Mais tout d’abord, je voudrais vous remercier et vous dire mon admiration. En quelques semaines, vous avez fait trembler le gouvernement ; ce pouvoir arrogant qui semblait depuis si longtemps inatteignable. Vous avez donné la preuve à toutes et tous qu’il était toujours possible – et même épanouissant – d’être acteur de ce qui se passe, du monde qui se fait. Justement, de ne pas simplement s’informer de la fuite du monde, incapable, déprimé et figé dans nos sièges de spectateur, à regarder le désastre du monde comme un mauvais film, désemparé de ce réel. Vous avez fait irruption sur la scène. C’est alors que le scénariste panique... Si je dis bravo pour cette prise sur le réel à « vous » gilet jaunes, c’est que moi, je dois bien l’avouer, je n’étais pas là dès le début avec ce « vous » sur ces ronds points et autres lieux-moments de réveil. J’ai mis un peu plus de temps à me lever de mon siège, mais c’est chose faite.
Je suis un gilet jaune avec vous.
Il s’agit maintenant de rester présent dans ce monde. De ne pas se rasseoir pour écouter d’autres histoires dites sur le même ton, avec les mêmes fins et les mêmes acteurs. Nous aurions tout à gagner à s’essayer à l’histoire, à être les acteurs et les scénaristes de ce réel. De ne rien lâcher de notre prise sur le monde.
Cette insurrection, si elle veut tenir et si elle veut goûter à la saveur de ses fruits doit avoir, avec mesure et attention, de la prétention. Pour éviter que cette insurrection n’ait servi à rien (voire qu’elle nous mène à pire), il faut savoir se tenir et se hisser à la hauteur de ses prétentions. Ce qui semble se prétendre – avec variations et maladresse – aux ronds points, dans les manifestations, etc... – c’est que nous ne voulons plus vivre sous contrainte économique. Et il me semble que nous commençons à lâcher à demi-mot une dure vérité ; nous ne pouvons pas refuser les contraintes économiques sans remettre en cause radicalement le monde de l’économie. Nous ne pouvons pas sérieusement demander la démission de Macron sans s’attaquer dans le même temps au système qu’il représente. On ne peut pas changer une chose sans changer aussi tout le mécanisme qui permet cette chose. On ne peut pas colorier en vert notre quotidien noir. On ne peut pas rééquilibrer une société qui a comme moteur le déséquilibre. Nous devons oser avec prudence tout remettre en question. C’est bien ce qui paraît se jouer aujourd’hui. Macron, effrayé par la puissance et la radicalisation de ce mouvement, ne peut faire autrement qu’aménager son programme et sa parole ; son scénario huilé est brisé, il doit le modifier. Mais le temps de la lutte nous a apporté la conviction que nous ne nous rassasierons plus de miettes. Essayons de tenir cette dure mais belle vérité ; nous ne voulons pas aménager le système qui nous oppresse, nous pourrions même nous en libérer afin de pouvoir imaginer d’autres manières de vivre ensemble sur cette terre.
Cette terre d’ailleurs, le système l’a ravagée. Et pour limiter ce ravage nous dit-on, il faudrait en laisser la gestion à ceux qui l’ont provoqué. Cette gestion ne cherche ni plus ni moins qu’à maintenir l’ordre de l’empire économique, même peint en vert. Mais nous ne sommes pas dupes, il n’y a pas de capitalisme vert. Écœurés par ce mensonge, malades de cette « survie augmenté », nous avons, en refusant l’état des choses, permis une respiration, un arrêt plus que nécessaire.
Ce qui est urgent, c’est de continuer de s’arrêter. D’arrêter la course de leur monde. Cet arrêt est le point de départ d’une éventuelle écologie véritable.
Maintenant, de cet arrêt, il faudra bien en faire quelque chose. Mais je ne souhaite pas m’exprimer ici sur ce sujet, car je crois en l’intelligence collective qui a fait ses preuves durant ces dernières semaines. J’invite par contre à prendre en compte tout à fait sérieusement cette question du « que faire ? ». Car, si l’organisation d’une société profite toujours d’abord aux organisateurs, il faut que ces derniers soient le tout un chacun. C’est à l’horizontalité des gilets jaunes que revient cette question du que faire. Nous ne pouvons laisser cette question à des quelconques représentants. Ce qui est directement vécu doit prétendre à ne plus se faire représenter. Nous sommes enfin présents au monde, cela suffit.
Mais il nous faut bien faire quelque chose de cette présence, sinon, nous risquons de nous endormir à nouveau, de nous laisser encore berner par les mêmes histoires. Parlons en. Faisons des actes à répétitions...
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