Sur son site officiel, le Planning Familial se définit ainsi : « mouvement féministe et d’éducation populaire, le Planning Familial milite pour le droit à l’éducation à la sexualité, à la contraception, à l’avortement, à l’égalité des droits entre les femmes et les hommes et combat toutes formes de violences et de discriminations. ». Si le combat pour les droits des femmes est à mener chaque jour, on imagine aisément que les conditions du confinement ont rendu la bataille encore plus ardue. Au cours d’un entretien de Couac avec Alice [1], conseillère au planning, on comprend ce qui a pu se jouer, les remaniements et adaptations nécessaires, pour continuer d’offrir le meilleur accès. L’enjeu peut-être le plus important concernait celui des IVG, puisque la question du temps et des délais y est omniprésente, et que l’accompagnement y est primordial.
Élisabeth et Simone témoignent quant à elles, de la façon dont elles ont vécu leur avortement, hors confinement et quelques années en arrière, nous permettant de saisir l’importance de cet accompagnement, qu’on imagine encore plus crucial en temps de covid. Toutes deux ont dû faire face au mépris et à la violence des professionnel.le.s censé.e.s les accompagner. Elles nous rappellent que la violence médicale, les multiples discriminations ou la domination par le savoir sont actuelles, et que la lutte pour des consultations respectueuses et le droit de savoir sur nos propres corps doivent l’être aussi, tout le temps, partout !
Maintenir l’accès en temps de covid : « l’objectif est de rassurer »
Couac : Peux-tu présenter la structure ?
Alice : Le planning familial est une association nationale, ici nous sommes l’antenne 42. Nous avons des locaux à Saint-Étienne, Rive de Gier, Andrézieux, Montbrison et à Saint-Chamond. Les salariés sont des conseillères, des médecins, des secrétaires, des animatrices. Depuis un an, le bénévolat fonctionne aussi un peu. Il y a peu d’ouvertures sur tous les sites sauf sur celui de Saint-Étienne qui est ouvert 5 jours sur 7.
Ici c’est une réception du tout-venant et ce sans rendez-vous, nous recevons pour parler de la vie affective et sexuelle, pour des prescriptions ou des renseignements pour la contraception et les dépistages, pour aider les victimes de violences, etc.
Quelles sont vos actions ?
Nous avons des actions collectives : des interventions dans les écoles, les MFR, les foyers ou des ateliers de sensibilisation dans les missions locales. Sinon nous faisons des entretiens individuels directement au planning.
Qu’est-ce que vous défendez au planning ?
On défend l’égalité homme-femme, le droit à la contraception pour tous. Nous sensibilisons à la transphobie, l’homophobie. Nous souhaitons déconstruire les stéréotypes de genre et défendons l’accès à l’IVG.
Comment devient-on conseillère ou animatrice au planning familial ?
Pour devenir conseillère on doit suivre une formation, soit dans des écoles soit dans certains plannings qui la proposent. La formation dure 2 ans et demi et elle est ouverte à tout le monde. Quand j’ai fait la mienne, il y avait des gynécos, une DRH… Il n’y a pas de condition préalable pour intégrer le cursus, tout le monde peut devenir conseillère conjugale. Pour ce qui est des animatrices on demande des anims avec un BPJEPS, sinon il existe une formation d’éducation à la vie sexuelle et affective.
Quels ont été les impacts du COVID sur vos actions ?
On a dû arrêter les actions collectives, entamer des permanences téléphoniques de 9 heures à 17 heures, l’équipe a été réduite. Nous avons reçu les personnes dans des situations urgentes tels que des dépistages positifs, des IVG ou des demandes de contraception. Ça été très compliqué avec les mineures, pendant le confinement elles étaient coincées à la maison, on en a peu vues. Les mercredis et vendredis les médecins étaient là pour les consult.
Quels ont été les points « améliorés » pendant le confinement ?
On a fait un retour en force sur les réseaux sociaux, on a énormément communiqué pour maintenir le lien et continuer nos actions via le web. On a essayé de maintenir un maximum de postes d’éducation populaire, ça nous a permis de garder un contact avec les plus jeunes. Par contre nous n’avons pas fait de consultations visio, il était important de recevoir les femmes en direct, c’est plus rassurant.
Est-ce que vous vous êtes senties utiles pendant le confinement ?
Oui, au niveau des IVG surtout. On a eu énormément d’appels, je pense que c’est les appels les plus marquants, on a eu des femmes beaucoup plus stressées que d’habitude, on a essayé de faire notre maximum pour les aider à distance et on a eu pleins de retours positifs et de remerciements. Pour les IVG on a vraiment déployé au max nos efforts, on les accompagnées, on a vite trouvé où les orienter pour les centres d’échos, les sages-femmes. On n’a pas eu trop de difficultés pour l’accès à l’IVG, les médecins du planning se sont rendues très disponibles et ont été très flexibles.
Est-ce que vous vous êtes senties inutiles pendant le confinement ?
Oui, vis-à-vis des mineures, car elles ne pouvaient pas sortir, on était complètement impuissantes, on ne pouvait pas recevoir certaines femmes qui n’avaient pas de mode de garde pour leurs enfants aussi. Ce qui a été compliqué c’est quand on a reçu quelques appels de femmes victimes de violences, elles avaient encore plus peur de la personne violente qui se trouvait tous les jours à la maison. J’ai eu une femme qui avait envie de partir mais elle avait plus peur de l’épidémie que de son conjoint, elle n’est donc pas partie. Dans ces moments-là tu es impuissant. Tu ne peux pas faire grand-chose.
Est-ce que le confinement a changé quelque chose pour les délais de l’IVG, est ce que cela a fait émerger de nouvelles luttes ?
Oui, l’IVG par voie médicamenteuse est passé de 7 à 9 semaines mais on ne sait pas si cela va rester ou si c’était juste pendant la crise sanitaire. On n’a aucune info. Pas d’évolution en revanche pour les délais d’IVG. Dans certains hôpitaux il n’y avait plus de choix entre l’aspiration et le médicament, il n’y avait plus d’accès à l’aspiration. Mais sur la Loire ça n’a quand même pas mal fonctionné.
Est-ce qu’il y a des choses qui sont passées au second plan à cause du confinement ?
Oui. À cause de l’épidémie il y a des personnes qui ont été mises à l’écart et des gens se sont mis en retrait. On a eu une baisse considérable de demandes de dépistage. Peut-être qu’il y a eu moins de prises de risque ou les personnes ont tout simplement moins pris soin d’elles. Les visites gynécos classiques, les entretiens avec les femmes qui souhaitent parler de leur désir de grossesse ont été reportés.
Comment se passe le dé-confinement, faites-vous toujours des permanences téléphoniques ?
Non, on a arrêté les permanences téléphoniques. À l’annonce de la fin du confinement, les appels se sont multipliés et on a ouvert dès la fin du confinement. La seule différence est qu’on essaye au maximum de recevoir sur rendez-vous pour ne pas remplir la salle d’attente.
Comment se passent les entretiens IVG au planning ?
Notre première fonction c’est l’écoute, on répond aux questions, on ne donne ni conseil ni avis. C’est la femme qui sait. Si la décision est déjà prise on a plus un rôle d’information, pour les femmes qui ne savent pas c’est de l’écoute. Hier j’ai reçu un couple 3 fois dans la même journée car il n’arrivait pas à prendre de décision. Si la personne ne veut pas parler, dans ces cas-là, on ne peut donner que les infos sur les lieux, médecins, les options. On ne peut pas forcer quelqu’un à parler et cela n’a pas d’intérêt, on se met à disposition si jamais elles veulent parler plus tard. On échange mais on ne donne pas notre avis. Qu’il s’agisse de mineures ou de majeures, même si pour les mineures l’entretien est obligatoire : l’objectif majeur est de s’assurer qu’elles ne sont pas forcées. On n’a pas de trame car l’IVG est différente d’une femme à l’autre, à part pour les informations. Nous sommes là pour rassurer.
J’ai eu un entretien étant mineure pour avorter, la conseillère a remis en doute mes explications, m’a culpabilisée sur ma contraception et sur mon souhait de ne pas en parler au père... Qu’est-ce que tu penses de la situation ?
C’est tout l’inverse de ce que l’on doit être. Par-delà de notre formation commune, nous ne portons pas toutes les mêmes valeurs et ne vivons pas le métier de la même façon. Il y a des conseillères conjugales qui peuvent être contre l’IVG, homophobes, qui peuvent vouloir travailler en libéral, au planning. Mais le but c’est de recevoir sans jugement, d’écouter, on ne peut pas faire moins que ça. Une femme qui ne veut en parler à personne, est libre de ne pas en parler et c’est sa liberté. Par contre on ne doit jamais remettre en cause la parole d’une femme, elle me dit qu’elle a pris sa pilule, elle a pris sa pilule point. Elle ne veut pas en parler à son mec, son ex ou je ne sais qui, c’est son droit point. On sait très bien que la manière dont une femme est reçue va influer sur la manière dont elle va vivre son IVG. Quand on indique un endroit où faire une écho et qu’elles sont mal reçues on a déjà bien les boules alors quand c’est ici c’est rageant.
Simone, avril 1979
« J’avais à peine 18 ans… et j’avais un ventre gonflé par une vie. Une vie qui était venue se nicher en moi. Cette vie-là je ne l’attendais pas. Mais au fait cette vie-là, peut-être que j’en voulais ? Mais lui non. Il était trop jeune, n’avait rien demandé, ne voulait pas de bébé… trop tôt, même pas complètement installé, ni Service militaire encore effectué. Bref. Oui j’entendais tous ces mots, je comprenais qu’on commençait à peine notre relation, c’était trop tôt… trop tôt ? Oui peut-être, non peut-être pas. Je n’en savais rien au fond. Tout ce que je savais, c’est que j’étais une fille et que c’était à moi de faire disparaître cette vie qui commençait à germer en moi. Et la trouille qui prenait place.
1979 un avortement à cette époque… Que faire, où aller ? À qui en parler ? À personne… à qui d’ailleurs j’aurais pu en parler ? À ma mère ? Elle n’aurait pas compris et d’ailleurs n’a jamais su ce qui s’était passé à ce moment-là. Une copine ? Non personne. Parce qu’à cette époque, on ne parlait pas de ces choses-là. À cette époque, avorter n’était peut-être même pas dans le dictionnaire, même pas intégré pour la plupart, dans l’imagination de ce que ça pouvait représenter pour une fille. Ne pas savoir, ne pas voir, ne rien dire. Un vide tout simplement. Et là… on est toute seule. Je suis donc allée au Planning familial. Je ne savais même pas que ça existait pour ce genre de « chose ». Je croyais que « familial » représentait vraiment la famille. Et moi, j’étais toute seule. Une mégère m’a reçue. Je dis mégère car elle m’a aboyé dessus. Je n’étais rien pour elle, juste une fille qui avait couché avec un garçon, une fille facile… pauvre garçon elle comprenait…. Elle comprenait quoi ? Et moi ? Elle est où ma dignité ? J’étais toute seule. Elle était contre de toute façon, ça j’avais bien compris. Je n’avais qu’à prendre mes dispositions si je n’en voulais pas de ce bébé, il fallait y penser avant, l’avortement n’est pas une solution, une gomme… j’étais toute seule. Je voulais qu’elle m’explique comment ça allait se passer, je voulais qu’elle me dise quand ça allait se passer. Je voulais qu’elle me rassure mais elle me faisait peur. Je me sentais fautive, je me sentais sale, fatiguée. Je voulais qu’elle arrête de me sermonner, je savais tout ça, et ce n’était pas ce que je voulais entendre. Je me sentais encore plus seule. L’accompagnement du Planning familial ? Juste des reproches, des sermons, des « j’aurais dû, il fallait que…. ». C’est ça qu’on appelle « accompagnement » ? La culpabilité m’envahissait complètement, j’aurais voulu disparaître dans un trou de souris mais je devais faire face car je ne pouvais pas revenir en arrière. Je ne voulais pas revenir l’entendre, la voir. Je pleurais, j’étais toute seule. »
Élisabeth, février 2013
« J’en parle à ma mère, qui m’achète un test, résultat positif, s’ensuivent toutes les démarches classiques. Prise de sang, échographie, rendez-vous médicaux etc. Mais je suis mineure, je ne peux donc pas faire un aller simple à l’hôpital, avant ça il faut passer par le planning familial qui déterminera si je suis psychologiquement apte à prendre cette décision, si je ne suis pas influencée par mes parents ou par mon petit ami et si j’ai bien conscience des « dangers » de cette intervention. Cela repousse encore le moment attendu d’être libérée de cette situation que je n’ai pas choisie. Deux semaines pour avoir un rendez-vous. C’est long, très long, suffisamment long pour se faire à l’idée qu’on a un « truc » dans le ventre. S’ensuit un tas de questions concernant ce rapport protégé. Elle n’y croit pas. Elle n’y croit pas du tout et insiste pendant plusieurs minutes qui me paraissent interminables. Elle me demande de bien réfléchir, d’être en confiance, elle cherche à me rassurer en me certifiant qu’elle n’est pas là pour me juger, que je peux lui dire la vérité. Je commence à me défendre sur mes agissements, j’ai l’impression de subir un interrogatoire ou je ne suis pas la victime mais l’accusée. Une situation injuste, j’entends la nécessité de me parler de contraception mais pourquoi être persuadée que je mens, pourquoi mettre ma parole en doute ?
Enfin, nous finissons par en venir à la question de l’avortement, cette partie de l’entretien est assez floue car j’ai retenu ce qui, je pense, m’a le plus blessé. C’est ma mère qui me répète encore « tu te rappelles comme elle t’a fait culpabiliser ?! ». Non je ne fais pas de contre-sens, j’étais seule dans le bureau, ma mère était restée dans la salle d’attente depuis laquelle elle entendait tout très distinctement, elle et le prochain rendez-vous. Je n’ai trouvé aucune écoute, aucun accompagnement et aucune intimité si ce n’est une image personnelle bousillée et des doutes qui n’existaient pas avant de rentrer dans ce foutu bureau. »
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