienne après une pause dans le train. Il faut avoir envie d’être logé dans des conditions de merde 5 jours par semaine, y laisser sa santé, peut être sa vie. Il faut avoir envie d’être sous la responsabilité d’une personne moins payée que soit mais qui est responsable de notre sécurité. Drôle de rôle.

(...) rien n’est acquis et seule la lutte paie.

C’est là qu’avec Pascal on regrette que les conventions collectives arrachées au patronat par les générations précédentes soient appelées « acquis sociaux ». Et non, bordel, rien n’est acquis et seule la lutte paie. Il ne sait plus comment le faire comprendre aux plus jeunes qui préfèrent passer du temps sur les réseaux sociaux que de se battre pour leurs droits. Un moment nostalgique, certes, mais vite balayé puisqu’il embraie sur un portrait de son fils qui, à 16 ans, est plus énervé qu’aucun. Espoir.

A propos de la lutte syndicale Pascal ne quittera pas la CGT parce que c’est une tradition familiale mais regrette que les centrales s’éloignent de plus en plus de la base. Qu’a cause de leur désirs carriéristes, les bureaucrates se rapprochent de plus en plus des patrons. Et il sait très bien que c’est parce qu’il est plus remonté qu’un autre qu’on la écarté de sa fonction de délégué du personnel et de membre du comité d’hygiène et de sécurité. Être trop vindicatif pour un syndicaliste, c’est une tare ? Ah, bon.

(...) à cause de leur désirs carriéristes, les bureaucrates [des syndicats] se rapprochent de plus en plus des patrons.

On est arrivé à destination mais je lui propose de boire un coup, envie de prolonger la rencontre encore un peu. Je suis bien consciente que des gars comme ça j’en rencontrerais de moins en moins, puisque les départs à la retraite amènent peu d’embauche. Déjà 3500 cheminot’es de moins cette année, petit à petit remplacés par des intérimaires, des sous-traitants, et autres flexibles à merci. Pourquoi ? Est-ce qu’illes coûtent moins chers ? Oui y’a un peu de ça mais surtout la SNCF voudrait faire baisser le nombre des cheminots sous la barre des 150 000 pour pouvoir faire sauter leur caisse de sécurité sociale. Qu’illes passent tous au régime général et qu’illes n’aient plus cette unité qui fait que les conducteur’euses se battent aux côtés des mécanos. Morceler les travailleur’euses à tout prix, diviser pour mieux régner. Recette classique.

Encore une fois je suis bien contente que mon chauffeur a le rire franc, qu’il me raconte tout cela sans s’en plaindre, sinon il aurait un goût bien amer mon picon-bière.

Courage à tou’te’s les grévistes ce jeudi, il en faut pour perdre un journée de salaire quand on ne roule pas sur l’or, et merci à Pascal pour le trajet.

P.-S.

On pourrait réécrire cet article maintenant et ajouter toutes les conneries qu’on entend à propos de la grève des chemionot’es en cours. La plus énorme, par exemple, que les grévistes seraient payé’es pour être en grève, hallucinant !

Notes

[1le prénom a été modifié par peur des représailles de la hiérarchie, sympa le climat

[21457 euros mensuel en 2015

[3"Sachant que 166 trimestres correspondent à 41,5 années de travail et en prenant un salarié qui a été embauché à 20 ans, à quel âge pourra t-il prendre sa retraite et toucher sa pension sans décote ?

– Au régime général : 62 ans (il aura sa retraite pleine à 61,5 ans mais devra attendre six mois d’atteindre l’âge légal de départ).

– Au régime spécial de la SNCF : 61,5 ans soit neuf ans et demi après l’âge légal de départ s’il est conducteur ou quatre ans et demi après l’âge légal de départ s’il est agent sédentaire."in Sylvain cheminot

[4filiale privée au sein du groupe sncf


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