Actualité et mémoire des luttes à Saint-Étienne et ailleurs
ANALYSES ET RÉFLEXIONS « BENAISES » ET « CANCORNES »
INFOS GLOBALES  
Publié le 14 septembre 2023 | Maj le 3 octobre 2023 | 1 complément

Appellisme & antiappellisme


« Ce n’est pas en lisant un texte de 2005, l’Appel, que l’on comprendra l’utilisation en 2020 du mot appeliste. Je n’ai d’ailleurs jamais lu l’Appel comme beaucoup de personnes qui utilisent le terme appelistes. »
Anonyme [1]

La parution de l’Appel chez Divergences fait émerger à nouveau les débats autour de « l’appellisme », un thème abondamment discuté dans les milieux radicaux. Même si l’appellisme est l’objet de nombreuses rumeurs et brochures, que l’antiappellisme structure les débats et arbitre plusieurs conflits ici et là, le sujet reste néanmoins un peu tabou. On en parle toujours à demi-mots, en prenant un air détaché ou ténébreux.

Ce texte est le résultat d’une réflexion à plusieurs pour y voir clair et parce que tout cela nous paraît avoir les contours d’un mythe : d’un côté, nous avons entendu plein de choses farfelues sur les appellistes et de l’autre, les discours antiappellistes nous apparaissent incohérents et contradictoires.

Les pires histoires entendues sur les appellistes

Des récits terrifiants et incroyables circulent sur les appellistes, comme autrefois sur les juifs errants ou les monstres de la mer. On ne prend jamais le temps de les discuter politiquement.

Le « CMDO » et les appellistes sont une élite qui contrôlent les luttes de l’intérieur.

De la zad aux soulèvements de la terre en passant par les mouvements sociaux et le black bloc, partout où l’action politique dépasse l’horizon du groupe affinitaire, les appellistes sont accusés de prendre des décisions secrètes.

CMDO, « comité pour le maintien des occupations », est le nom qu’un groupe de zadistes de Notre-Dame-des-landes s’est donné, en référence aux occupant.e.s de la Sorbonne de 68 [2]. Bien que le CMDO n’ait jamais vraiment eu grand chose de secret [3], les désaccords entre ce groupe et d’autres habitant.e.s de la zad en 2018 ont donné lieu à un véritable mythe.

Il faut dire que cette période des expulsions à la zad est très embrouillée [4], que nous ne connaissons pas toutes les histoires qui s’y sont déroulées et que nous ne cherchons pas à établir une quelconque vérité (à laquelle nous ne croirions pas).

Néanmoins, le mythe du CMDO—une minorité de stratèges qui aurait influencé la zad dans une mauvaise direction—nous semble faux : il est en contradiction avec toutes les analyses de ce qui a permis une victoire : la diversité des tactiques, la composition politique large et l’ancrage dans un territoire [5].

Après 2018, le mythe s’est propagé : il sert par exemple de matrice idéologique pour disqualifier les soulèvements de la terre. La campagne de diffamation menée contre ce mouvement dans les milieux radicaux va de l’accusation de trahison politique à la dénonciation ad hominem [6]. Ces attaques nous semblent dégueulasses puisqu’elles arrivent à un moment où les Soulèvements de la terre sont dans le viseur de la machine antiterroriste française [7]. Cependant, les faits continuent de démentir le mythe : Pour la DGSI elle-même, les Soulèvements de la Terre ont réussi à « incarner le concept de transversalité des luttes [8]. »

Ce mythe du CMDO est louche car il est le symptôme d’un fantasme de toute-puissance : un groupe secret, une minorité de stratège, serait-elle capable d’une telle force d’influence ? Par effet miroir, il trahit la croyance léniniste encore ancrée dans les milieux radicaux en la force anachronique d’une avant-garde révolutionnaire.

Il est d’autant plus louche puisqu’il reprend la trame médiatico-policière qui cherche à construire un ennemi en fonction de ses propres modèles hiérarchiques : construire des chefs et des centres de commandement, quitte à les inventer (l’affaire Tarnac [9], le fantôme d’Action Directe et des bolcheviks).

Les luttes contemporaines sont spontanément horizontales, sans leaders, sans revendications et sans organisations centralisatrices. C’est ça qui inquiète fondamentalement le pouvoir. Mais cette dimension « anarchisante » des luttes fait apparement autant peur à l’État qu’aux milieux radicaux. Peut-être parce que lorsqu’elle s’incarne dans des mouvements réels (gilets jaunes, écologie, banlieues, etc.) cette dimension anarchisante remet en question l’intérêt politique des milieux anarchistes eux-mêmes ?

Il va sans dire que cette façon de comprendre l’appellisme a de fortes collusions avec certaines formes de complotisme et d’antisémitisme qui ne sont pas nouveaux dans les milieux d’extrême gauche [10]. Finalement, la perpétuation de ce mythe est construit avec un ethos antisémite et policier : l’antiappelliste est comme un enquêteur qui essaie de comprendre des réalités cachées et inavouables, du genre : « qui se cache derrière le comité invisible ? » Sauf qu’en principe ces secrets sont censées inquiéter les représentants du pouvoir et non pas les militants radicaux.

Avec lundimatin et le comité invisible, les appellistes manipulent les gens.

Avec leurs idées, leurs livres, leurs médias, les appellistes sont perçus comme des intellectuels coupés de l’action qui maitrisent le langage.

Le comité invisible est un groupe d’écrivain.e.s anonymes dont les livres ont été connus du grand public grâce à leur médiatisation durant l’affaire Tarnac et par l’acharnement du parquet antiterroriste français dans la criminalisation de ses auteur.ice.s. Lundimatin est un journal en ligne qui a connu une certaine célébrité grâce à sa rédaction participative et vivace lors des mouvements sociaux.

Ces accusations de manipulation s’inscrivent dans une perception très superstitieuse et naïve de la connaissance [11]. En réalité tout ce qu’on lit, vit, entend nous affecte et nous détermine. Il n’y a aucune raison pour qu’un texte, quand bien même il soit manipulateur, ait plus d’influence sur nous que les milliers d’autres choses que l’on peut absorber dans notre société—si ce n’est l’importance sensible qu’on lui accorde consciemment ou inconsciemment. Si les antiappellistes se pensent manipulés par les mots appellistes, c’est paradoxalement parce qu’ils leurs accordent une grande importance. Comme il est dit dans un autre texte, « est manipulé-e qui le veut bien [12]. »

L’idée selon laquelle les idées théoriques seraient forcément coupées de la pratique, s’inscrit également dans une vision rance de la connaissance. Cette distinction théorie/pratique ou pensée/acte est un vieux dispositif de l’ordre économique et philosophique bourgeois [13]. La force d’une théorie se trouve justement dans son origine pratique ; penser, écrire, parler sont encore des actes.

Bien entendu, il y a des hiérarchies du savoir et la connaissance sert parfois de frontière dans les différentes structures de dominations. Néanmoins il faut être cynique ou policier pour vouloir que chacun.e reste à sa place. Tous les mouvements révolutionnaires ont eu leurs théories et leurs tactiques poétiques (plus ou moins lyriques) à commencer par le féminisme [14].

Dans le cadre de ces différentes hiérarchies, et ce malgré les rares succès éditoriaux des éditions la fabrique, il ne faut pas s’y tromper : ce qui est hégémonique dans le champ culturel c’est malheureusement BFMTV et pas lundimatin, Houellebecq et pas le comité invisible.

Enfin, faire de la réussite d’un média, d’un concept, d’une pratique un marqueur de trahison est très dangereux pour le camp révolutionnaire. Sans minimiser le risque de la récupération – machine implacable qui ne connait pas de limites idéologiques (rappelons nous de la participation de Paul B. Preciado à la campagne publicitaire de Gucci [15])—il s’agit de ne pas dénoncer chaque succès au risque de rester indéfiniment enfermé dans les micro milieux névrotiques de l’extrême gauche à ruminer des défaites.

Les appellistes ont mis une personne dans un coffre après lui avoir cassé les genoux, ils ont aussi négocié avec l’Etat à la zad.

Selon certains récits les appellistes sont ultraviolents, prêts à user de la force pour orienter les décisions dans leurs sens, selon d’autres, ils sont pacifistes et légalistes, prêts à tous les renoncements pour sauver leur peau.

Les contradictions internes à ce genre de récit—ici les appellistes sont ultraviolents, là trop pacifistes—suffisent à flairer l’arnaque : Il y aurait une manière pure d’être au monde, une façon de toujours faire le bon choix. Il n’y a alors plus, des erreurs ou des conflits mais seulement des idéaux trahis.

La pureté n’existe pas, chaque choix individuel ou collectif entraine des conséquences. Les expériences que mentionnent ces récits sont le résultat de positionnements en situation : fallait-il en arriver là ? Pourquoi faire le choix de négocier ou de ne pas négocier ? Comment résoudre un conflit sans Etat ? Ce sont ces questions que les récits moraux obstruent, établissant une lecture surplombante et lénifiante des faits.

Les vécus à la zad, quelles que soient les prises de position (pour ou contre le coffre !) sont intéressantes pour toustes les révolutionnaires, en ce qu’ils sont des expériences limites d’une révolution qui veut se passer de l’Etat (comment fait-on justice ?) et se trouve confrontée à lui (quand et pourquoi négocier ?). Ces faits appellent donc des discussions bienveillantes autour des choix faits en situation par les un.e.s et les autres.

Ici, de façon évidente, les appellistes désignent un « camp du mal », qui s’opposerait à un impossible « camp du bien », et ne peut recouvrir aucune réalité sociologique. Les expériences dont il est question, comme la négociation lors des expulsions de la zad en 2018, concernent de nombreuses personnes d’origine diverses qui ne se reconnaissent pas comme des « appellistes ».

L’accusation de contrôle occulte sert de mobile fondamental à toutes ces différentes façons de faire le mal, violemment ou pacifiquement, qui caractériserait les appellistes. Pourtant, le pouvoir comme la volonté de contrôle sont structurels, on les trouve dans tous les groupes, on se retrouve à les combattre partout, et ils ne peuvent être la caractéristique d’un groupe en particulier. Il est même dangereux d’en faire l’apanage d’un groupe, puisque c’est refuser de voir les dynamiques qui travaillent tout groupe, laissant ces structures inchangées.

Dans un lieu appelliste un mec appelliste a violé pleins de meufs.

Il ne faudrait pas côtoyer les appellistes car ce sont des violeurs. Ils ont la réputation d’être des grands bourgeois anti-féministes qui se moquent des structures de dominations.

Les violences sexistes et sexuelles sont systémiques. Certaines histoires de viols dans ces milieux ont été explicitées, rendues publiques ou discutées collectivement, c’est peut être pour cela qu’elles sont aussi largement connues. Faire exister ces questions sur le plan politique nous semble désirable pour sortir des mécanismes de silenciation. Si l’existence de la parole n’est pas faire justice, elle est une condition de celle-ci. Là où les histoires se taisent, la violence est exacerbée.

Les structures de dominations sont difficiles à abattre, présentes partout, accablantes à bien des égards, chaque milieu y est confronté. Faut-il alors condamner moralement l’entièreté des milieux politiques : les squatteurs, les anarchistes, les autonomes… ? Et se retrouver surpris.e, lorsque finalement dans notre groupe que l’on pensait safe, se produisent ces violences. La question n’est pas de nommer l’appartenance politique d’un coupable. Poser le problème ainsi revient à en faire une affaire idéologique, au lieu de voir en face les mécanismes de la domination.

Le geste de mettre à l’extérieur de soi, de ses groupes, de ses pratiques, le sexisme (ou toute autre forme de domination), est tentant. Mais le procédé est pervers : si ce sont les appellistes qui sont sexistes, racistes, classicistes, alors ce n’est pas nous. Éloigner ces systèmes de la sorte nous expose toujours plus aveuglément à leur surgissement, tandis qu’en prendre la mesure est une possibilité vers leur transformation.

Par ailleurs, en plaçant les conflits idéologiques sur le plan de la morale, l’antiappellisme masque le fait que le féminisme, ou l’antiracisme ou l’anticapitalisme, sont des champs de force ; que des courants s’y opposent, se battent pour des concepts et des façons de penser la domination et/ou la résistance. Nous n’avons pas toustes la même idée de la révolution - faut-il prendre l’État ? faut-il le détruire ? Condamner les autres groupes à travers des éléments sociologiques douteux est souvent un moyen de cacher des positionnements idéologiques impensés. L’anarchisme de bien des antiappellistes n’est qu’une esthétique radicale qui cache mal un universalisme bien pensant.

Les appellistes existent-ils ? Qu’est ce que l’appellisme ? Sommes-nous appellistes sans le savoir ?

Nous avons beau chercher autour de nous, personne (à part peut-être un ou deux provocateurs isolés) ne se revendique « appelliste ». Dans ces conditions, on peut se mettre à douter que les appellistes existent ; ou, et c’est la théorie d’un texte de 2019 [16], que l’appelliste est « le juif » du milieu militant . La construction d’une figure monstrueuse inventée par l’antiappelliste pour justifier son surplomb moral. Mais l’idée vient bien de quelque part : qu’est ce que pourrait être l’appellisme ?

Au même titre que l’anarchisme, le communisme, le féminisme, l’appellisme pourrait être un courant de pensée lié à des pratiques. A ce sujet il est frappant de remarquer que l’antiappellisme ne se base quasiment jamais sur des argumentaires théoriques ou philosophiques (ou alors particulièrement obscures et incompréhensibles [17])

C’est pourtant un livre, l’Appel, paru en autoproduction dans les années 2000, qui donne son nom à l’appellisme. L’Appel, en plus d’être un texte d’intervention politique, est une sorte de table d’orientation pour la revue Tiqqun. Cette revue étant elle-même une porte d’entrée vers d’autres expériences théoriques et pratiques comme celles de l’autonomie italienne des années 70-80 (une période très mal connue par l’extrême gauche française). L’expérience de Tiqqun a par la suite donné naissance au comité invisible qui continua le geste de la revue jusqu’en 2016.

L’appellisme alors, comme courant de pensée enraciné dans des traditions philosophiques et politiques est vaste. Il paraît difficile, même en étant un érudit ou un fan d’avoir tout lu, d’avoir fait le tour de l’appellisme, d’en « être revenu ». Les débats théoriques, les questions politiques que suscite un tel courant de pensée ne sauraient être dépassées. A l’inverse, nous pourrions plutôt espérer qu’elles puissent enfin s’ouvrir à l’occasion de la parution de l’Appel et du dépassement d’un certain antiappellisme dogmatique.

En ce sens, l’antiappellisme dogmatique—qui ne se soucie pas de questions théoriques et ne parle qu’anecdotes et bitchages—est finalement le principal obstacle à la mise en discussion et à la critique politique des thèmes et des concepts appellistes. Quand bien même cet ensemble de textes nous paraîtrait inintéressant, faux, incomplet, en contradiction avec nos idées : une position théorique se discute, se dépasse, se combat, se transforme mais ne se condamne pas. Or la position antiappelliste ne tient pas sans une condamnation morale de gestes supposément appellistes.

Mais au final, qui sont les appellistes dont on parle tant ? Un appelliste est-il simplement un lecteur de l’Appel ? Dans ce cas il existe alors beaucoup plus d’appellistes que prévu, et l’édition du livre risque d’accentuer encore plus le nombre d’appellistes dans le monde.

Mais encore, comment la lecture (ou même l’adhésion que peuvent susciter ces textes) peut amener à faire le mal ? Voilà la question que ce pose sérieusement l’antiappelliste le plus téméraire [18]. La question est malhonnête en elle-même : il n’y a pas de lien entre la lecture voire l’adhésion pour les textes « appellistes » et le fait d’être « appelliste » au sens où l’entendent les antiappellistes.

Pour elleux, l’appellisme est « un ensemble de pratique contre lesquelles il faut s’organiser [19] », le mouvement de ce qui est mauvais. Mais cette perspective est une impasse : nous sommes toujours l’appelliste de quelqu’un d’autre. Et il y a de fortes chances, en appréciant l’histoire de l’autonomie italienne, en pensant que le féminisme n’est pas une affaire de droits, en aimant la philosophie de Agamben ou de Deleuze, en refusant les identités politiques, en aimant la poésie et les émeutes, que nous soyons appelliste sans le savoir.

L’appellisme pourrait être autre chose : un réseau de gens qui auraient participé de près ou de loin à l’écriture de ces textes, les auraient portés, nourris de leurs expériences et qui se seraient appuyés sur cette généalogie politique : l’appellisme serait alors une sorte de camaraderie. Sans compter toutes celleux arrivés trop tard, tous celleux qui s’accrochent à une camaraderie fantasmée et tous les mauvais copieurs, l’expérience de la camaraderie autour d’un texte des années 2000 est assez vieille pour que celles et ceux qui soient concernés aient autour de 45 ans aujourd’hui.

Sans minimiser la force et la beauté d’une telle expérience, cette camaraderie doit avoir fait son temps. En ce cas, si l’appellisme est un groupe de quarantenaires déchus, pourquoi son fantôme continue-t-il à structurer autant les débats de tous les milieux radicaux de France ?

Pourquoi nous, jeunes gens qui entendons bouleverser la société, le genre et l’ordre économique du monde, nous préoccupons-nous des embrouilles de vieux anarchistes qui vivent à la campagne ? C’est peut-être parce que cette expérience de camaraderie alliée à une réflexion théorique a donné lieu à quelque chose qui nous dépasse et nous intrigue ? Que les textes n’appartiennent pas à leurs auteurs et qu’alors nous pouvons nous en saisir ?

Nous en avons effectivement lu certains. Dans ces textes, beaucoup de choses vont dans le sens d’une critique de l’identité politique : « Il n’y a pas ‹ d’identité révolutionnaire ›. Sous l’Empire, c’est au contraire la non-identité, le fait de trahir constamment les prédicats qu’on nous colle, qui est révolutionnaire. Des ‹ sujets révolutionnaires › il n’y en a plus depuis longtemps que pour le pouvoir. Devenir quelconque, devenir imperceptibles, conspirer, cela veut dire distinguer entre notre présence et ce que nous sommes pour la représentation, afin d’en jouer [20]. »

En regard de cela, il paraît absurde que des appellistes—dans le sens de gens qui se revendiqueraient de la tradition philosophique de l’Appel se considèrent, comme « appellistes » ; puisque cela reviendrait, contre la tradition philosophique elle-même, à faire de l’appellisme une identité politique. Donc d’une certaine manière les appellistes sont les premiers antiappellistes.

Il nous revient à nous, jeunes générations, d’arracher l’appellisme aux appellistes. Toustes les camarades de 20 ans qui se construisent contre l’appellisme, perçu comme un groupe de gens, vivent avec un mythe. Ils sont pris.e.s dans les embrouilles et les remords de quarantenaires frustrés. Vivons nos propres expériences communautaires, politiques et théoriques. Le travail politique qu’on nous laisse est immense et nous n’avons pas leur time.

Qu’est ce que l’antiappellisme ? A quoi sert l’antiappellisme ?

L’antiappellisme absorbe les vraies critiques, les contradictions, les nœuds théoriques, les vraies raisons des conflits, pour en faire des positions dogmatiques qui figent le réel, le mouvement de la pensée et du dépassement possible. Il sert de couverture « politique » à des embrouilles interpersonnelles, territoriales, carriéristes etc.

Surtout, l’antiappellisme crée un monstre exorcisant et cathartique qui permet à chacun.e de se positionner moralement sans se mettre en jeu dans des luttes, dans des prises de positions éthiques ayant un lien avec le réel. Il se fait le relais des discours médiatico-policiers de l’Etat pour conjurer la possibilité révolutionnaire tout en construisant des milieux politiques inoffensifs et confortables.

Par la condamnation de « l’intelligence », l’antiappellisme maintient les hiérarchies de la connaissance qu’il voudrait détruire. L’antiappelliste se retrouve à défendre comme une marque de qualité la médiocrité intellectuelle des milieux radicaux.

L’appellisme est mort, vive l’appellisme !

Après avoir tourné et retourné ces idées entre nous, il nous a paru évident que la question de l’appellisme est une sorte de névrose du camp révolutionnaire. La parution de l’Appel est peut-être l’occasion de dissoudre cette opposition stérile. De notre côté nous refusons l’appellisme comme une identité absurde en contradiction avec l’appellisme lui-même et rejetons l’antiappellisme comme un conformisme insupportable.

S’il y a un appellisme que nous revendiquons c’est celui de la lecture sensible des textes, de leur force, de l’héritage théorique d’une tradition : une forme d’appellisme organique, qui ne saurait être une identité. C’est de la même manière que certain.e.s d’entre nous se reconnaissent dans la « queerness ». « Queer » trouve son origine dans la réappropriation d’une définition posée par la normalité sur quelque chose qui lui échappait. Tendant aujourd’hui, par des logiques identitaires, à s’instituer comme possibilité du normal (Netflix a bien une catégorie LGBTQ). Pour nous le queer reste une estrangisation constante du langage du dogme et de la norme et c’est bien cette puissance à ne pouvoir être totalement saisissable qui fait de la queerness une puissance subversive.

Le mouvement Bash Back !—réseau queer insurrectionnel aux Etats-Unis, qui lui aussi rencontra de nombreux mythes à son propos— pour éviter la récupération et sa capture dans des histoires vidées de leur sens, se dissolva. Problématisant alors ces fantasmes et interprétations, il conclut son histoire par « Bash Back est mort ! Vive Bash Back ! »

Cette publication de l’Appel offre plusieurs possibilités : ou bien l’appellisme comme l’antiappellisme se renforceront en tant que positions identitaires polarisées : En être ou ne pas en être, distinguer le bon militant du mauvais, finissant dans une aigre soupe où la possibilité révolutionnaire se transforme en combat de postures. Ou bien, l’appellisme se dissoudra laissant ses mythes sans échos et perdurer la puissance de ses idées.

Peut-être alors que se noieront avec l’antiappellisme, les positions morales et idéologiques, peut-être parlerons-nous des vraies questions qui nous meuvent avec toute l’instabilité qu’elles soulèvent. Parce que l’appellisme comme le queer « ne sont pas des zones d’occupation stables ».

« La pratique du communisme, telle que nous la vivons, nous l’appelons le Parti [...] le Parti n’est pas l’organisation—où tout est inconsistant à force de transparence [...] Le parti est un ensemble de lieux, d’infrastructures, de moyens communisés et les rêves, les corps, les murmures, les pensées, les désirs, qui circulent entre ces lieux. »
Appel

« Tout au long de son existence, l’essence de Bash Back ! a fait l’objet d’une pléthore d’interprétations. Un réseau d’anarchistes queer, un gang, une tendance, une organisation terroriste gay, un mode de vie, un groupe théorique : la réponse diffère en fonction de l’interlocuteurICE. La réponse correcte est peut-être que Bash Back !, fidèle à la forme queer, problématise chacune de ces catégories. Toute analyse de Bash Back ! est vouée à l’échec si elle ne reconnaît pas la nécessité de comprendre chacune de ces possibilités à la fois indépendamment et simultanément. »
Queer ultra violence

Liens vers textes gratuits :
Appel : http://www.tiqqun.org/2015/01/appel-20052015.html
Tiqqun 1 : http://data0.eklablog.com/ae-editions/perso/bibliotheque%20-%20pdf/tiqqun%20--1--.pdf
Tiqqun 2 : http://1libertaire.free.fr/tiqqun2.pdf

P.-S.

Pelle&balayette

Notes

[13Voir Jacques Rancière, Le Spectateur émancipé

[20TIQQUN, Tout a failli, vive le communisme, op. cit., p. 38.


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1 complément

  • j’ai beaucoup de mal avec cet article, qui prétend une certain objectivité dans les premiers paragraphes, mais qui dès le passage sur le CMDO, se perd dans un truc chelou. soit ta thèse, c’est « l’appel c’est pas le CMDO, c’est plus large que ça blablabla » et tu parle de ça, soit c’est « le CMDO c’est des gentils incompris persécuté·es » et y a des tas de trucs déjà écrit dessus j’vois pas l’interêt.
    et parler de « victoire » en parlant de la zad, ça fait bien mal à quiconque y a foutu les pieds depuis 5 ans.

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