Actualité et mémoire des luttes à Saint-Étienne et ailleurs
ANALYSES ET RÉFLEXIONS MÉDIAS / RÉPRESSION - PRISON
Publié le 9 décembre 2008 | Maj le 23 avril 2020

La télé en prison - Déconnecter les prisonniers du réel


* dessin - la grande évasion

Comment l’arrivée de a télé en prison à –t-elle été perçue par certains prisonniers ? C’est la question que l’ont peut se poser.
Pour y répondre en partie, nous publions le texte qui suit (*).
Il fut écrit par une personne détenue de la centrale de Clairvaux, le 7 juillet 1986. Ce prisonnier a vécu l’intrusion des postes de télé dans les prisons en décembre 1985 :

*Déconnecter les prisonniers du réel,

On peut penser, à juste titre, que l’apparition de la télévision dans l’univers clos et cloitré des prisons, est un évènement de première importance, ce qui est incontestable et si l’on se place dans une dimension essentiellement relative aux conditions de détention, c’est assurément une révolution, comme le furent les congés payés dans le monde salarié des années 30.

Un plus, en quelque sorte, dans l’enfer quotidien, distillé savamment.
Mais si, comme il est apparu qu’il faille élever le niveau de la qualité de
vie du monde ouvrier, par un accroissement et une amélioration de son confort, pour désamorcer et étouffer dans l’œuf le processus révolutionnaire qui avait enflammé une bonne partie de l’Europe - L’histoire de ce premier quart de siècle est riche de mouvements sociaux et de pratiques révolutionnaires-.
Il apparaît également aujourd’hui, que l’on puisse de même, réduire et canaliser les tensions au sein des prisons, en augmentant sensiblement le confort des détenus. Confort prohibitif, si l’on en juge par les prix en vigueur dans les établissements pénitentiaires :
Exemple : Clairvaux, télévision couleur 250 francs / mois (environ 37 €), télévision noir et blanc 180 francs /mois (un peu moins de 30 €).
(les prix ont surement augmentés aujourd’hui. Ndlr)

L’image, quasi mythique, d’ouverture de la liberté symbolisée par le phénomène audiovisuel que stigmatise la télévision, donne bien la mesure de ce bouleversement au sein de la taule et des consciences taulardes. Mieux que l’hypothétique et abrutissante fuite dans les bouquins de cul, plus efficace que les quelques heures consacrées aux activités physiques, moins flippant que les gamberges fantasmatiques et répétitives, le rêve à portée de la pogne.

Profusion d’images et d’imageries soigneusement dosées, pour flatter les goûts, tout les goûts du téléspectateur de base, t’as juste à appuyer sur le bouton, sur celui-ci ou sur tel autre et voici que t’arrive en pleine poire, un concentré, un patchwork de sensations, d’émotions, de pulsations et de pulsions plus ou moins fortes, plus ou moins violentes, plus ou moins seines, plus ou moins claires.

la cellule photographiée ici, n’est pas représentative de l’état de la plus grande partie des cellules des prisons françaises, qui restent bien plus insalubres et inconfortables que celle de la photo ci- dessus.

La télé comme chez soi, avec vue sur la réinsertion en voix off, de quoi effectivement faire les beaux jours des lendemains qui chanteront.
On comprend mieux le silence général observé par les syndicats de la matonnerie, toujours prompts à aiguiser le couteau et aller au cri, dès que pointent à l’horizon les légitimes et précieuses revendications gueulées par les détenus.

On comprend aussi pourquoi et d’autant mieux ; la télé et pas la conditionnelle, pourquoi la télé et pas les permissions, pourquoi la télé et pas le décloisonnement, pourquoi la télé et pas la possibilité de regroupement et de réunion, pourquoi la télé et la perspective des 10, 12, 15, 18, 30 ans de sureté, pourquoi la télé et la future loi sur les repentis. Tant dans les affaires dites de terrorisme que de banditisme. Pourquoi la télé et très assurément la réouverture officielle des Q.H.S avec ses cohortes de placements systématiques sur des critères aussi farfelus qu’illégitimes. Pourquoi la télé et le refus de la sexualité, pourquoi la télé et pas la possibilité de l’information choisie et désirée.

Censure politique de certaines revues, certains textes, certains journaux.

Indépendamment de l’aspect purement jouissif et immédiat du phénomène télé, il y a, au-delà , une volonté délibérée, de réduire les détenus à l’état d’être déconnectés du réel, mais aussi du rêve consommable et non le rêve imaginaire. Passif et consentants, repliés sur eux-mêmes, forcés de fonctionner d’après les clichés et les schémas véhiculés par le contenu programmé, avec cette circonstance aggravante, que son expérience, se trouve confrontée au vide, puisque le nec le plus ultra de cette innovation, est d’isoler chacun dans l’univers de ses propres fantasmes.

La tentation est bien trop forte pour que les comportements n’agissent pas en fonction de l’offre. Il me semble que c’est là , les prémices d’une pacification d’une grande envergure et le couvercle de la marmite, a trouvé là son plus sûr verrou.
A moins qu’à l’usage, le rêve en boite n’apparaisse sous son vrai visage, celui d’un gadget mystificateur et que leur utilisateur ne s’en lasse. Rien n’est moins sûr.
On s’habitue vite à son bourreau".

Fin du texte.

Lorsqu’il dit en fin de texte « que la tentation est bien trop forte pour que les comportements n’agissent pas en fonction de l’offre », il nous parle de l’attraction qu’exerce la télé sur le psychique humain.
Celles et ceux qui, en revenant du travail ou de la fac, se dirigent beaucoup plus facilement vers la télé que vers un bouquin, sauront de quoi il est question.

Il faut aussi rappeler que la télé en prison a permis, dans les années 80, aux administrations pénitentiaires de négliger encore plus le maintien des activités éducatives en prison, alors que ces dernières permettaient aux détenu-e-s d’obtenir, même si elles étaient très maigres, des remises de peines, si ils s’investissaient dans des études durant leur détention. Cela leur permettait surtout d’entretenir une forme de solidarité en s’aidant les uns les autres, les unes les autres, autour de ces occupations culturelles ou scolaires.

L’apparition du petit écran en taule, c’est aussi, à cause de la façon dont cet évènement a été médiatisé, la naissance du cliché : prison = hôtels 4 étoiles. Encore aujourd’hui, beaucoup de gens sont encore capables de nous sortir des aberrations du style : « Les prisonniers ne sont pas malheureux en prison, ils ont la télé ! », « ils font des conneries et en prison on leur paye la télé gratuit, au frais du contribuable ! ».

On se doit de dénoncer toutes les injustices qui ont lieu en prison et les mauvais traitements, qui peuvent se conclure par des meurtres, dont sont parfois victimes les prisonniers, mais avant toute chose, c’est bien aux idées reçues comme celles citées plus haut, entretenues par les médias, auxquelles il faut s’attaquer. Car tant que l’on a pas une idée concrète des conditions de vie intra-muros, on ne peut pas mesurer les injustices qui sont entretenues à l’intérieur par les administrations et les personnels pénitentiaires. Quand on voit ce que ce permettent certains policiers dans nos rues, on imagine ce que peuvent se permettre les matons et les directeurs de prison, à l’abri derrière les murs. Leur toute puissance est certaine, leur impunité aussi.

Pour revenir au sujet, la télé, il est vrai, pour nous, les gens du dehors, peut parfois nous distraire. On peut s’organiser une soirée dvd entre ami-e-s, en famille, etc. Mais en prison toutes ces petites initiatives conviviales, que l’ont peut avoir à l’extérieur dans la vie courante, sont impossible. Ne reste alors que l’ennui, des heures et des heures d’ennui qui finissent toujours tôt ou tard, à cause de l’accumulation des journées mornes et répétitives, par se traduire par une baisse du moral, en plus pour certain-e-s de l’angoisse, de l’anxiété, des phases de déprime légère ou sévère, plus ou moins longues. Pour simplifier, l’humeur d’un prisonnier est en général, en dessous de la normale.

Ce n’est peut être pas très parlant de parler de la normalité de l’humeur, il faut donc faire un premier effort de projection. On peut essayer de s’imaginer, à condition d’avoir vécu certaines expériences de vie collective, la contrainte que cela représente de se retrouver dans une cellule de 10m², en collocation forcée avec un autre détenu, deux autres détenus, parfois trois, mais le plus souvent quatre, cinq, six, ou sept détenus. Celles et ceux qui ont déjà subi un voisin bruyant dans leur immeuble, au camping, celles et ceux qui ont déjà vécues des incompatibilités d’humeur avec un colocataire ou un collègue de travail savent combien le huit clos peut réussir à nous pourrir la vie. Sachant qu’en prison toutes ces contraintes sont décuplées à cause de l’enfermement.

Dire donc que la télé est un luxe, ou un avantage pour les prisonniers, c’est bien mal mesurée les conditions de détentions d’hier et d’aujourd’hui.
Comme si la télévision pouvait, taulards ou non, nous soigner de tout nos tracas quotidien et de nos problèmes existentiels !

On imagine la scène : « moi, depuis que j’ai mon nouvel écran plasma, je vie beaucoup mieux mes périodes de découvert ! », « moi je ne me fais plus de soucis sur mon avenir, la crise est là , mais je m’en fou maintenant, j’ai le satellite avec plus de 200 chaines télé ! », ou encore la mère machin qui parle à sa voisine « écoutez mon fils était en pleine déprime, vous comprenez sa fiancée l’a plaqué le pauvre et bein, depuis qu’il c’est achetez sa nouvelle télé, il revit ! ». Entre les murs aussi : « ils m’ont refusés ma conditionnelle, il me reste encore 1 an à tirer, mais avec les séries à la télé, ça va passé plus vite ! », « moi, mon codétenu est sous cachetons, la nuit il parle tout seul et réveille tout le monde, mais on va pas se plaindre on à la télé en cellule ».

De plus, la télé, en règle général, pour celles et ceux du dehors, est plutôt perçu comme une arnaque : « 100€ de redevance, avec la merde qu’il nous passe, c’est cher payé ! ». A l’intérieur, dans les prisons, avec le rythme des journées d’un prisonnier, la télé rallonge le temps, les journées paraissent encore plus longues.

Il faut savoir aussi que la télé n’est pas gratuite en prison, les prisonniers la payent d’ailleurs assez cher, le texte dont il est question plus haut nous donne un petit aperçu des tarifs.

P.-S.

sur la critique de la télévision en prison et sur la notion de temps, lire l’article suivant


Proposé par mario
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