À deux pas de Jacquard vivait un lieu.
D’abord il y eut l’école de musique. Le "Centre Musical Massenet", ouvert à toustes, rendant accessible au plus grand nombre l’apprentissage de la musique et permettant sa diffusion via des concerts et des alliances associatives.
L’école de musique ferma, le bâtiment – propriété de la Ville – étant voué à la démolition. La proposition de la mairie de la greffer à la lointaine Comédie (salle de spectacle et école de théâtre) éloigna la pratique musicale populaire du centre ville. Des cendres de feu "Centre musical Massenet", dont ne subsistent que les notes de musique peintes sur la façade, naquit cette année « Chez Elia », nom clin d’œil à une personne partie trop tôt.
Car c’est cela qui distingue un squat autogéré d’un squat d’habitation uniquement : l’ouverture sur le quartier et la ville
« Chez Elia », un squat autogéré, les pieds dans la ville, la tête dans les étoiles.
Il se passait quoi « Chez Elia »
"Chez Elia" on se rencontrait dans différents espaces d’échanges politiques et de mixités comme par exemple le groupe de santé psy, constitué par et pour les concernées.
On bougeait avec le sport autogéré du dimanche, on mangeait avec les bouffes végans faites principalement de récup’ les mercredi. D’autres temps aussi pour l’accueil de groupes artistiques, d’un certain canard appelé Couac, et de booms féministes surchauffées. Des événements ouverts à toustes, dans le respect individuel et collectif.
Pourquoi ce lieu ?
Par une volonté radicale de se réapproprier un espace laissé en jachère près d’un an par une municipalité pourtant si pressée de le démolir pour "vétusté" officiellement. Pour permettre à des personnes migrantes, sans aucun soutien ni de l’État ni de la ville, d’accéder à un besoin primaire : un toit sur la tête.
Pour remettre du populaire dans la ville, se poser en frein aux spéculations immobilières diverses auxquelles la municipalité contribue sans vergogne depuis des années en cédant aux sirènes du privé.
Pour redistribuer différemment les cartes, sur un plan horizontal entre les habitant.e.s du lieu, les soutiens divers et les personnes vivant dans le quartier ou plus loin. Renouer avec l’éducation populaire.
Pourquoi encore ?
Parce que la culture squat et libertaire, à Saint-Étienne notamment, fut tant réprimée ces dernières années qu’il n’y avait plus de squats autogérés, en tout cas officiellement déclarés.
Nous occupons ce bâtiment car nous refusons de choisir entre une précarité grandissante et un monde de profit de plus en plus déshumanisant.
Celui d’"Izmir", derrière l’ancienne CAF et ses 6 ans d’existence (2000-2006) fait office de doyen record à une époque où ouvrir un squat à Synthé n’était pas synonyme de procès et expulsion peu de temps après, cela sans avoir eu le temps de faire du lien avec le quartier et des travaux d’aménagement. Car c’est cela qui distingue un squat autogéré d’un squat d’habitation uniquement : l’ouverture sur le quartier et la ville. Mais dans tous les cas les raisons politiques d’existence restent les mêmes : refuser l’exclusion des minorisé.e.s et la mercantilisation de l’habitat dans des quartiers en voie de boboification.
Diverses formes de squat
Le « Squat de la Bourse » au printemps 2019 était une occupation de la Bourse du Travail suite à l’expulsion de nombreuses familles migrantes de "La maison bleue", un squat d’habitation vers l’ancienne Fnac. Une occupation dans l’urgence, temporaire de fait, et en réaction épidermique et légitime à une éjection pendant la trêve hivernale et sans prise en charge annexe. Pourtant des lieux d’habitation vides, ce n’est pas ce qui manque à Saint-Étienne : il y en a même plus que de personnes sans logement...
Bienvenue en Absurdie
Le dernier squat autogéré en date fut "La plage", rue de La Sablière... En 2011. De son sable mouvant devenu béton, "La Gueule Noire", centre social autogéré du côté de Bellevue ouvrit ses portes d’ancien garage la même année. 10 ans cette année, contre vents, marées, Coronavirus & co mais toujours là, et c’est heureux. Le fonctionnement et les activités y sont globalement les mêmes qu’en squat autogéré mais le compromis trouvé pour la pérennité du lieu fut de s’acquitter d’un loyer, réparti sur les collectifs.
Elia par contre a dû rendre les armes le 28 septembre dernier, après 4 mois de présence vaillante. Une lutte inégale s’est déroulée dès l’ouverture et tout le long de sa courte mais intense existence contre la municipalité, Saint-Étienne Métropole, des promoteurs immobiliers, un appareil juridique permettant la mise en application de sentences arbitraires. La mairie qui détient le lieu, objet de convoitises juteuses, souhaite raser pour reloger. Soit. Mais qui ? Les ancien.nes occupant.es (majoritairement originaires du Nigeria et sans paps), dans des conditions dignes ? Des pauvres et précaires dans des HLM flambant neufs ? Tout autre « projet social » ? Que nenni. Construire, oui, mais pour des loyers totalement hors de portée dans un quartier encore resté populaire et participer tranquillement à son embourgeoisement.
Parole aux personnes à l’initiative de l’ouverture de "Chez Elia" : « Nous occupons ce bâtiment car nous refusons de choisir entre une précarité grandissante et un monde de profit de plus en plus déshumanisant, de toujours plus galérer pendant que d’autres amassent des milliards et de louer des taudis tandis que la mairie laisse des bâtiments à l’abandon. Ce lieu a vocation à accueillir divers événements culturels et politiques et à soutenir les luttes anti-capitalistes, anti-racistes, LGBTQI+, écologistes, etc. et donc ouvert à toute personne et collectif souhaitant s’organiser, se rencontrer et discuter autour de celles-ci. »
Elia quoi après
Sans doute d’autres nouveaux squats et lieux autogérés, peu importent les formes. Le fond, lui, demeurera : semer des graines de résistance aux oppressions des existences.
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