La nouvelle a fait l’effet d’une petite bombe, ajoutant encore de la fébrilité sur un marché où la grande distribution classique, en difficulté, voit ses ventes stagner et ses nouveaux concurrents de l’e-commerce, comme le géant américain Amazon, se montrer de plus en plus menaçants. Après s’être réuni le dimanche 23 septembre, le conseil d’administration du groupe Casino annonçait, dans un communiqué publié dans la nuit de dimanche à lundi, avoir refusé une « tentative de rapprochement » venant de son concurrent Carrefour. « Le conseil d’administration a constaté les obstacles, en France et au Brésil, au rapprochement avec Carrefour, en particulier en matière de concurrence et d’emplois. Il a décidé à l’unanimité de ne pas donner suite à cette approche », précisait notamment le texte.
Carrefour réagissait quelques heures plus tard pour démentir ce qu’il qualifiait « d’insinuations inacceptables ». « Carrefour dément avoir sollicité Casino et s’étonne que l’on ait soumis au conseil d’administration de Casino une proposition de rapprochement qui n’existe pas », affirmait le groupe, tout en reconnaissant qu’une réunion avait bien eu lieu le 12 septembre, mais selon lui à l’initiative de Casino, qui chercherait un soutien financier.
Selon les informations de plusieurs médias, les discussions auraient en particulier achoppé sur le refus de Carrefour de signer un pacte temporaire de non-agression (selon lequel chaque groupe se serait engagé à ne pas acheter de titres de l’autre pendant une période donnée), une réticence qui aurait fait craindre à Casino la préparation d’une offre hostile. Sans possibilité de savoir qui dit vrai, cette incertitude ajoute de l’inquiétude à une situation déjà très tendue socialement.
Cession d’actifs non stratégiques
En effet, début octobre, le groupe Casino a démenti une nouvelle fois toute cession, même partielle, à Carrefour ou à Amazon. Pas question non plus de céder Monoprix, l’enseigne premium et très rentable du groupe. Le groupe continue en effet de miser sur la diversification pour résister à la concurrence : Franprix pour les centres-villes, Leader Price pour les prix bas, Monoprix pour une offre premium destinée à une clientèle urbaine aisée, Naturalia pour le bio, et CDiscount, le seul véritable challenger d’Amazon en France pour la vente en ligne.
Pourtant, le groupe est fortement endetté et a vu son titre chuter en Bourse depuis le début de l’année. Pour réduire sa dette et regagner la confiance des investisseurs, Casino a lancé en juin un ambitieux plan de cessions d’actifs non stratégiques (pour l’essentiel immobiliers) de 1,5 milliard d’euros en deux ans. Un objectif en passe d’être atteint selon la direction : le groupe a notamment déjà signé une promesse de vente pour céder les murs de 55 magasins Monoprix à un investisseur institutionnel, pour un produit net de 565 millions d’euros. Le groupe envisage également de vendre à brève échéance une vingtaine de magasins jugés insuffisamment rentables.
Un impact social « catastrophique »
Le problème de Carrefour, n°1 français de la grande distribution, n’est pas la dette mais plutôt les difficultés récurrentes de ses hypermarchés, qui représentent la moitié de ses ventes, et un retard stratégique par rapport à ses concurrents, notamment dans le digital. C’est pour pallier ces carences que la direction du groupe a lancé un vaste plan de relance et de réorganisation en janvier 2018. Dans l’attente de résultats espérés pour plus tard, ce plan se traduit pour l’instant essentiellement par de nombreuses suppressions de postes (jusqu’à 5 000 au total selon la CFDT).
D’où l’inquiétude des salariés à l’idée d’un tel rapprochement. D’autant que les activités des deux groupes sont directement concurrentes sur de nombreux segments de marché en France. Leur regroupement ferait immanquablement apparaître des positions dominantes sur certaines zones de chalandise, notamment sur le segment de la proximité à Paris et en région parisienne. Ce qui se traduirait, en vertu du droit de la concurrence, par la nécessité de fermer un grand nombre de magasins. Quant à la mise en œuvre des synergies attendues d’une telle fusion, elle ne manquerait pas non plus de déboucher sur de nombreuses suppressions d’emplois d’un côté comme de l’autre, qui porteraient un coup sévère à un secteur fragile.
Même si les discussions n’ont pas abouti, l’idée ne peut être pour autant totalement écartée à moyen terme. Et les syndicats ne cachent plus leur inquiétude, redoutant « un impact social catastrophique » si un tel projet venait à se concrétiser.
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